Le directeur général d’EASO était au Parlement européen ce jeudi 16 juillet pour la présentation du rapport annuel du bureau européen sur la situation en matière d’asile au sein de l’UE. Retour sur une année marquée par les conflits syrien et ukrainien, et le développement des violences en Érythrée qui ont conduit à une explosion des demandes de protection internationale.
Asile, réfugié, protection subsidiaire, protection temporaire et immigration quelles sont les différences ?
Pour comprendre les enjeux du rapport, à savoir les dynamiques migratoires actuelles, il convient de revenir sur cette série de concepts. En effet, toutes les personnes à qui l’on reconnait une forme de protection internationale sont des migrants, mais tous les migrants ne sont pas demandeurs ou bénéficiaires d’une mesure de protection internationale. On peut donc émigrer pour de nombreuses raisons (économiques, éducatives, professionnelles, etc.), mais on ne peut obtenir la qualité de réfugiée que pour des motifs spécifiques, généralement encadrés par des conventions internationales.
Cette distinction entre protection internationale et immigration est fondamentale. En effet, si les états contrôlent de manière discrétionnaire les modalités d’immigration légales (et peuvent donc refuser d’accueillir des personnes), les demandes de protection internationales s’accompagnent du principe de non-refoulement. Ainsi, conformément à la convention de Genève de 1951, reprise par les articles 18 et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, les États membres sont tenus d’examiner les demandes d’asile des ressortissants de pays tiers et de les accueillir sur leur territoire, le temps que la demande soit traitée.
Il faut dire que l’asile est une mesure d’urgence qu’un État accorde à un étranger qui est, ou qui risque d’être, persécuté dans son pays, que ce soit par les autorités ou par des acteurs non étatiques. Il existe plusieurs formes traditionnelles de protection au titre du droit d’asile ; le statut de réfugié et la protection subsidiaire, auxquels s’ajoute la protection temporaire.
Le statut de réfugiée peut être accordé à toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »
La protection subsidiaire concerne les personnes qui ne remplissent pas les conditions d’obtention du statut de réfugié et qui peuvent prouver qu’elles sont exposées dans leurs pays à des menaces graves, directes et individuelles contre leurs vies ou leurs personnes, en raison d’une violence généralisée, résultat d’une situation de conflit armé interne ou internationale, à la peine de mort, à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants.
La protection temporaire est un dispositif exceptionnel, pouvant être mis en place par le Conseil de l’UE pour une période d’un an et être prolongé de 2 ans, en cas d’afflux massif de personnes déplacées à cause d’un conflit armé ou de violations graves et répétées des droits de l’homme. Ce mécanisme à par exemple été très utile au moment du conflit dans les Balkans. Il ne s’agit cependant pas d’asile stricto sensu, mais d’une mesure de protection exceptionnelle et temporaire.
Le rapport du bureau européen d’appui en matière d’asile ne concerne donc que des personnes ayant émigré en 2014 au titre du droit d’asile, ou du moins, dans l’espoir d’obtenir le droit d’asile.
Les chiffres clefs de l’asile en 2014
660 000 demandes d’asile formulées en 2014 sur l’ensemble du territoire européen, soit une hausse de +43% par rapport à l’année 2013. Sans surprises, les réfugiés en provenance de Syrie sont les plus nombreux (environ 130 000 personnes), suivis par ceux en provenance des Balkans (110 000 personnes, principalement Serbie et Kosovo), d’Érythrée, et d’Afghanistan. Les demandeurs ukrainiens sont quant à eux 13 fois plus nombreux qu’en 2013, portant leur nombre à 14 000 personnes. Cette tendance ne devrait par ailleurs pas s’inverser en 2015 puisque le nombre de demandes de protection internationale a augmenté de 68% par rapport à la même période l’an dernier.
Sur ces 660 000 migrants, presque 14 000 étaient des mineurs non accompagnés et plus de 500 000 étaient toujours dans l’attente d’une décision. Le système européen n’est donc actuellement pas en mesure de traiter dans des délais raisonnables les demandes d’asiles. La création des hotspots devrait contribuer à améliorer la situation. Le directeur d’EASO s’est d’ailleurs félicité des résultats du premier hotspot installé en Sicile en le qualifiant de « good concept of working gather ». L’ensemble des décisionnaires européens, que ce soit au Parlement ou au Conseil, semblent d’ailleurs satisfait de l’instauration de ces centres de gestion de crise.
Pour la troisième année de suite, l’Allemagne est le pays le plus attirant pour les migrants avec plus de 200 000 demandes d’asiles reçues. Il est également le plus accueillant avec un peu plus de 47 500 demandes d’asile reconnues. Ceci explique probablement pourquoi 9 migrants sur 10 font du pays de Goethe leur premier choix de destination et que plus de 65% des migrants attendant une décision sont en Allemagne. Le podium est complété par la Suède (33 000 migrants accueillis en 2013) et l’Italie (20 600 migrants). La France et l’Angleterre n’ont quant à elle accepté de donner l’asile qu’à 14 000 personnes en 2014.
Autres chiffres marquant du rapport, la différence entre le taux de reconnaissance du droit d’asile en fonction de la nationalité sur la période 2010-2014. Ainsi, sur 80 000 demandes en provenance de Syrie, plus de 75 000 ont été acceptées, alors que dans le même temps, sur plus de 100 000 demandes en provenance des Balkans, il a seulement été fait droit à 5 000 personnes. Les pays européens considèrent, au même titre que le EHCR, que les pays des Balkans sont des endroits surs, ne justifiant pas le droit d’asile. Certes, la guerre – le massacre – en Syrie a déjà fait plus de 200 000 morts depuis 2011 mais on peut quand même s’interroger sur les raisons qui poussent ces gens à demander l’asile dans de telles proportions. La question a d’ailleurs été posée en séance par Cecilia Wikstrom, eurodéputée suédoise ALDE, sans que le directeur de l’EASO soit capable d’apporter une véritable explication.
Enfin, le rapport montre que l’itinéraire Est de la Méditerranée (depuis la Turquie vers la Grèce) a désormais dépassé celui de la Méditerranée centrale (depuis l’Afrique du Nord vers l’Italie) et constitue aujourd’hui la principale porte d’arrivées des demandeurs d’asile.
Une amélioration de la législation et une meilleure prise en charge des demandeurs d’asile
Même si la situation n’est pas optimale, eu égard au nombre sans précédent de demandeurs d’asile, les administrations nationales semblent avoir pris la mesure du problème. Les procédures ainsi que la protection des droits des demandeurs d’asile ont en effet été améliorées. Conscient de la nécessité d’apporter une réponse aux personnes en attentes, 47 % des demandes d’asile traitées ont été acceptées en première instance, alors qu’elle n’était que de 35 % en 2013. Cette hausse s’explique aussi par une meilleure application par les états de la protection subsidiaire. Corollairement, les États ont amélioré les procédures de retour volontaire et obligatoire, sur la base de la directive « retour », afin de les rendre plus efficientes.
Par ailleurs, le fonds européen d’asile et d’immigration, financé à 3,137 milliards et rentré en vigueur en avril 2014, a déjà été la source de financement de nombreux projets, notamment en Italie, en Bulgarie, à Chypre, en France et en Hongrie, ou des infrastructures d’accueil et de réception ont été construites.
Certains indicateurs sont donc encourageants pour les demandeurs d’asile. Les législations nationales ont par exemple été améliorées en faveur des demandeurs dans presque tous les pays européens. En Allemagne par exemple, une loi sur l’amélioration du statut des demandeurs d’asile a été adoptée, autorisant les postulants se trouvant dans le pays depuis 3 mois, à pouvoir se déplacer et à avoir accès au marché du travail. En Suède, les parents d’un enfant ayant besoin d’une protection et qui ne peuvent pas eux-mêmes bénéficier de ladite protection peuvent, depuis le 1er janvier 2015, se voir attribuer un permis de résidence s’ils se trouvent en Suède. De même, les politiques de détention des demandeurs ont quant à elles été révisées dans de nombreux pays, avec une tendance à l’introduction d’alternatives à la privation de liberté pour les personnes en attente d’une décision.
Suivant cette tendance, la Cour européenne de justice et la Cour européenne des droits de l’Homme ont elles aussi œuvré en faveur d’une meilleure protection du droit des migrants. Dans l’affaire Diakite, la CJUE a par exemple reconnu que la notion « de conflits armés » ne devait pas être évaluée sur la base des critères traditionnels du droit international humanitaire et qu’une définition plus extensive avait vocation à s’appliquer au sein de l’Union européenne, assouplissant de facto, les critères pouvant donner lieu à la reconnaissance du droit d’asile.
Plus d’information, un meilleur traitement des demandes et une uniformisation des conditions de réception; les grands défis de 2015
Si le rapport de l’EASO est encourageant – à défaut d’être positif -, il met tout de même en lumière un certain nombre de lacunes dans la gestion des demandes d’asile. La première est évidemment la durée du traitement des demandes. Avec plus de 500 000 « pending case » non traités à la fin de l’année 2014, l’EASO pointe la nécessité d’améliorer la vitesse des procédures. On comprend cependant qu’avec plus de 7 millions de personnes déplacées pour la seule Syrie depuis le début du conflit en 2011, le système soit encombré. Le récent accord sur la prise en charge de 32.256 demandeurs d’asile pour soulager la Grèce et l’Italie, devrait certes améliorer un peu la situation même s’il ne s’agit que d’une goute d’eau dans un océan.
Par ailleurs, le rapport pointe la nécessité d’offrir aux demandeurs des conditions de réceptions équivalentes dans tous les états membres, afin que les demandeurs puissent bénéficier des mêmes conditions de traitement, quel que soit le pays au sein duquel ils introduisent leur demande.
Le bureau de soutien souligne également l’importance d’augmenter la capacité des structures d’accueil temporaire. En effet, si elles ont été accrues dans tous les pays, notamment en Hollande, où des gymnases ont été transformés en centre d’accueil et en France, où 4 000 places supplémentaires ont été créées, les efforts consentis ne sont pas suffisants pour absorber l’accroissement substantiel du nombre de demandeurs d’asile.
Faisant échos aux 14 000 migrants mineurs non accompagnés arrivant en Europe, l’étude souligne également l’importance de proposer des mesures plus adaptées aux migrants en situation vulnérable. Par exemple, la création d’une procédure commune spécifique, pour les demandeurs ayant besoin de garanties procédurales renforcées. De telles procédures existent déjà, mais ne sont pas uniformisées, conduisant à un traitement asymétrique des personnes en situation de vulnérabilité.
Les députés européens ont d’ailleurs encouragé l’EASO à renforcer ses moyens d’informations, notamment au niveau des circulations migrations secondaires (d’un pays européen à un autre pays européen). En l’absence de contrôle aux frontières, cela semble complexe. On peut cependant se féliciter que l’ensemble des institutions européennes ait pris conscience qu’une politique d’asile efficace reposait en grande partie sur une meilleure appréhension des situations et des antécédents des demandeurs d’asile. C’est d’ailleurs seulement à cette condition que pourra être réalisé un régime d’asile commun.
Vers la nécessité d’établir une politique commune d’asile à l’échelle européenne
Reprenant la proposition faite par la Commission en mai, au moment de la publication de l’agenda sur l’immigration, l’EASO conclut son rapport en rappelant l’importance d’établir une politique commune d’asile et de revoir le règlement de Dublin. Ce serait de manière incontestable une véritable avancée, aussi bien pour les demandeurs d’asile que pour l’Union européenne. Il est en effet temps que les États membres mettent de côté leurs égoïsmes nationaux et s’accordent pour apporter une réponse collective à ce problème global.
Aurelio Volle
Pour en savoir plus ;
-. Annual Report on the Situation of Asylum in the European Union 2014 : https://easo.europa.eu/wp-content/uploads/EASO-Annual-Report-2014.pdf
-. Manuel de droit européen en matière d’asile, de frontières et d’immigration : http://fra.europa.eu/sites/default/files/handbook-law-asylum-migration-borders_fr.pdf
-. Convention de Genève de 1951 : http://www.ohchr.org/EN/Pages/WelcomePage.aspx