« Nous pouvons réussir ensemble et uni ou nous pouvons échouer chacun à notre façon, dans notre propre pays, dans nos propres îles ». Une mort pour réveiller les consciences ?
Le Premier Vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, affirmait fermement dans un communiqué de presse du vendredi 4 septembre : « On est face à un défi mondial qui exige une solidarité de tous les États membres ».
À la une de la presse européenne s’est récemment trouvée une image , forte qui est devenue le symbole du drame migratoire. C’était le corps sans vie d’un petit enfant de trois ans trouvé sur les plages turques. Son nom était Aylan Kurdi. Il était l’un des nombreux enfants syriens à fuir la guerre civile de leurs pays d’origine pour rejoindre l’Europe. Malheureusement, l’embarcation sur laquelle se trouvait Aylan et sa famille, et au moins une douzaine d’autres personnes, coula au large de l’île de Kos.
Réagissant à cette image, le Directeur exécutif du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef), Anthony Lake, a appelé jeudi 3 septembre les États européens à ne pas perdre de vue le caractère profondément humain de la crise actuelle.
106 000 enfants réfugiés en Europe.
Un quart de ceux qui cherchent refuge en Europe sont des enfants : parmi eux environ 2 millions d’enfants syriens ont fui leur pays. Dans les six premiers mois de cette année, ce sont 106.000 enfants qui ont demandé l’asile. C’est ce que signale l’Unicef sur la situation des migrants et des réfugiés enfants en Europe.
Dans un communiqué de presse rendu public à New York, M. Lake a déploré : « alors que la crise des réfugiés et migrants en Europe s’aggrave, ces images choquantes ne seront pas les dernières à circuler à travers le monde sur les réseaux sociaux, sur nos écrans de télévision et à la une de nos journaux ».
Les États membres se sont dits scandalisés devant cette énième tragédie. Mais le monde ne doit pas seulement être choqué. Le choc doit se traduire en action. Car ces enfants n’ont pas
choisi de vivre ce calvaire qui est hors de leur contrôle. Ils ont besoin de protection. Ils ont le droit à la protection.
Cette image s’est voulue un acte d’accusation face à une Europe tellement hypocrite qu’elle pleure devant des morts qui sont d’autant plus injustes qu’elles sont qu’évitables.
Depuis la publication de l’Agenda sur les Migration par la Commission européenne, 4 mois sont passés. Mais on est encore au point de départ. Parmi les mesures à adopter pour répondre à cette crise, figuraient les répartitions des quotas de migrants en Italie et Grèce. Des progrès concrets n’ont pas encore été réalisés. Nous sommes encore dans l’attente des résultats du Conseil du 14 septembre. Pire même, l’Union européenne accuse, sur certains points, un retour en arrière par rapport au point de départ.
Les gouvernements d’Europe de l’Est se sont déclarés hostiles aux quotas pour répartir les migrants. Cet été, la Hongrie a construit une clôture de 175 kilomètres le long de sa frontière avec la Serbie afin d’empêcher, sans grand succès, l’entrée des migrants. En République Tchèque 216 migrants, dont 61 enfants, ont été marqués au dos de leurs mains pour être identifiés. La réponse donnée par la porte-parole du ministère tchèque de l’Intérieur, Lucie Novakova, était que ce marquage avait été introduit en raison du grand nombre d’enfants parmi les réfugiés. «Notre objectif est d’empêcher que des enfants ne se perdent», a-t-elle encore dit, comme s’ils étaient des animaux ! Et elle a assuré, comme pour justifier son comportement : «Ils ont accepté le marquage, ils n’ont pas de problème avec cela, ils savent que c’est dans leur intérêt». Mais assure Zuzana Candigliota, avocate de la Ligue tchèque des droits de l’Homme, «aucune loi ne permet de marquer les gens de cette manière».
Mais de quelle Europe parle-t-on ? Où sont les valeurs de démocratie et de solidarité sur lesquelles l’Union est fondée ?
A la question qui lui était posée par un journaliste (Le Monde) de comment juger ces pays d’Europe, Laurent Fabius, Ministre des affaires étrangères français, a répondu : « Quand je vois un certain nombre de Pays d’Europe qui n’acceptent pas les contingents (de répartition des réfugiés), je trouve ça scandaleux ».
En effet, tout ceci est un paradoxe pour ces Etats d’Europe de l’Est qui, alors qu’ils ont depuis la fin du XIXème siècle toujours été des terres d’émigration, se disent aujourd’hui hostiles à l’accueil des réfugiés.
Il convient de rappeler un peu l’histoire. Lorsque en octobre 1956, après la fin de la Révolution de Budapest, près de 200.000 Hongrois ont fuit en Autiche et en Yougoslavie dans l’espoir d’avoir une vie meilleure, la réponse des Pays européens fut beaucoup plus solidaire qu’aujourd’hui. Un plan de réinstallation fut mis en place et en février 1957 117.000 personnes se trouvant en Autriche furent réparties vers plusieurs pays d’Europe, grâce à une politique de « quotas » d’accueil, rappelle le Haut-Commissaire aux réfugiés, Antonio Guterres ».
Il eut été bon, que le Premier ministre Hongrois, Viktor Orban, avant le sommet du vendredi 4 septembre 2015 à Prague, se rappelât la solidarité que les États européens montrèrent accueillant leurs réfugiés. Mais le groupe de Visegrad réaffirma finalement son refus des quotas automatiques de réfugiés.
« Quoi que je puisse faire, je serais attaqué, et je pense qu’il y a une réalité là-dessous. Si je protège mes frontières, ça devient un problème, si je ne protège pas mes frontières, c’est aussi un problème. Alors aujourd’hui, on ne sait plus quoi faire pour ne pas être attaqué, » a déclaré Viktor Orban face à la presse, à fin de la réunion des chefs de gouvernement des quatre pays d’Europe centrale.
« Peut-être faudra-t-il cette photo pour que l’Europe ouvre les yeux ? »
Apparemment cet acte provocateur a suscité de nombreuses réactions et poussé les politiques à prendre des engagements.
La France et l’Allemagne ont lancé ce jeudi 3 septembre une initiative sur des « quotas contraignants » pour l’accueil des migrants. « J’ai parlé ce matin au président français. La position franco-allemande que nous allons transmettre aux institutions européennes est que ceux qui ont besoin de protection (…) en bénéficient et que nous avons besoin de quotas contraignants au sein de l’Union européenne pour se partager les devoirs ; c’est le principe de solidarité. » a expliqué la chancelière A. Merkel.
A Paris, François Hollande, a parlé d’un « mécanise permanent et obligatoire » en se référant aux quotas. Un mécanisme qui sera « soumis » le 14 septembre à un conseil des ministres européens de l’intérieur, avant un sommet européen.
L’accord franco-allemand vise aussi à assurer le retour des migrants irréguliers dans leurs pays d’origine et à aider les pays d’origine et de transit.
Aussi le premier ministre Cameron, qui a été critiqué de toutes parts pour son manque d’implication dans la crise, a-t-il cédé à la pression politique intense et annoncé vendredi 4 septembre que la Grande-Bretagne réinstallerait des milliers d’autres réfugiés dans les camps qui bordent le pays ravagé par la guerre.
Devant la presse, l’actuelle Haute Représentante de l’Union pour les affaires extérieures, Federica Mogherini, a ajouté avec un peu de colère…. « J’en ai un petit peu marre du fait qu’on demande aux hommes/femmes politiques de donner une réaction émotionnelle. Oui. Nous devons réagir. Mais de manière cohérente et rationnelle. Il ne faut pas simplement être choqué, mais ensuite être responsable, et prendre les décisions qui découlent de ce sentiment. (…) Notre travail (à nous Politiques) n’est pas d’exprimer de la tristesse, ou d’exprimer une minute de silence mais de faire des propositions, d’améliorer le contexte pour prendre des décisions, et ensuite de veiller à ce que ces décisions soient traduites dans les faits. Et ce rapidement ! »
Elle a ensuite lancé un appel à davantage de conscience européenne. « Cette crise sans précédent, nous ne pourrons pas y faire face par le biais d’une approche isolée des États membres, par une politique intérieure ou extérieure uniquement, il faut que l’Europe agisse vite dans la solidarité et la responsabilité. Chacun commence à comprendre qu’on ne peut plus s’offrir le luxe de pouvoir reporter les décisions à plus tard.»
En se référant à une certaine partie de l’Europe qui, face à ce problème, a montré sa volonté de rester de côté, Frans Timmermans a répondu que cela était impossible ! C’est sur cette base que le Président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker, a présenté le 9 septembre, à Strasbourg, un nouvel ensemble de mesures pour agir en urgence dans la crise des migrants.
Cristina De Martino
Pour en savoir plus :
– . Appel de l’UNICEF
http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=35490
-. Support du Royaume Uni aux réfugiés http://www.theguardian.com/uk-news/2015/sep/05/uk-councils-call-for-more-money-to-support-extra-refugees
-. Appel de Federica Mogherini du 03/09/2015
-. Histoire de la Hongrie sur l’immigration et asile
-. Discours du Premier ministre Hongrie (vidéo ) 04/09/2015
-. Interview Laurent Fabius (vidéo) 30/08/2015
-. Discours du Vice-Président Frans Timmermans du 04/09/2015
http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-15-5595_en.htm