Le 3 juin dernier, la Commission européenne a publié une Communication sur l’initiative citoyenne européenne « Stop Vivisection » dans laquelle une réponse négative est adressée aux organisateurs de l’initiative en question. Ces derniers réclamaient l’abrogation de la directive 2010/63/UE relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques au profit d’une « nouvelle proposition de directive visant à mettre fin à l’expérimentation animale et rendre obligatoire, pour la recherche biomédicale et toxicologique, l’utilisation de données pertinentes pour l’espèce humaine ».
La Commission estime en effet que « pour le moment, l’expérimentation animale reste importante pour protéger la santé des citoyens et des animaux, et pour préserver l’environnement », tout en rappelant que le remplacement total des expérimentations animales constitue, à terme, l’objectif poursuivi. La directive en vigueur « constitue ainsi un instrument indispensable au niveau de l’UE pour protéger les animaux qui doivent encore être utilisés ». Il n’y a donc, pour la Commission, pas lieu de l’abroger ni d’en proposer une nouvelle. En revanche, des actions vont être menées dans le but d’accélérer la mise au point et l’utilisation de méthodes alternatives à l’expérimentation animale. Parmi ces actions, la Commission s’est engagée à présenter d’ici fin 2016 une étude sur les possibilités de renforcer le partage d’informations visant à remplacer, réduire et perfectionner l’utilisation des animaux. Il s’agit ici de faire avancer les « trois R » prévus par la directive 2010/63/UE : Replace, Reduce and Refine. La Commission surveillera ainsi le respect de la directive et celui des obligations de recourir aux solutions de remplacement disponibles. Pour ce faire, elle « continuera de soutenir la mise au point, la validation et la mise en œuvre de solutions de substitution » à l’expérimentation animale. Jusque là, rien de bien nouveau. En revanche, l’une des mesures principales consiste à organiser d’ici fin 2016 une conférence regroupant la communauté scientifique et les parties prenantes. Il s’agira, « d’examiner comment exploiter les progrès scientifiques pour mettre au point des méthodes d’expérimentation non animales […] et de progresser vers l’objectif de la suppression progressive de l’expérimentation animale ».
Pour rappel, l’Initiative citoyenne européenne (ICE) est un mécanisme prévu par le traité sur l’Union européenne et opérationnel depuis le 1er avril 2012. Il vise à renforcer la légitimité démocratique de l’Union européenne et consiste, pour les citoyens européens, à inviter la Commission européenne à soumettre une proposition législative, au terme d’une procédure détaillée par le Règlement (UE) n° 211/2011 du 16 février 2011 relatif à l’initiative citoyenne. Avant toute chose, les personnes désireuses de proposer une ICE doivent constituer un comité de citoyens composé d’au moins sept citoyens de l’Union résidant dans sept Etats membres différents et ayant l’âge requis pour voter aux élections du Parlement européen. Ensuite, la proposition d’initiative doit être enregistrée par la Commission. Pour ce faire, celle-ci doit concerner un domaine relevant des attributions de la Commission, c’est-à-dire un domaine pour lequel la Commission peut présenter une proposition d’acte juridique. La proposition d’ICE doit également être conforme aux valeurs de l’Union européenne sans être « manifestement abusive, fantaisiste ou vexatoire ». Une fois l’enregistrement confirmé par la Commission, les organisateurs disposent d’un an pour recueillir le soutien nécessaire, par voie papier ou électronique. Le Règlement précise que s’ils décident de collecter des signatures en ligne, leur système de collecte doit être certifié par un État membre. Cependant, depuis le 22 décembre 2011, la Commission a mis au point un logiciel libre de collecte en ligne qui est disponible gratuitement : OCS (Online Collection System). Le « soutien nécessaire » signifie que les signataires doivent être au moins un million, provenir d’au moins un quart des États membres, et que dans au moins un quart des États membres le seuil minimal de signataires est atteint ; seuil qui est proportionnel au nombre de députés européens élus dans les États concernés. Tout citoyen de l’Union en âge de voter aux élections du Parlement européen peut apporter son soutien à une ICE. Au moment de la signature, il doit tout de même fournir des informations à caractère personnel de manière à ce que l’Etat membre en charge puisse vérifier les déclarations de soutien. Ceci étant, les exigences en la matière varient d’un Etat membre à l’autre. C’est là où le bât blesse. Si toutes ces conditions sont réunies, les organisateurs de l’ICE peuvent la présenter à la Commission. Une audition est ensuite organisée au Parlement européen avant que la Commission n’examine l’ICE et publie ses conclusions dans une communication. C’est ce qu’a fait la Commission pour « Stop Vivisection » le 3 juin 2015.
Depuis le 1er avril 2012, la Commission a reçu 51 demandes d’enregistrement d’ICE. 31 ont été enregistrées dont 16 en 2012, neuf en 2013, cinq en 2014 et une pour le moment en 2015. Si la mise en place de l’ICE a suscité l’engouement dès 2012 et que six millions de citoyens européens ont apporté leur soutien à l’une d’entre-elles, les chiffres montrent une désaffection pour ce mécanisme complexe. En effet, les organisateurs d’ICE et ONG intéressées ont dénoncé une procédure lourde et complexe dont l’issue demeure très incertaine et opaque puisque la Commission peut rejeter une ICE sans avoir à le justifier. De même, la communication de données personnelles sensibles lors de la déclaration de soutien effraie certains citoyens. Le Règlement 211/2011 sur l’ICE est donc sur le point d’être réexaminé, suite au rapport présenté par la Commission européenne le 31 mars 2015.
C’est dans ce contexte que la présidence lettone du Conseil, le Secrétariat général du Conseil et The ECI Campaign ont organisé conjointement une conférence intitulée « L’initiative citoyenne européenne et la promesse d’une démocratie participative », le 16 juin 2015. Comment améliorer l’ICE ? Cette question a constitué le fil rouge des débats aux cours desquels ont été entendues les voix des militants, des autorités nationales et des institutions de l’Union européenne.
Le premier panel d’intervenants s’est vu chargé de répondre à la question suivante : Comment l’ICE pourrait-elle mieux tenir sa promesse de démocratie participative ? Bernd Martenczuk, membre du cabinet du premier vice-président de la Commission, Frans Timmermans, a rappelé que l’ICE constituait un instrument important visant à reconnecter l’Union et ses citoyens. Sans résoudre à elle seule le déficit démocratique dont souffre l’Union, l’ICE est un moyen d’y parvenir. Si aucune initiative n’a pour l’instant conduit la Commission à formuler une nouvelle proposition législative, elles ont le mérite d’avoir suscité un débat public. Pour Bernd Martenczuk, au regard du nombre d’ICE déclarées irrecevables, une meilleure compréhension des contours des compétences de la Commission est nécessaire. Une autre piste d’amélioration consiste à rendre l’outil plus user-friendly, plus facile d’accès et simple d’utilisation pour les organisateurs. Toutes ces mesures supposent qu’une réflexion soit menée sur la manière d’améliorer la communication à tous les stades, à savoir avant le dépôt de l’ICE, pendant le processus de collecte et après la clôture de la procédure. En conclusion de son intervention, Bernd Martenczuk a indiqué que pour lui, le modèle des auditions au Parlement européen était adapté et devait se poursuivre. Inga Reine, actuelle présidente du groupe Affaires générales du Conseil en ce qui concerne l’ICE, a appelé à une meilleure compréhension par les organisateurs du mécanisme de l’ICE et de ses implications ; tout en estimant que la Commission, elle aussi, devait améliorer sa lecture des initiatives présentées. Madame Reine a ainsi résuné la réforme de l’ICE en quatre mots : sensibilisation, simplification, accessibilité et proportionnalité. Pour elle, il n’y a pas nécessairement besoin de réviser le règlement relatif à l’ICE. György Schöpflin, membre du Parlement européen et rapporteur sur l’ICE pour la commission des affaires constitutionnelles (AFCO), n’est pas du tout de cet avis. Pour lui, il faut changer le droit européen en la matière. L’ICE est un acte politique qui devrait être reconnu comme tel, même en cas d’échec de l’initiative soutenue, a-t-il souligné. La modification du droit européen devrait passer par la mise en place d’un système de guichet unique dans les 28 Etats membres pour palier aux différentes législations en vigueur qui constituent un véritable cauchermar pour les organisateurs d’ICE. Cela va de pair avec l’amélioration du logiciel actuel de collecte des soutiens qui n’est pas optimal, au regard des retours des organisateurs d’ICE.
Les retours d’expérience ont d’ailleurs apporté des arguments et pistes de réflexion au deuxième panel. Pour que l’ICE fonctionne pour tous : comment faire plus simple ? Telle est la question qui a été posée aux intervenants. Tina Nilsson, membre du Bureau du Médiateur européen, est revenue sur les plaintes reçues à ce sujet. La Médiatrice européenne, Emily O’Reilly, a formulé en mars 2015, onze lignes directrices destinées à améliorer la procédure de l’ICE. Elle plaide ainsi pour que les organisateurs d’ICE soient mieux orientés et que les décisions de rejet soient expliquées de façon cohérente et compréhensible, tout comme les suites données aux ICE recevables. Le débat public résultant d’une initiative citoyenne devrait également être plus transparent et inclusif. La Médiatrice appelle la Commission à améliorer le logiciel de collecte des signatures ainsi que les contrôles qualité relatifs au financement et au sponsoring. Enfin, des critères plus simples et uniformes pour la collecte des signatures dans tous les Etats membres seraient une avancée importante. En guise de réponse, Carmen Prising, chef d’unité au Secrétariat général de la Commission, a fait falloir que la Commission était confrontée de manière quotidienne à la complexité de l’ICE. Face aux questions des citoyens, notamment des organisateurs, la Commission tente de fournir des lignes directrices, de simplifier le mécanisme dans le cadre actuel et passe beaucoup de temps à répondre à leurs requêtes par email ou téléphone. Carmen Prising a affirmé que la Commission avait adopté une posture d’écoute et de dialogue et rappelé que la proposition initiale de la Commission était plus simple que le texte final du Règlement 211/2011. Le point de vue des Etats membres a ensuite été présenté par Sabine Eckart du ministère fédéral de l’intérieur allemand et membre du groupe d’experts sur l’ICE. Seuls les citoyens de l’Union peuvent apporter leur soutien à une ICE. La citoyenneté est donc la première information que les Etats membres doivent vérifier lorsqu’ils certifient les signatures apportées. Cependant, il n’existe aucun fichier à l’échelle de l’Union qui regroupe ces informations. Aucun registre européen de données n’existe, rendant ainsi difficile la tâche des Etats. Pour Sabine Eckart, compte tenu des différents cadres juridiques existants, il semble compliqué d’imaginer la mise en place d’un système unique de collecte des données ; système pourtant réclamé par les organisateurs d’ICE à l’image de Prisca Merz. Membre du comité de citoyens de l’initiative « End Ecocide », Prisca Merz a déploré la complexité du mécanisme en place. Les citoyens rechignent parfois à fournir les données demandées lors de la signature d’une initiative, de peur d’une usurpation d’identité. Lorsque ces gens abandonnent avant d’avoir rempli le formulaire en entier, la perte est énorme en termes de démocratie, a-t-elle souligné. De même, certains citoyens ne peuvent apporter leur soutien à une ICE. C’est le cas des britanniques vivant en Autriche par exemple. Une telle situation n’est pas acceptable pour Prisca Merz qui demande également que le choix de la date de début de collecte des signatures soit laissée à l’appréciation des organisateurs. Stanislas Jourdan, membre du comité de citoyens de l’initiative « Unconditional Basic Income », a quant à lui incriminé la Commission. En effet, celui-ci considère que l’institution adopte une interprétation restrictive de ce qui est admissible ou non dans le cadre de l’ICE, et par là, bloque des initiatives avant même le début de la collecte des déclarations de soutien. En réponse, Carmen Prising a indiqué que l’interprétation des compétences de la Commission était uniquement juridique. De ce fait, parfois une simple reformulation peut conduire à la validation d’une ICE qui avait été préalablement refusée. La Commission propose également un soutien aux organisateurs, mais, pour l’heure, aucun d’entre-eux n’y a eu recours.
De manière plus spécifique, le troisième panel s’est concentré sur le volet numérique. Gilles Feith, du Centre des technologies de l’information de l’Etat du Luxembourg, a présenté l’outil d’aide à la certification créé au Luxembourg pour appuyer l’ICE. Ainsi, les organisateurs luxembourgeois d’une initiative citoyenne peuvent demander la vérification de leur système de collecte en ligne en vue d’obtenir une certification. Cet outil pourrait inspirer les institutions européennes dans le cadre de la réforme de l’ICE. De son côté, Xavier Dutoit, expert en informatique pour l’ICE « Right to Water », a présenté le cas du Royaume-Uni qui dispose d’un outil : e-petition. Ce dernier est une plateforme par laquelle des pétitions peuvent être adressées au gouvernement britannique. 5 millions de signatures sont recueillies chaque année. Moins de deux minutes sont nécessaires pour apporter son soutien à une pétition et les citoyens peuvent le faire en utilisant leur téléphone mobile. En ce qui concerne l’OCS, système de collecte pour l’ICE, les signataires doivent compléter quatre étapes et ne peuvent le faire via leur téléphone mobile. Xavier Dutoit a déploré que l’OCS ne permette pas non plus de collecter les adresses email des signataires. Il est nécessaire pour les organisateurs de rester en contact avec leurs soutiens, notamment pour les informer des suites données à l’initiative qu’ils ont soutenue. Pour « Right to Water », seul 1% des 2 millions de signataires a pu être informé, a-t-il déploré. Un autre outil présenté par Madara Peipina a suscité l’intérêt des participants. En Lettonie, une plateforme numérique nationale a été créée par les pouvoirs publics pour établir un dialogue entre les citoyens et les institutions. Sur cette plateforme, gérée par une ONG, les citoyens peuvent publier et signer des initiatives. (ManaBalss.lv) La validation de la participation s’effectue par le biais d’une autorisation bancaire. Toute personne titulaire d’un compte bancaire peut ainsi signer une initiative. Dans un second temps, la banque valide la participation en transmettant le nom, prénom et numéro de pièce d’identité du signataire. Ces trois exemples constituent des pistes de réflexion concernant la réforme du système de collecte en ligne de l’ICE.
Sur une note très positive, l’avenir de l’ICE a été questionné par le dernier panel. Anne-Marie Sigmund, membre du Comité économique et social européen, a insisté sur le fait que l’ICE contribue au développement d’un espace public européen. Argument repris par Sophie Hatzfeldt de Democracy International, qui considère que si l’ICE a pour objet de susciter une action politique, un changement législatif, il faut également tenir compte du fait qu’au moment du dépôt de l’ICE, les priorités politiques peuvent être différentes. Les principaux obstacles au bon fonctionnement de l’ICE ont ensuite été résumés par Alexandrina Najmowicz du Forum civique européen. Parmi eux, l’étape de la déclaration de soutien constitue un challenge pour les signataires qui doivent affronter une procédure longue et complexe et transmettre leurs données personnelles. Pour une personne handicapée, signer une ICE relève du parcours du combattant. Du côté des organisateurs, le fait que la traduction de leur initiative soit de leur ressort apparaît comme un fardeau. Le règlement 211/2011 stipule, en effet, que « la traduction de la proposition d’initiative citoyenne dans d’autres langues officielles de l’Union relève de la responsabilité des organisateurs ». Ajoutant à cela le manque de capacité de suivi, l’absence d’une réelle période de collecte des signatures et les cadres juridiques divers, Alexandrina Najmowicz considère qu’il est difficile d’être organisateur d’une ICE en l’état actuel des choses. Enfin, pour conclure ce panel, Elisa Bruno du Service d’action des citoyens européens a esquissé trois solutions à ces obstacles : mieux communiquer, mieux s’engager et mieux faire connaître l’ICE.
En dépit de la réponse négative adressée aux organisateurs de « Stop Vivisection » et en l’absence de toute législation issue d’une ICE, un certain optimisme s’est dégagé des débats de la conférence du 16 juin. L’ICE semble avoir un avenir dans la sphère démocratique européenne, à condition que tous les obstacles et faiblesses du système tel qu’il existe aujourd’hui soient pris en compte à l’occasion d’une prochaine révision du Règlement 211/2011.
Charline Quillérou
Pour en savoir plus
-. Communication de la Commission sur l’initiative citoyenne européenne « Stop vivisection » http://ec.europa.eu/environment/chemicals/lab_animals/pdf/vivisection/fr.pdf (FR) http://ec.europa.eu/environment/chemicals/lab_animals/pdf/vivisection/en.pdf (EN)
-. EU-Logos, « Stop Vivisection : l’expérimentation animale en débat au Parlement européen » http://europe-liberte-securite-justice.org/2015/05/22/stop-vivisection-lexperimentation-animale-en-debat-au-parlement-europeen/ (FR)
-. Directive 2010/63/UE du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2010:276:0033:0079:fr:PDF (FR)
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2010:276:0033:0079:en:PDF (EN)
-. Règlement 211/2011 relatif à l’initiative citoyenne européenne http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:065:0001:0022:fr:PDF (FR) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:065:0001:0022:en:PDF (EN)
-. Rapport de la Commission sur l’application du Règlement UE n° 211/2011 relatif à l’initiative citoyenne, 31 mars 2015 http://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2015/FR/1-2015-145-FR-F1-1.PDF (FR)
http://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2015/EN/1-2015-145-EN-F1-1.PDF (EN)
-. Décision du Médiateur européen du 4 mars 2015 sur l’ICE http://www.ombudsman.europa.eu/en/cases/decision.faces/en/59205/html.bookmark (EN)
-. EU-Logos, « L’initiative citoyenne européenne (ICE) : un outil de démocratie directe en perdition » http://europe-liberte-securite-justice.org/2015/04/25/linitiative-citoyenne-europeenne-ice-un-outil-de-democratie-directe-en-perdition/ (FR)
-. Dossier des articles sur l’ICE dans Eulogos/Nea say http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=3539&nea=157&lang=fra&arch=0&term=0