Le Parlement européen a considéré comme un impératif politique d’apporter, en l’espace de quelques jours et à deux reprises, son soutien à la Commission européenne, un soutien qui a son prix après l’échec lamentable du Conseil des ministres sur le plan migratoire proposé par la Commission. Une première fois le 10 septembre elle a appuyé la Commission, un appui sans surprise et massif, puis une deuxième fois le 17 septembre par un vote en urgence (fait exceptionnel) le Parlement a renouvelé sa pression sur les ministres. « L’hiver est là » avait averti Jean-Claude Juncker dans son discours sur l’Etat de l’Union et il avait rappelé : « tout cela nous le savions » !
La partie s’est déroulée en deux mi-temps ! Mais on jouera certainement des prolongations, sans oublier les temps additionnels .
Première mi-temps
Au lendemain de la présentation d’un paquet de nouvelles mesures pour répondre au défi migratoire et à l’afflux de réfugiés, le Parlement a sans surprises soutenu l’action de la Commission européenne dans une résolution adoptée à une large majorité (432 pour, 142 contre, et 57 abstentions. Les députés ont ainsi apporté leur plein appui au mécanisme de répartition obligatoire des demandeurs d’asile et du même coup ils se prononçaient en faveur de la modification du système de Dublin et ils appelaient les Etats membres à se doter de systèmes obligatoires de réinstallation des réfugiés.
La veille le Parlement avait donné son accord à la proposition faite en mai de relocaliser 40 000 personnes depuis la Grèce et l’Italie. Le 11 septembre il a renouvelé son appui au mécanisme pour 120 000 personnes concernant cette fois l’Italie, la Grèce et la Hongrie.
La résolution est commune aux groupes PPE, S&D, Verts/ALE, ADLE (seuls les Eurosceptiques et Europhobes sont restés en dehors du consensus et aussi ce qu’il faut regretter la GUE).La résolution salue « les initiatives de la Commission sur la répartition et la réinstallation, ainsi que la nouvelle proposition de répartition d’urgence d’un nombre accru de demandeurs d’asile ayant besoin d’une protection qui couvre la Grèce, l’Italie et la Hongrie ». Elle appuie « l’annonce par la Commission d’un mécanisme permanent de répartition, qui sera activé en cas d’urgence et tiendrait compte du nombre de réfugiés présents dans l’Etat membre, lequel s’appuie sur l’article 78, paragraphe 2 du Traité sur le fonctionnement de l’UE ».
Les eurodéputés ont assuré à la Commission qu’ils étaient prêts « à examiner le nouveau régime de répartition d’urgence au moyen d’une procédure accélérée » le Parlement européen étant simplement consulté sur ce dispositif. Ils ont également fait part « de leur intention de faire progresser en parallèle, toutes les autres mesures proposées par la Commission de manière à ce que les Etats membres ne retardent pas la mise en œuvre du mécanisme permanent de répartition ».
La Parlement réitère également son souhait d’un mécanisme de répartition obligatoire qui, » dans la mesure du possible, tienne compte des préférences des réfugiés » et « de dispositions communes plus spécifiques sur les visas humanitaires ». Le Parlement demande aux Etats membres à nouveau « de faire en sorte qu’il soit possible de demander asile auprès de leurs ambassades et consulats »La veille dans son discours sur l’Etat de l’Union, Jean-Claude Juncker avait annoncé un paquet sur la migration légale en 2016, notamment sur l’immigration de travail.
Le reste de la résolution soutient la liste des pays sûrs, présentée elle aussi le e 9 septembre par la Commission . Le Parlement e tenu à rappeler fermement que l’établissement d’une telle liste « ne doit pas menacer le principe de non refoulement, ni le droit d’asile de chacun ». Les députés réitèrent leur soutien à l’acquis de Schengen sur la libre circulation des personnes, iles appellent les Etats membres à se saisir de la question « des causes profondes des migrations »lors du sommet de la Valette les 11 et 12 novembre.
Ce soutien des principales familles du Parlement européen aux nouvelles propositions de la Commission n’a pas empêché que s’expriment des divergences entre les groupes, voire au sein des groupes. Eva Joly (Verts/Ale française) a déploré dans un communiqué que le PPE n’ait pas soutenu son amendement permettant d’ouvrir le droit aux demandeurs d’asile de travailler dès qu’ils arrivent : « pourquoi maintenir les demandeurs d’asile dans un statut d’assistanat social quand ils souhaiteraient participer pleinement à la vie du pays qui les accueille ? »
Au sein du PPE des réserves assez fortes ont été exprimées sur le caractère obligatoire du mécanisme, notamment de la part de la délégation française, réserves qui s’étaient déjà exprimées lors du vote de Sa Keller sur le premier outil de relocalisation des 40 000 réfugiés. Cette opposition a été plus particulièrement exprimée par Brice Hortefeux qui s’oppose aux modalités qui ne font qu’entretenir les activités des passeurs et encouragent les mouvements migratoires. Tous les députés du PPE ont toutefois approuvé la résolution à l’exception de Nadine Morano et des députés hongrois du PPE.
Deuxième mi-temps : le Parlement vote en urgence une deuxième résolution pour accentuer sa pression sur le Conseil des ministres !
La proposition d’urgence pour relocaliser 120 000 demandeurs d’asile a été soutenu par le Parlement en un temps record : 370 voix pour, 134 contre, 52 abstentions (372 voix pour, 124 contre et 54 abstentions pour la proposition législative) un soutien obtenu en un temps record, mais au prix de fortes tensions et au prix de la perte d’une soixantaine de voix en faveur de la proposition de la Commission entre les deux votes. Suggéré par le président du Parlement européen, Martin Schulz, le principe du vote a été adopté à main levée : « la crise des réfugiés exige que l’on trouve une solution rapidement » a-t-il justifié avec emportement.
Satisfaction sur le plan du résultat, mais inquiétudes pour l’avenir, le débat, médiocre et plein d’arrières pensées, n’a pas totalement rassuré. Le débat n’a pas été à la hauteur de l’enjeu. Pouvait-on attendre autre chose à partir du moment où l’on s’en remet, comme d’habitude, à la prise de parole par 70 intervenant qui se succèdent toutes les minutes trente secondes à un rythme infernal ? Tenons nous en aux chefs de file des groupes politiques « Pour nous c’est une proposition réaliste, qui respecte la dignité et l’égalité de traitement et qui permet l’exercice de la solidarité entre tous les Etats membres ; c’est une proposition qui nous aide à construire l’Europe et le monde dans lequel nous croyons » a justifié le député PPE Esteban Gonzales Pons. Le chef de file du S&D, Gianni Pitella a aussi estimé qu’il est temps « d’aller de l’avant », en insistant aussi sur les mesures de gestion des frontières extérieures et d’aide à la création des « hotspots », ces centres d’identification des arrivants à défaut d’être des centres d’accueil. Guy Verhofstadt, le leader libéral de l’ADLE a plaidé, une fois de plus, pour un sommet européen qui se pencherait sur une approche plus large, globale de la crise. D’autre familles politique comme CRE ont redit leur refus des quotas et aux extrêmes, les eurosceptiques et europhobes, comme Marine le Pen ont redit leur refus de cette politique de « l’appel d’air » et de la subversion de l’Europe par les islamistes et les terroristes et cela sous le couvert de bons sentiments .
L’idée d’un Sommet européen n’a pas été plébiscité ni par les parlementaires, ni par la présidence luxembourgeoise, ni par la Commission, tous peu convaincus que ce soit la meilleure des choses . La présidence veut avant tout éviter un vote à la majorité qualifiée qui marquerait et soulignerait une rupture entre l’Europe de l’ouest et l’Europe de l’est dont les pays de Visegrad sont parmi les plus réfractaires. Finalement le sommet aura lieu et il ne devrait évoquer que les grands enjeux : la Syrie, les moyens pour faire fonctionner Frontex, l’espace Schengen, les pays dits sûrs, le développement …. Les réunions se multiplient pour trouver des pistes de compromis. La piste des sanctions contre les récalcitrants, à ce stade, n’a pas été retenue. La menace brandie par le ministre de l’intérieur allemand, Thomas de Maizière, a fait long feux, mais elle a marqué les esprits comme la déclaration de la France indiquant qu’elle était prête, elle aussi, à rétablir des contrôles à ses frontières si la situation l’exigeait.
Evaluations d’étape
Optimisme prudent : le 22 septembre vont se réunir à nouveau, l’échec du 14 septembre sera-t-il lavé? Ce sera sans l’aval de la Hongrie . Le soutien des pays de Visegrad n’est pas assuré malgré les efforts de la présidence luxembourgeoise pour les convaincre, un par un. Peut-on considérer la Pologne comme désormais dans le camp de ceux qui soutiennent les propositions de la Commission après les gestes d’ouverture du Premier Ministre Ewa Kopacz ? Les nouvelles routes migratoires posent avec une acuité grandissante le problème des Balkans occidentaux (cf .conférence de presse de Johannes Hahn dans un autre article). Que dire de la Slovénie et de la Croatie, jusqu’ici épargnées mais qui, à leur tour, entre nt dans la tourmente ? La Turquie sera-t-elle incluse dans la liste des pays sûrs ? Quel est l’état réel d’avancement sur le plan opérationnel des Hotspots ? Le système classique de Dublin est-il encore d’application et même de façon temporaire et pour qui ? Bien d’autres questions surgissent dés qu’on s’attarde un peu. C’es t le besoin de clarification qui l’emporte sur bien des considérations , plus que des décisions engageant l’avenir, car difficiles à obtenir dans l’immédiat.
En résumé : un appel vibrant à la solidarité, une critique sévère sur les résultats de la réunion du Conseil, une invitation ferme à prendre des mesures urgentes et à mettre au point un système européen d’asile et de migration qui fonctionnera à long terme. Avant le vote, le Président Schulz a annoncé qu’il allait envoyer une lettre à l’actuel président du Conseil, Xavier Bettel, demandant au nom du Parlement le déblocage de fonds de l’UE pour aider les pays d’accueil se partageant la plus grande partie des réfugiés syriens : le Liban, la Turquie, la Jordanie. Les verts ont insisté pour qu’au cas où le Conseil s’éloignerait de ce qui a été mis sur la table par la Commission, le Parlement serait à nouveau consulté. Cet avertissement figure dans la résolution. Sommes-nous à un tournant dans le rapport de forces entre les Institutions. La semaine qui vient est crucial et pas seulement pour les réfugiés
Pour savoir plus :
-. Résolution législative sur la proposition de décision du Conseil instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie, de la Grèce et de la Hongrie (FR) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2015-0324+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR (EN) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2015-0324+0+DOC+XML+V0//EN
-. Résolution du Parlement européen du 10 septembre 2015 sur les migrations et les réfugiés en Europe (FR) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2015-0317+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR (EN) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2015-0317+0+DOC+XML+V0//EN
-. Agenda européen en matière de migration (FR) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52015DC0240 (EN) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/HTML/?uri=CELEX:52015DC0240&from=FR
-. Proposition de décision du Conseil instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie, de la Grèce et de la Hongrie (EN) http://www.ipex.eu/IPEXL-WEB/dossier/document/COM20150451.do (FR)nhttp://www.ipex.eu/IPEXL-WEB/dossier/document/COM20150451.do
-. Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un mécanisme de relocalisation en cas de crise (EN) http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-do/policies/european-agenda-migration/proposal-implementation-package/docs/proposal_for_regulation_of_ep_and_council_establishing_a_crisis_relocation_mechanism_en.pdf (FR) http://www.ipex.eu/IPEXL-WEB/dossier/document/COM20150450.do