Pauvreté et analphabétisme vont souvent de pair, il s’agit d’un constat simple auquel même un enfant serait capable d’aboutir. Et cela avant tout parce que ce sont les enfants à être directement touchés, victimes impuissantes lorsque les familles et les institutions étatiques se montrent incapables de pourvoir à leur besoins.
Cet état de fait dramatique est toujours d’actualité dans les pays les moins avancés et les pays en développement ne disposant pas des ressources nécessaires à garantir l’enseignement gratuit pour tous. Mais est-ce qu’il est d’actualité seulement dans ces pays ? Est-ce que les pays développés du Vieux continent ont définitivement résolu ce problème, comme l’on a tendance à croire ?
L’analyse de Save the Children titré child poverty and social exclusion in Europe dessine une Union Européenne où les inégalités ne cessent de se creuser, affichant entre 2008 et 2012 une augmentation du nombre d’enfants menacés par la pauvreté ou l’exclusion sociale. Le taux de décrochage scolaire, atteignant la moyenne de 12 %, s’élève à 20 % dans certains pays du Sud de l’Europe (Portugal, Espagne et Malte).
A la lumière des objectifs fixés dans le cadre de « Europe 2020 », l’initiative de l’UE qui vise, entre autres à réduire de 20 millions le nombre des personnes touchées ou menacées par la pauvreté ou l’exclusion sociale et à abaisser le taux de sortie précoce du système scolaire à moins de 10 % dans les pays membres, ces données apparaissent désolantes. Tel semble aussi l’avis de Inês Cristina Zuber (GUE/NGL) concrétisé dans le rapport « sur la réduction des inégalités, en particulier la pauvreté infantile » dont elle est rapporteure.
Ce rapport d’initiative, adopté à Strasbourg le 24 novembre dernier par le Parlement européen en séance plénière, a des implications importantes pour la lutte contre la pauvreté, l’éducation des enfants et la situation des familles monoparentales et des ménages à faible revenu. Les mesures d’austérité sont considérées comme un des principaux vecteurs à l’origine du fossé entre Nord et Sud de l’Europe (le Portugal dépense plus pour repayer les intérêts de sa dette que pour les services publics de santé) et par le biais de ce rapport le Parlement entende exhorter les Etats membres, en concert avec la Commission, à agir efficacement dans les meilleurs délais. En effet, la majorité des pays membres accorde très peu d’attention à l’emploi des fonds structurels (ESI) pour supporter les ménages les plus vulnérables et lutter contre la hausse du taux de pauvreté des enfants.
Le rapport met en outre l’accent sur la détérioration potentielle des conditions des familles. Les enfants appartenant à des familles monoparentales ont plus de possibilités de sombrer dans la pauvreté et du coup de quitter l’école car les dépenses liées à l’éducation sont principalement supportées par les tuteurs. Les Etats membres sont également invités à tenir compte de la situation occupationnelle des femmes, dont le taux d’emploi dans certains pays de la zone Euro (en l’occurrence Grèce, Malte et Italie) en 2011 n’atteignait même pas le 50%, et à renforcer la législation en matière de congé de paternité et de maternité dans le but de limiter les discriminations sur les lieux de travail. La pauvreté infantile est un phénomène multidimensionnel, par conséquent une attention toute particulière aux conditions salariales des parents est requise.
Le Parlement européen recommande ensuite à la Commission de s’abstenir de proposer des ajustements, des coupes budgétaires à l’administration publique des Etats membres ou la privatisation des services publics, qui ont en quelque sorte des répercussions sur les droits sociaux des enfants, et d’encourager en revanche l’investissement dans le secteur de l’éducation publique gratuite. Cette disposition, ainsi que l’accès à la santé publique universelle, est jugée primordiale pour que le cercle vicieux de la pauvreté intergénérationnelle soit brisé et l’égalité des chances mise en avant. Une autre condition à remplir pour que l’épanouissement de l’enfant se produise est l’accès à la culture, le sport et le loisir comme le met en exergue, entre autres, la convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant.
Enfin, la Commission et les Etats membres sont invités à élaborer des méthodes statistiques précises afin d’évaluer l’ampleur du changement en tenant compte des limites des mesures de la pauvreté relative et des études menées par le PNUD, l’UNICEF, l’OCDE et d’autres organisations. Il y a lieu d’appréhender les multiples facettes de la pauvreté infantile à travers des politiques d’investissement concrètes sinon l’objectif fixé pour 2020 ne sera jamais atteint.
Les éléments à dégager de ce rapport sont sans doute multiples, tout de même les volets susceptibles d’impacter les politiques de répartition de la richesse et la politique du travail du « claudiquant » Etat providence européen se résument au nombre de trois :
- Limitation des mesures d’austérité pour que les Etats qui rencontrent les difficultés majeures puissent investir davantage dans les secteurs visés et modifier certaines dispositions en matière salariale.
- Soutien des ménages défavorisés, des familles monoparentales et plus particulièrement des mères célibataires.
- Atténuation de l’exclusion sociale des enfants en garantissant une éducation gratuite de qualité.
La réduction de la pauvreté infantile est un enjeu qui amène les institutions compétentes à se pencher sur plusieurs domaines clés où leur intervention est fortement souhaitée. Ce n’est pas par hasard que, lors de la réunion de la commission FEMM du 3 décembre dernier, nombre des députés se soient prononcés sur la pauvreté énergétique et la « féminisation » de la pauvreté comme menace aux familles monoparentales constituées par une femme et son/ses enfant/enfants.
De toute manière, un aspect intéressant du rapport d’initiative de Inês Cristina Zuber relève de l’attention consacrée au développement des sujets à risque : « les effets néfastes de la pauvreté et de l’exclusion sociale sur les enfants peuvent durer toute la vie, puisque c’est dans les premières années de la vie que se forment les capacités cognitives et socio-économiques, ce qui signifie que les mesures politiques négatives prises aujourd’hui auront des impacts négatifs irréversibles ». Le rapport fait notamment référence aux enfants pauvres, aux enfants vivant dans des régions reculées, aux enfant handicapés et aux enfants migrants. Ces derniers sont souvent marginalisés à cause des barrières linguistiques existantes et peinent ainsi à s’intégrer entièrement dans la société du pays d’accueil.
En continuant sur la même vague, quoique tourné vers l’étranger, le Parlement européen a adopté le 26 novembre dernier une résolution pour soutenir le doublement de l’aide à l’éducation des enfants en situation d’urgence. Malgré l’éducation soit un droit humain fondamental inscrit dans plusieurs traités internationaux, à l’heure actuelle à peu près 75 millions d’enfants dans le monde ne sont pas scolarisés. Or plus de la moitié des enfants en question se trouve dans des zones de conflit où les services de base ne peuvent plus être garantis par les autorités locales et les conditions d’existence sont à peine supportables. Ainsi, l’aide à l’éducation des enfants dans de tels contextes s’avère être crucial sous nombreux points de vue. Tout d’abord, l’éducation atténue l’impact psychosocial causé par un conflit en donnant une impression de routine et stabilité qui contribue à maintenir en vie l’espoir d’un changement imminent. L’enfant se trouvant dans un environnement d’apprentissage sûr a moins de chances d’être exploité sexuellement ou économiquement, d’être recruté dans des groupes armés ou des organisations criminelles, de devenir marchandise ou encore d’être obligé à se marier précocement. Par ailleurs, l’éducation de l’enfant lui permet de prendre conscience de ses droits et des risques intrinsèques d’une zone de guerre livrée à elle-même. La totalité des mineurs étant scolarisés, une société peut évoluer se dotant d’institutions davantage équitables et même un moment de crise peut représenter l’occasion de reconstruire « en mieux ».
Conscient de l’importance d’investir dans l’éducation des enfants en situations d’urgence, le commissaire européen chargé de l’aide humanitaire a décidé d’élever les allocations à 4 % du budget destiné à l’aide humanitaire, soit le double du montant précédent, d’ici 2019. Le Parlement appelle donc la Commission, les Etats membres et l’ensemble des parties prenantes à unir leurs efforts pour garantir la continuité de l’enseignement dans les pays en crise. En effet, l’absence de coordination parmi les acteurs clés peut faire obstacle à la réelle mise en oeuvre de l’assistance humanitaire vouée à l’éducation des enfants. Qui plus est, les pays fragiles et ceux touchés par un conflit reçoivent moins de financements à des fins pédagogiques que les autres pays à faible revenu.
Le Parlement invite également les Etats membres à mettre en place des régimes d’accueil spécifiques pour les mineurs non accompagnés et le mères seules, tandis que la communauté internationale est sollicitée pour faire de l’éducation une de ses priorités sachant que l’objectif du millénaire d’assurer une éducation primaire pour tous avant 2015 restera des mots sur papier. Nonobstant la mise en place de l’initiative « les enfants de la paix », l’organe parlementaire semble bien décidé à intensifier les contributions de l’Union jusqu’ici jugées insuffisantes. Toutefois, la concrétisation de l’intérêt porté à la phase follow-up de la résolution dépendra de la détermination des Etats membres à agir sous l’égide de la Commission et des recommandations du Parlement. Bien évidemment, cela est valable aussi pour les propositions contenues dans le rapport sur « la réduction des inégalités, en particulier la pauvreté infantile », abordé plus haut.
A l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme, célébrée le 10 décembre, plusieurs leaders politiques et activistes des droits de l’homme se sont félicités des progrès accomplis et des résultats obtenus dernièrement, sans pourtant oublier de mettre l’accent sur les défis et les luttes de l’avenir. L’engagement découlant d’une telle prise de conscience est tout à fait louable, néanmoins trop souvent les mêmes leaders politiques oublient d’avoir étés enfants autrefois et de combien de travail reste à faire pour garantir aux enfants d’aujourd’hui, hommes et femmes de demain, une vie acceptable.
Samuele Masucci
Pour en savoir plus :
-. Convention relative aux droits de l’enfant
(FR)http://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/crc.aspx
-. Child poverty and social exclusion in Europe, Save the Children report
(EN)http://resourcecentre.savethechildren.se/sites/default/files/documents/child-poverty-and-social-exclusion-in-europe-low-res.pdf
-. Moving ahead, an overview for partners, donors, governments and civil society organizations, Save the Children’s global education strategy to 2015
(EN)https://www.savethechildren.net/sites/default/files/libraries/Moving%20ahead%20on%20education_Save%20the%20Children’s%20global%20education%20strategy%20to%202015.pdf
-. Rapport sur la réduction des inégalités, en particulier la pauvreté infantile
(FR)http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+REPORT+A8-2015-0310+0+DOC+PDF+V0//FR
-. Child maintenance systems in EU member states from a gender perspective
(EN)http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/note/join/2014/474407/IPOL-FEMM_NT(2014)474407_EN.pdf
-. Rapport sur la réduction des inégalités, en particulier la pauvreté infantile
-. Résolution du Parlement européen du 26 novembre 2015 sur l’éducation des enfants en situation d’urgence et de crises de longue durée
-Résolution du Parlement européen du 26 novembre 2015 sur l’éducation des enfants en situation d’urgence et de crises de longue durée
(FR)http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+TA+P8-TA-2015-0418+0+DOC+PDF+V0//FR
-Education en situation d’urgence (page web INEE)
(FR)http://www.ineesite.org/fr/education-en-situations-urgence
-Stratégie de croissance « Europe 2020 »
(FR)http://ec.europa.eu/europe2020/index_fr.htm