Le 23 juin dernier, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a accueilli favorablement le rapport sur l’Amélioration de la protection des donneurs d’alerte présenté par le rapporteur de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme, Pieter Omtzigt. Suite à la présentation de ce rapport, l’APCE a approuvé deux documents visant l’amélioration de la protection des lanceurs d’alerte : la Résolution 2060 (2015) et la Recommandation 2073 (2015). Ces documents invitent le Conseil de l’Europe à « convenir d’un instrument juridique contraignant sur la protection des donneurs d’alerte » et lancent un appel aux Etats-Unis afin de permettre à Edward Snowden de rentrer dans son pays sans craintes de possibles poursuites pénales à son encontre.
Le cas de ce jeune informaticien, ayant révélé à des médias anglophones, en juin 2013, des détails sur des programmes de surveillance de la NSA à l’encontre de l’Union Européenne et de ses citoyens, avait lancé un grand débat européen sur la protection de la vie privée mais surtout sur le rô̂le des donneurs d’alerte dans la société. Cette thématique a fait l’objet de plusieurs initiatives législatives de la part des institutions européennes et le dernier travail de l’APCE en est la preuve. En analysant les initiatives européennes pour la protection des lanceurs d’alerte on peut se demander quelle position que ces derniers occupent au sein de l’Union Européenne et comment les institutions peuvent donner la voix à ces figures dans des domaines nationaux aussi fermés que la sécurité nationale et les renseignements.
Dès la publication des révélations du lanceur d’alerte, Edward Snowden, sur les agissements du NSA, l’Union Européenne a lancé un débat approfondi sur la surveillance de masse et le rôle des lanceurs d’alerte dans la société.
Cette affaire à peine éclatée, le Parlement a annoncé, dès septembre 2013, sa volonté de lancer une proposition de directive concernant la surveillance de masse et le 12 mars 2014 a adopté la résolution concernant « le programme de surveillance de la NSA, les organismes de surveillance dans divers États membres et les incidences sur les droits fondamentaux des citoyens européens et sur la coopération transatlantique en matière de justice et d’affaires intérieures ». Cette adoption succède à l’approbation du rapport (2013/2188) de Claude Moraes, président de la commission LIBE. Ce rapport demande aux autorités américaines et aux États membres de l’Union européenne « d’interdire les activités de surveillance de masse aveugle » et de protéger le droit à la vie privée des citoyens européens. En ce qui concerne la position des lanceurs d’alerte, le rapport invite la Commission à créer un programme européen commun visant la protection de ces nouvelles figures de la société démocratiques. Leur rôle important dans la révélation de dangers pour l’intérêt général est indispensable et le Parlement Européen demande une protection internationale pour les lanceurs d’alerte contre des possibles poursuites judiciaires. Selon le rapport « le mot trahison pour les lanceurs d’alerte n’a aucune légitimité ».
Cependant la préoccupation concernant la protection des lanceurs d’alerte n’est pas nouvelle. Déjà en 2010, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe avait approuvé la résolution 1729 (2010) en la matière, ce qui a aboutit 4 ans plus tard à la Recommandation du Comité des Ministres [CM/Rec (2014)7] du 30 avril 2014. Cette recommandation concerne la Protection des Lanceurs d’alerte, axée sur la protection des Droits de l’Homme et visè la définition du statut du lanceur d’alerte au niveau européen. Elle définit le terme « lanceurs d’alerte » (« toute personne qui fait des signalements ou révèle des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, qu’elle soit dans le secteur public ou dans le secteur privé ») et prône la création d’un cadre national normatif, judiciaire et institutionnel dans chaque Etat membre afin de faciliter et protéger les révélations d’informations utiles à l’intérêt général.
Le document présente donc 29 recommandations destinées aux Etats membres et un exposé des motifs concernant l’importance de ce sujet. Premièrement le cadre national des pays européens devrait favoriser un système facilitant, tant dans le secteur privé que dans le secteur public, tout signalement ou révélation concernant un danger pour l’intérêt général. Toute personne devrait agir en ce sens sans craintes de poursuites ou de représailles dans le monde du travail: les lanceurs d’alerte doivent être assurés d’une protection face à la menace de licenciement, suspension, rétrogradation, mutation, modification salariale ou poursuite judiciaire. Le texte met en avant l’importance du lanceur d’alerte en Europe : les alertes dissuaderaient les « actes répréhensibles » et renforceraient « la responsabilité et la transparence démocratiques » tout en dénonçant les actes qui porteraient préjudices à la société. Les lanceurs d’alerte seraient dès lors des figures démocratiques qui agiraient pour le seul intérêt général et qui seraient utiles pour améliorer le service public et les organisations privés.
Ainsi l’action de l’Union Européenne semble vouloir mettre au premier plan le rôle et l’action de la société civile afin d’assurer la promotion de la démocratie ouverte.
Cela est confirmé par une autre Résolution de l’Assemblée parlementaire sur la sécurité nationale et l’accès à l’information du 2 octobre 2013. Cette dernière [Résolution 1954(2013)] souligne l’adhésion de l’Assemblée aux Principes de Thswane, c’est-à-dire les Principes Globaux sur la sécurité et le droit à l’information, lancés le 12 juin 2013 par le projet initié par Open Society Justice Initiative avec la collaboration de l’ONU et de l’OSCE . Le projet avait pour but la création de règles guidant les institutions impliquées dans la mise en œuvre de lois concernant la sécurité et l’information. En analysant ces principes on peut voir que la protection des lanceurs d’alerte contre les représailles y est proposée.
Dernièrement l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Union a approuvé une nouvelle résolution concernant l’amélioration de la protection des lanceurs d’alerte. En effet, après la présentation du rapport de Pieter Omtzingt, l’ APCE a adopté une Résolution avec 88 voix pour, 7 contre et 10 abstention et une Recommandation avec 86 voix pour, 7 contre et 9 abstentions. Les deux documents visent̀ l’amélioration de la protection des lanceurs d’alerte par le biais d’une action européenne commune et son application dans les pays membres et donc au renforcement des mesures déjà adoptées par l’Union Européenne. Le rapport de Omtzingt, se penche longuement sur le cas de Edward Snowden qui, accusé de trahison par son propre pays se trouve actuellement en Russie en tant que réfugié. Les révélations de Edward Snowden sont des dénonciations à l’égard de la NSA pour atteinte aux droits fondamentaux, en particulier le droit à la vie privée, et les abus de l’autorité publique. Ayant agit de la sorte pour l’intérêt général, Snowden a acquis le statut de lanceur d’alerte, ce qui lui confère le droit d’être protégé de toute mesure de rétorsion ou de poursuite judiciaire. Tout en exhortant les Etats-Unis à arrêter toute poursuite contre Snowden, le rapport entre temps demande à l’un des pays européen visés par les programmes de surveillance de la NSA, de donner l’asile au jeune informaticien.
Mais si d’un côté l’action européenne semble vouloir protéger ces « défenseurs de la démocratie », en ce qui concerne l’économie et la croissance, le discours européen est différent. En effet, selon la proposition de directive de la Commission du 28 novembre 2013 sur la «Protection des savoir-faire et des informations commerciales non- divulguées contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites », le « Secret des Affaires » est mis en avant au bénéfice des entreprises, protégées alors juridiquement contre les vols de documents et l’espionnage économique. Ce fléau dont sont victimes les entreprises européennes a donc poussé l’UE à agir dans cette direction, ce qui a été vu comme une menace envers la liberté d’expression et l’exercice des journalistes et des lanceurs d’alerte. En effet, cette directive a été vivement critiquée malgré le fait que l’article 4 défend l’action des lanceurs d’alerte si «l’obtention, l’utilisation ou la divulgation présumée du secret d’affaire ait été nécessaire à cette révélation et que le défenseur ait agi dans l’intérêt public » et défend « l’usage légitime du droit à la liberté d’expression et d’information ». Le 16 juin dernier, la commission des affaires juridiques du Parlement européen a adopté la directive, dernière étape avant la votation du texte en séance plénière du Parlement Européen. Les critiques envers le Secret des Affaires ne concerne pas que l’action européenne mais aussi la politique française : en janvier 2015, l’Assemblée Nationale a réfuté les dispositions de la Loi Macron concernant ce sujet. La mobilisation des journalistes et de l’opinion publique ne vise donc pas seulement l’action européenne. Le Secret des Affaires serait alors un sujet sensible et vu comme liberticide par les journalistes qui dénoncent notamment le manque de protection envers les donneurs d’alerte.
Le sujet est donc au cœur des préoccupations européennes au même titre que la protection des données et le droit à la vie privée des citoyens. Par contre en ce qui concerne la protection des lanceurs d’alerte et l’affaire Snowden, la situation semble par contre à l’arrêt, ce qui est compréhensible vu le contexte général mais cette situation peut être modifiée après l’annonce de la commissaire européenne à la Justice, Vera Jourova, une annonce susceptible de relancer la question des « lanceurs d’alerte » si le Parlement européen saisit bien cette oppotunité qui lui est offerte. Le 8 septembre dernier, elle a annoncé que les négociations avec les États-Unis sur l’accord-cadre général de protection des données avaient été finalisées après 4 ans de discussions. La lutte contre la criminalité et en particulier la lutte contre le terrorisme a pris, alors, le dessus sur toute autre considération dans le programme politique européen pour laisser la priorité à la conclusion d’accords avec les Etats- Unis.
Emilie Gronelli
-. Rapport Moraes : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=- //EP//NONSGML+REPORT+A7-2014-0139+0+DOC+PDF+V0//FR
-. Résolution du Parlement européen du 12 mars 2014 sur le « le programme de surveillance de la NSA, les organismes de surveillance dans divers États membres et les incidences sur les droits fondamentaux des citoyens européens et sur la coopération transatlantique en matière de justice et d’affaires intérieures » http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&language=FR&reference=P 7-TA-2014-0230
-. Résolution 1729 (2010) de l ‘Assemblée Parlementaire http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=17851&lang=FR
-. Recommandation du Comité des Ministres [CM/Rec (2014)7] du 30 avril 2014 https://www.coe.int/t/dghl/standardsetting/cdcj/CDCJ%20Recommendations/CMRec (2014)7F.pdf
-. Résolution 1954 (2013) sur la Sécurité nationale et l’accè̀s à l’information http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=20190&lang=FR
-. Principes de Thswane https://www.opensocietyfoundations.org/sites/default/files/tshwane-french- 20150209_0.pdf
-. Rapport de Pieter Omtzingt sur l’amélioration de la protection des lanceurs d’alerte http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/X2H-Xref-ViewPDF.asp?FileID=21651&lang=fr
-. Articles de Nea say Eulogos sur les lanceurs d’alerte http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=3598&nea=159&lang=fra&arch=0&term=0
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