Le lundi 19 octobre dernier, la Commission et le Parlement européen se sont focalisés sur la question de la radicalisation dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Deux initiatives :
-. D’un côté, la Commission européenne, avec la Présidence luxembourgeoise, a organisé la première conférence de haut niveau réunissant tous les ministres européens de la Justice : le but était de trouver une réponse commune et judiciaire à la lutte contre la radicalisation.
-. De l’autre la Commission LIBE du Parlement européen a voté le rapport sur « la prévention de la radicalisation et du recrutement des citoyens européens par les organisations terroristes » présente par l’ex-ministre de la Justice française, Rachida Dati.
L’action européenne contre la radicalisation s’inscrit dans le cadre du « programme européen en matière de sécurité » présenté par la Commission en avril 2015, contre le terrorisme, la criminalité organisée et la cybercriminalité et dans le cadre des engagements pris par les Etats membres lors du Conseil JAI du 15 et 16 juin 2015 concernant la « nouvelle stratégie de sécurité intérieure de l’UE (2015-2020) » dont les actions prioritaires sont la prévention de la radicalisation dans les prisons et la création de programmes de déradicalisation. Mais comment l’Union européenne et les institutions comptent-elles agir pour affronter ce problème grandissant, qui représente une réelle menace pour l’Europe ?
Depuis les attentats de Londres et de Madrid,le problème de la radicalisation a toujours été au centre du débat européen dans la lutte contre le terrorisme. Déjà en 2011, la Commission européenne s’est occupé de cette problématique en créant le RSR, le Réseau de Sensibilisation à la Radicalisation, un système européen de coordination qui aide les institutions locales dans la lutte contre le terrorisme et la radicalisation. Cette coordination est possible grâce à l’implication des responsables politiques, des autorités policières et judiciaires, des universitaires et des experts. Ensuite en juin 2014, la Commission a adopté une stratégie européenne pour la prévention de la radicalisation et du recrutement qui vise à la réalisation de programmes de sensibilisation et l’échange de meilleures pratiques entre Etats membres. Le but de la Commission a toujours été de coordonner les efforts des Etats membres dans la lutte contre le terrorisme afin de créer une Europe « ouverte et plus sûre ». Mais si ces politiques contre la radicalisation et contre le terrorisme restent encore de compétence nationale, les récentes menaces terroristes sur le sol européen et le nombre croissant de « foreign fighters » ont souligné la nécessité d’une réponse européenne à ce problème.
Suite aux attentats du début de l’année 2015, l’Union européenne s’est préoccupée de trouver un moyen pour répondre d’une seule voix à cette menace sécuritaire, accrue par le nouveau phénomène des combattants rejoignant les troupes djihadistes dans les conflits en Syrie, en Irak et en Libye.
Le programme européen en matière de sécurité de la Commission, soumis en avril 2015, et la stratégie de sécurité intérieure de l’UE pour la période 2015-2020, approuvée par le Conseil JAI en juin dernier, visent notamment à la lutte contre le terrorisme par le biais de programmes efficaces de déradicalisation et de désengagement. Dans cette optique la Commission européenne et la Présidence luxembourgeoise ont organisé une conférence à laquelle ont participé les ministres européens de la Justice, les commissaires européens Vera Jourovà et Dimitris Avramopoulos, la présidente de Eurojust Michèle Coninsx, le Coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme Gilles de Kerchove, des membres du Parlement européen, des fonctionnaires et des acteurs de terrain. Le but de cette conférence était d’échanger les pratiques nationales concernant la prévention de la radicalisation et du terrorisme et de discuter du rôle de la justice dans la réponse européenne au problème de radicalisation. Le commissaire européen pour la migration, les affaires intérieures et la citoyenneté, Dimitris Avramopoulos a, en effet, affirmé que « la lutte frontale contre la radicalisation constitue une priorité absolue dans le combat que nous menons contre le terrorisme » et que « il s ‘agit là d’un défi qui dépasse le cadre des frontières nationales et qui exige des efforts collectifs dans tous les Etats membres, à tous les niveaux de pouvoir, et de tous les services et secteurs ».
Cette menace « non potentielle mais réelle et forte », selon les termes de la ministre de la Justice française, Christiane Taubira, implique une coopération entre les états pour combattre le phénomène de la radicalisation et des foreign fighters qui concerne 5000 cas de citoyens européens partis combattre à l’étranger. Il est nécessaire, selon la Garde des Sceaux française, que les Etats donnent une réponse judiciaire puisque « seule la Justice peut limiter la menace » et cela à travers des politiques de prévention visant à « assécher les terreaux de recrutement ». En effet les ministres de la Justice ont convenu que jusqu’à aujourd’hui les différents pays n’ont apporté que des réponses pénales et donc des mesures répressives face au fléau des combattants étrangers, notamment avec la détention ou la confiscation des passeports. Selon eux, il serait temps de prévenir le phénomène en réhabilitant les combattants étrangers et en encadrant les personnes radicalisées. Christiane Taubira a ajouté que la lutte contre la radicalisation et le terrorisme doivent nécessairement passer par le renforcement du sol démocratique afin de combattre le Djihad et donc le « projet politique de domination » mené par des organisations « qui contrôlent de vastes territoires et ont des richesses ». En ce sens, les réponses européennes au terrorisme et à la radicalisation doivent s’inspirer aux valeurs de l’Union européenne et aux droits fondamentaux en promouvant, donc, l’enseignement, le dialogue interconfessionnel, la non-discrimination et la lutte contre les discours de haine. Le ministre italien de la Justice, Andrea Orlando a souligné qu’il faut réfléchir et être conscient de comment l’Etat de droit doit réagir face aux menaces terroristes afin que les valeurs fondamentaux ne soient pas bafoués.
Pour que cette lutte soit efficace, les ministres ont abordé deux sujets principaux : la radicalisation dans les prisons et sur Internet et les nouveaux défis juridiques posés aux juges et aux procureurs sur la question des candidats au départ et des combattants étrangers de retour. Les réponses à ces problèmes sont multiples mais les ministres se sont accordés afin de trouver une réponse unique pour faire face au phénomène : la Commission a annoncé que les conclusion de la conférence seront présentées au Conseil JAI de décembre. Dans le même mois, la Commission européenne s’est engagée à organiser un Forum sur Internet avec les fournisseurs et représentants des réseaux sociaux pour contrer la propagande terroriste en ligne.
Le même jour la commission LIBE du Parlement européen a voté le rapport Dati sur la prévention de la radicalisation et du recrutement de citoyens européens par des organisations terroristes. Ce rapport d’initiative a pour but de faire des recommandations pour une stratégie européenne, tout en créant une approche inclusive qui prendrait en compte tous les vecteurs de radicalisation. C’est pour cela que le rapport est fondé, principalement, sur une politique de prévention visant plusieurs secteurs de la société. Les principaux axes de ce texte sont, en effet : la prévention dans les prisons, la prévention sur Internet, la prévention dans les lieux de culte et la prévention par l’éducation. Les politiques à mettre en place prévoient la création d’un contre-discours sur Internet et dans les écoles, la responsabilité pénale pour les géants d’Internet permettant la diffusion de contenus illégaux qui devraient être supprimés, la mise à l’écart dans les prisons de détenus radicalisés, la formation du personnel pénitentiaire et des enseignants pour la détection de comportements radicaux et l’instauration d’un dialogue interculturel. Cela n’est possible qu’à partir de la coopération judiciaire entre les Etats, l’échange d’informations entre les autorités et l’aide de tous les acteurs de la société civile.
La commission de la culture et de l’éducation et la commission des affaires étrangères ont émis, en septembre dernier, deux avis, en ce sens, afin de renforcer les propositions faites par le rapport Dati. La commission de la culture et de l’éducation a insisté sur l’importance d’aider les jeunes, plus susceptibles d’être radicalisés, à mieux s’intégrer à la société en encourageant la création de politiques d’enseignements pour une société ouverte mettant en avant les valeurs sociales. Pour cela il est nécessaire, d’ailleurs, d’agir de façon intersectorielle sur la culture, le sport, l’emploi et la sécurité sociale. La prévention de la radicalisation passerait, donc, par l’action de la société civile et les structures sociales, y compris la famille. La commission AFET, de son côté, a mis en avant la nécessité d’une coopération étroite avec les pays tiers pour la lutte contre le terrorisme et en particulier avec l’Algérie, l’Egypte, l’Isräel, la Jordanie, le Maroc , le Liban, l’Arabie Saoudite et la Tunisie.
Le rapport Dati donc implique une stratégie non seulement judiciaire et policière mais aussi politique sociale, étrangère et de l’éducation.
Soutenu par le PPE, ALDE et le S&D qui a quand même voulu « rendre plus équilibré » le texte proposé par Rachida Dati, le rapport a été approuvé avec 41 voix à faveur, 7 voix contre et 6 abstentions. Le députés du GUE /GNL ont montré leur désaccord avec le texte en votant contre et en rejetant le renfort des agences européennes en matière de coopération judiciaire et policière.
La rapporteure Rachida Dati, suite au vote, s’est quand même félicitée du consensus qui s’est créé autour du rapport grâce notamment à la recherche d’un « maximum de compromis ». Ce rapport montre la pertinence de l’action du Parlement européen qui sait agir de façon rapide, voir anticiper, à des situations graves : elle affirme que « si l’action n’est pas européenne, on ne pourra pas lutter contre djihadisme ». Ce rapport, selon elle, permet un meilleur contrôle des suspects au sein de l’UE et des politiques efficaces pour la lutte contre la radicalisation surtout parmi les jeunes. Elle déplore, par contre, un manque de consensus par rapport au système de contrôle aux frontières de l’Union européenne comme proposé par son texte : elle espère trouver un accord d’ici le vote de la plénière.
On peut voir alors que l’Union européenne se soucie profondément de la problématique de la radicalisation et tente de mettre en place un grand système européen de lutte contre le terrorisme dans une vision non seulement répressive mais surtout préventive qui englobe tous les secteurs des sociétés européennes.
Emilie Gronelli
Pour en savoir plus
-. Programme européen en matière de sécurité. http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/e-library/documents/basic-documents/docs/eu_agenda_on_security_fr.pdf
-. Conférence ministérielle du 19 octobre 2015 http://ec.europa.eu/avservices/ebs/schedule.cfm?page=2&date=10/19/2015
-. Interview de Rachida Dati du 19 octobre 2015 http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/content/20151016STO98139/html/Radicalisation-pour-Rachida-Dati-la-réponse-doit-être-européenne
-. Communiqué de presse sur la Radicalisation du 20 octobre 2015 http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/content/20151019IPR98397/html/Coopérer-pour-lutter-contre-la-radicalisation-et-l%27extrémisme-en-ligne
-. Documents relatifs aux Rapport Dati http://www.europarl.europa.eu/oeil/popups/ficheprocedure.do?reference=2015/2063%28INI%29&l=FR
-. Article Eulogos sur le Rapport Dati http://europe-liberte-securite-justice.org/2015/07/28/projet-de-rapport-sur-la-prevention-de-la-radicalisation-et-du-recrutement-des-citoyens-europeens-par-les-organisations-terroristes-vers-une-strategie-europeenne/