L’Initiative citoyenne européenne (ICE) est un mécanisme prévu par le traité sur l’Union européenne et opérationnel depuis le 1er avril 2012. Il vise à renforcer la légitimité démocratique de l’Union européenne et consiste, pour les citoyens européens, à inviter la Commission européenne à soumettre une proposition législative, au terme d’une procédure détaillée par le Règlement (UE) n° 211/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 relatif à l’initiative citoyenne. Avant toute chose, les personnes désireuses de proposer une ICE doivent constituer un comité de citoyens composé d’au moins sept citoyens de l’Union résidant dans sept États membres différents et ayant l’âge requis pour voter aux élections du Parlement européen. Ensuite, la proposition d’initiative doit être enregistrée par la Commission. Pour ce faire, celle-ci doit concerner un domaine relevant des attributions de la Commission, c’est-à-dire un domaine pour lequel la Commission peut présenter une proposition d’acte juridique. La proposition d’ICE doit également être conforme aux valeurs de l’Union européenne sans être « manifestement abusive, fantaisiste ou vexatoire ». Une fois l’enregistrement confirmé par la Commission, les organisateurs disposent d’un an pour recueillir le soutien nécessaire, par voie papier ou électronique. Le « soutien nécessaire » signifie que les signataires doivent être au moins un million, provenir d’au moins un quart des États membres, et que dans au moins un quart des États membres le seuil minimal de signataires est atteint ; seuil qui est proportionnel au nombre de députés européens élus dans les États concernés. Une audition est ensuite organisée au Parlement européen avant que la Commission n’examine l’ICE et publie ses conclusions dans une communication. Pour de plus amples informations sur l’ICE et sa réforme, lire l’article « L’initiative citoyenne européenne : un outil de démocratie directe en perdition ».
Depuis le 1er avril 2012, seulement trois initiatives citoyennes ont recueilli les soutiens nécessaires : « Right2Water », « Un de nous » et « Stop Vivisection ». Les organisateurs de cette dernière ICE, « Stop Vivisection », ont été invités à participer à une audition publique à Bruxelles le lundi 11 mai dernier. Au cours de cette audition organisée conjointement par les commissions AGRI (agriculture et développement durable), ENVI (environnement, santé publique et sécurité alimentaire), ITRE (industrie, recherche et énergie) et PETI (pétitions) du Parlement européen, Gianni Tamino, Claude Reiss et André Ménache, tous trois membres du comité organisateur de l’ICE, ont pu échanger avec des experts et parlementaires européens. Avant d’entrer dans le détail des échanges, revenons sur le contenu de cette initiative citoyenne. Qu’est-ce que la vivisection ? D’après le site internet consacré à l’ICE, « La vivisection est une méthode de recherche permettant l’utilisation d’animaux vivants pour le développement des connaissances biomédicales. » La définition du dictionnaire Larousse en ligne est la suivante : « Dissection expérimentale pratiquée sur un animal vivant. Les recherches médicales […] de même que certaines techniques chirurgicales passent par un stade […] d’expérimentation animale qui peut comporter des gestes de vivisection, avant leur application à l’homme ».
Le 3 mars 2015, les organisateurs, forts de 1 173 131 signatures certifiées, ont soumis leur ICE « Stop Vivisection » à la Commission européenne. Ils demandent ainsi l’abrogation de la Directive 2010/63/UE relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques et invitent la Commission à proposer une directive visant à mettre un terme à l’expérimentation animale. Ladite directive du 22 septembre 2010 est une mise à jour de la Directive 86/609/CEE du 24 novembre 1986. Il s’agit de lutter contre les divergences entre les Etats membres qui risqueraient d’entraver les « échanges de produits et de substances pour la mise au point desquels sont effectuées des expérimentations animales ». Cette directive de 2010 fait également suite à la Résolution du Parlement européen du 5 décembre 2002 dans laquelle les eurodéputés appelaient la Commission européenne à proposer une révision de la directive de 1986. Une telle démarche trouve son fondement dans l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui consacre le bien-être animal comme valeur de l’Union : « Lorsqu’ils formulent et mettent en œuvre la politique de l’Union dans les domaines de l’agriculture, de la pêche, des transports, du marché intérieur, de la recherche et développement technologique et de l’espace, l’Union et les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles, tout en respectant les dispositions législatives ou administratives et les usages des États membres en matière notamment de rites religieux, de traditions culturelles et de patrimoines régionaux. » C’est d’ailleurs sur cette base que les organisateurs de « Stop Vivisection » ont fondé leur initiative.
En ce qui concerne le contenu de la directive contestée, le législateur européen a précisé dans le texte que celle-ci « représente une étape importante vers la réalisation de l’objectif final que constitue le remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants à des fins scientifiques et éducatives, dès que ce sera possible sur un plan scientifique. À cette fin, elle cherche à faciliter et à promouvoir les progrès dans la mise au point d’approches alternatives. » Un peu plus loin il est précisé que dans l’état actuel des connaissances scientifiques, l’utilisation des animaux, notamment des primates non humains, dans les procédures scientifiques, demeure nécessaire à la recherche bio-médicale, et que de manière générale « l’utilisation d’animaux vivants demeure nécessaire pour protéger la santé humaine et animale ainsi que l’environnement ». Il s’agit là d’un point contesté par les organisateurs de l’ICE. La directive précise néanmoins que ces méthodes ne sont autorisées « que dans les domaines biomédicaux essentiels à la santé humaine, pour lesquels il n’existe encore aucune méthode alternative ». Enfin, l’article 4 pose le principe des trois « R », à savoir Remplacement, Réduction et Raffinement :
- « Les États membres veillent, dans toute la mesure du possible, à ce que soit utilisée, au lieu d’une procédure, une méthode ou une stratégie d’expérimentation scientifiquement satisfaisante, n’impliquant pas l’utilisation d’animaux vivants.
- Les États membres veillent à ce que le nombre d’animaux utilisés dans un projet soit réduit au minimum sans compromettre les objectifs du projet.
- Les États membres veillent au raffinement des conditions d’élevage, d’hébergement et de soins, et des méthodes utilisées dans les procédures, afin d’éliminer ou de réduire au minimum toute douleur, souffrance ou angoisse ou tout dommage durable susceptible d’être infligé aux animaux. »
Cet article de la Directive 2010/63/UE a été utilisé par certains députés européens au cours de l’audition pour démontrer la validité du cadre actuellement en place et exprimer leur opposition à la suppression de la directive prônée par les organisateurs de « Stop Vivisection ».
Lors de cette audition, Gianni Tamino, Claude Reiss et André Ménache ont appelé à la disparition totale de l’expérimentation animale d’ici cinq ans. Ils ont également demandé que l’utilisation de méthodes alternatives à l’expérimentation soit rendue obligatoire et que la phrase « l’utilisation d’animaux vivants demeure nécessaire pour protéger la santé humaine » soit supprimée non seulement de la Directive 2010/63/UE mais aussi de tous les textes européens. L’audition du 11 mai s’est ouverte sur l’intervention du Président de la commission AGRI, Czeslaw Siekierski (PPE, Pologne), qui a fait remarquer que l’ICE « Stop Vivisection » posait un certain nombre de questions : Pourquoi utilise-t-on des animaux à des fins scientifiques ? Dans quelle mesure la directive apporte-t-elle aux animaux une protection suffisante ? La directive bloque-t-elle le progrès scientifique ? Comment faire avancer la recherche tout en réduisant les essais sur les animaux ? Comment concilier protection des animaux et progrès scientifique ? Une fois ce contexte posé, Roberta Metsola (PPE, Malte), Vice-Présidente de la commission PETI, a souhaité rappeler que la procédure de l’ICE variait de celle des pétitions : « Beaucoup confondent l’ICE et la procédure des pétitions. Ce sont deux outils très différents. La commission PETI joue un rôle direct et donne une voix au citoyen européen. Une personne peut, toute seule, soumettre une pétition qui sera étudiée par le Parlement européen. Un grand nombre des ICE refusées par la Commission, parce qu’elles ne proposent pas un nouvel acte juridique ou un amendement à une législation, seraient admissibles comme pétitions au Parlement européen. » Jyrki Katainen, Vice-Président de la Commission européenne, a quant à lui expliqué que l’audition publique constituait « la seule opportunité d’entendre les avis de ceux qui ont proposé cette ICE et de ceux qui sont contre » avant d’ajouter : « Nous avons rencontré les organisateurs lors de réunions séparées, ce qui nous a permis de mieux comprendre leurs préoccupations, c’est-à-dire que l’on annule la Directive 2010/63/UE sur l’utilisation des animaux à des fins expérimentales. Ce débat devrait nous aider dans le processus d’élaboration de notre réponse écrite. La Commission va entendre ce qui sera dit et suivra de près les échanges entre les parlementaires, les organisateurs et les experts. La Commission préparera ensuite sa réponse à l’ICE « Stop Vivisection » qu’elle a l’intention d’adopter le 3 juin, juste à temps pour respecter le délai de trois mois prévu par le Règlement. »
Suite à ces propos introductifs, les organisateurs ont exposé leur démarche. Il s’agit pour eux de « mettre en cause la Directive 2010/63/UE qui prévoit que les animaux sont des modèles fiables pour les problèmes de santé humaine. Un animal n’est jamais un modèle biologique pour un autre » a asséné Claude Reiss avant de s’expliquer : « le patrimoine génétique d’une espèce est unique. Ce patrimoine génétique est mis en œuvre lorsqu’une espèce donnée est soumise à un certain stress : l’exposition à des produits chimiques, à des maladies. Une espèce va réagir avec ses gènes. Une autre espèce avec un patrimoine génétique différent va réagir avec d’autres gènes. Il n’y a aucune raison pour que les espèces répondent de la même façon. » Le scientifique a ensuite mis en cause les pratiques de l’industrie pharmaceutique : « Si vous avez un produit X et que vous voulez le mettre sur le marché, pour prouver qu’il n’est pas cancérigène, vous pouvez sélectionner une lignée de souris […] qui est très résistante du point de vue de la cancérisation. Si par contre vous sélectionnez une autre lignée […] qui est 100 fois plus susceptible de développer des tumeurs mammaires suite à une exposition, votre produit sera dit dangereux. Les conséquences de cette facilité sont catastrophiques pour notre santé. » Pour Claude Reiss, la science a fait suffisamment de progrès en 20 ans pour permettre d’évaluer les risques toxiques des produits chimiques sans passer par l’expérimentation animale. En guise de réponse, le responsable de la Direction Générale Environnement de la Commission européenne, Karl Falkenberg, a lu l’article 4 de la Directive 2010/63/UE précédemment cité. Par ailleurs, celui-ci a souligné le fait que la législation en question était relativement récente puisqu’elle n’est applicable dans les Etats membres que depuis 2013. « Nous devons encore tirer les premières leçons et présenter un rapport de mise en œuvre au bout de cinq ans, en 2018-2019 » a-t-il dit. « L’UE est très avancée par rapport au reste du monde. A ma connaissance il n’existe pas de législation chez nos partenaires qui défende le bien-être des animaux et qui, de manière aussi claire, demande à ce que l’on utilise des méthodes de remplacement lorsque cela est possible. »
Au cours du débat, trois experts sont intervenus : Ray Greek, président de Americans for Medical Advancement ; Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de Médecine en 2008 ; et Emily Mc Ivor, Policy Director à la Humane Society International/Europe et spécialiste de la défense du bien-être animal. Intervenu dans le premier round, Ray Greek estime que « le modèle animal n’a pas de valeur prédictive pour la réponse humaine aux médicaments ou à la maladie ». Pour cette raison, « la vivisection ne pourra jamais être un mal nécessaire » selon lui. De son côté, Françoise Barré-Sinoussi a tenu un discours inverse en se montrant favorable au modèle animal combiné à des méthodes alternatives ainsi qu’à des essais cliniques sur l’être humain. Pour elle, les trois modèles d’expérimentation sont complémentaires et indispensables. Au sujet des différences de patrimoine génétique entre les humains et les animaux, celle-ci a expliqué : « Ce sont des modèles, on ne peut s’attendre à ce qu’ils soient identiques, il y a des différences. Elles doivent être soigneusement prises en compte. » Grâce aux modèles animaux « de nombreux progrès ont été enregistrés », notamment pour les vaccins. « Il y a 2 à 3 millions de décès évités chaque année grâce aux vaccins. » Ainsi, pour Françoise Barré-Sinoussi, « nous avons besoin des modèles animaux même s’il y a des limites à ces modèles. Les modèles alternatifs eux aussi ont leurs limites. En France, 90% des recherches commencent par des méthodes alternatives et ce n’est que s’ils n’ont pas le choix que les chercheurs utilisent le modèle animal. Il va falloir mettre au point de meilleures méthodes alternatives à l’avenir. Nous devons passer après les modèles animaux aux essais cliniques, à l’expérimentation humaine. » Intervenue en dernière partie de l’audition, Emily Mc Ivor a plaidé pour la remise à l’ordre du jour des expérimentations biomédicales et l’interdiction des expérimentations animales. Il faut se battre pour remplacer les tests sur les animaux, a-t-elle déclaré.
Après chaque intervention d’expert, les parlementaires ont pu poser leurs questions. Celles-ci se sont concentrées sur les méthodes alternatives à l’expérimentation, la diminution du nombre d’animaux utilisés chaque année par les laboratoires et l’avenir de la Directive 2010/63/UE. Sur cette directive, les eurodéputés se sont montrés divisés. Certains considèrent, comme Françoise Grossetête (PPE, France) ou Marc Tarabella (S&D, Belgique), que le cadre actuel est suffisant et permet un équilibre entre les besoins de la recherche et la protection des animaux, quand d’autres ont invité la Commission européenne à faire une toute nouvelle proposition de directive interdisant l’expérimentation animale, à l’image d’Anja Hazekamp (GUE, Pays-Bas) qui arborait même une souris en peluche sur l’épaule en guise de soutien à l’ICE. Toutes les interventions n’étaient pas tranchées, certains députés cherchant à mieux comprendre les enjeux : « Y-a-t-il dans le monde des alternatives que nous pouvons utiliser maintenant ? Pourrons-nous arriver à ce que ces alternatives remplacent complètement l’expérimentation animale ? » a demandé Martin Häuseling (Verts, Allemagne), rejoignant ainsi les interrogations de nombre de ses collègues. Anne Sander (PPE, France) a quant à elle adressé des questions pratiques à Françoise Barré-Sinoussi : « Si aujourd’hui l’Union européenne revoit sa législation, quel impact cela aurait-il sur vos travaux de recherche ? », « Dans l’Union nous avons un outil de recherche, Horizon 2020. Pensez-vous que nous puissions utiliser cet outil pour développer des méthodes alternatives à l’expérimentation animale ? ». Au regard des réponses apportées par la chercheuse, les tests sur les animaux, sur les humains et les tests alternatifs semblent nécessaires. « Tout ce que nous voulons c’est une diminution de ces tests sur les animaux » et pour ce faire, Madame Barré-Sinoussi a appelé à ce que dans le cadre du programme Horizon 2020, des appels d’offres concernent les maladies infectieuses soient publiés. Cette réponse n’a pas satisfait les trois organisateurs présents.
A l’issue de cette audition, ceux-ci se sont pourtant montrés confiants et « estiment être parvenus à un consensus significatif » conformément à ce qui figure sur le site internet dédié à « Stop Vivisection ». Ceci étant, si l’on en croit l’article publié par Euractiv le 13 mai, l’ICE « peine à convaincre les eurodéputés ». Rendez-vous le 3 juin pour la réponse de la Commission.
Charline Quillérou
Pour en savoir plus
-. Public Hearing on the European Citizens’ Initiative « Stop Vivisection » – Agenda https://polcms.secure.europarl.europa.eu/cmsdata/upload/4d5bab05-54b5-486c-a716-943e7f1811c5/vivis-programme.pdf (EN)
-. Directive 2010/63/EU of 22 September 2010 on the protection of animals used for scientific purposes http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2010:276:0033:0079:en:PDF (EN)
-. Stop Vivisection – Website http://www.stopvivisection.eu/ (EN)