Mardi 26 janvier le Folketing a adopté un paquet législatif contenant des amendements qui modifient la législation danoise relative à l’asile et à l’immigration. Les changements ont reçu le soutien d’une vaste majorité au sein du parlement danois, y compris celui du parti social-démocrate. Les amendements en question ont été fortement critiqués dans la presse et évidemment au Parlement européen où la Commission Libe a consacré une après-midi à ce débat. Ces critiques visaient leur caractère restrictif visant à décourager l’afflux de demandeurs d’asile au Danemark. Parmi les mesures les plus contestées, et même les plus médiatisées, figurent celle relative à la possibilité de saisir les biens des demandeurs d’asile (objets de valeur et argent liquide) ayant une valeur supérieure à 10000 couronnes (1400 euros environ) et celles concernant le durcissement du droit au regroupement familial. « Le projet de loi le plus mal compris de l’histoire du Danemark », avait déclaré le premier ministre danois, le libéral Lars Lokken Rasmussen en répondant aux critiques qui circulaient déjà avant l’approbation des mesures au parlement danois.
La première version du projet de loi prévoyait la confiscation des avoirs ayant une valeur supérieure à 400 euros. Pourtant, suite aux fortes critiques reçues, le gouvernement a finalement décidé de limiter à 1340 euros et d’exclure de la confiscation les biens ayant une « valeur sentimentale » pour les demandeurs d’asile, notamment les alliance de mariage. Comme l’ont déclaré, Inger Stojberg, ministre de l’Immigration, de l’Intégration et du Logement et Kristian Jensen, ministre des Affaires Etrangers, à l’occasion d’une audition en Commission LIBE lundi 25 janvier, à partir des années 1990 la loi danoise envisageait déjà la possibilité que les autorités puissent vérifier les moyens dont le demandeur dispose, au cas où il déclarait posséder des moyens suffisants pour couvrir son logement.
La loi approuvée donne aux autorités le droit de fouiller les bagages et les vêtements des demandeurs afin de retenir les avoirs dont ils disposent pour couvrir les dépenses de leur accueil et de leur séjour jusqu’à ce que leur demande soit traitée, puisque « ceux qui peuvent s’en sortir seuls ne doivent pas être aidés par l’Etat. »
Des doutes demeurent à l’égard de la définition du concept de « valeur sentimentale », des limites du pouvoir des policiers dans la réquisition des biens et même de l’équité de la mesure, questions qui ont été aussi formulées pendant l’audition en Commission LIBE, notamment par les eurodéputées Laura Ferrara (EELD) et par Sophie in’t Veldt (ADLE). Les deux ministres danois ont expliqué que des mesures équivalentes s’appliquent déjà aux citoyens danois qui bénéficient des aides de l’Etat. De toute façon, ils ont au moins assuré que les demandeurs faisant l’objet de ces mesures auront le droit de s’adresser à un tribunal danois, au cas où ils voudraient s’y opposer.
En outre des amendements ont été apportés aussi au droit au regroupement familial. Jusqu’aux récentes modifications, les bénéficiaires de la protection internationale pouvaient accéder au regroupement familial après un an de séjour au Danemark. A partir du mardi 26 janvier, ce temps d’attente sera prolongé jusqu’à 3 ans de séjour régulier pour ceux qui bénéficient d’une protection internationale subsidiaire et temporaire.
D’autres mesures restrictives concernent les critères pour obtenir un permis de résidence permanent, la réduction de la durée du statut de réfugié (de 5 ans à 2 ans), l’abolition du droit au logement en dehors des camps pour les couples ayant des enfants et, enfin, le durcissement des règles qui disciplinaient les condition pour acquérir un permis de résidence.
A l’occasion de l’audition à la Commission LIBE, le représentant de la Commission européenne Steve Ryan a remarqué que l’institution n’a pas encore été capable d’analyser de façon détaillée les projets de loi danois. En plus, il a souligné que bien que le pays soit lié aux principales conventions internationales en la matière (le Danemark a été le premier pays à signer la Convention de 1951 sur le statut des Réfugiés), il ne l’est pas à la législation européenne en matière d’asile et immigration, sauf pour le règlement Dublin et le système Eurodac. En tout cas, il a affirmé que même si un des pays contraints par les instruments législatifs adoptés dans le cadre du Titre V du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne avait pris des mesures pareilles, notamment la confiscation des biens, celles ci ne seraient pas en contradiction avec la « directive accueil », qui laisse les Etats libres de vérifier les conditions de subsistance des demandeurs d’asile, à condition que la situation de vulnérabilité et de faiblesse de ces sujets soit prise en compte.
D’autres interventions ont en même temps souligné que le caractère unilatéral, voir égoïste, de telles mesures, va représenter un facteur de fragmentation des politiques européennes en matière d’asile, en éloignant le chemin vers une solution commune. Le péril sera surtout celui de voir les autres pays de la région adopter des mesures pareilles. En effet, des mesures de ce type sont déjà appliquées en Suisse, où les demandeurs d’asile doivent remettre aux autorités leurs biens et argent d’une valeur supérieure à 1000 francs, et dans certains états de l’Allemagne du sud, Bade-Wurtenberg par exemple et également en Suisse.
Plusieurs voix se sont levées contre les amendements en question. Amnesty International a affirmé que les changements auront un effet catastrophique sur les personnes vulnérables qui, non seulement seront forcées de se séparer de leurs propres biens, mais devront aussi attendre des années pour voir leur famille enfin réunie. Selon Gauri van Gulik, le directeur de la section de Amnesty International en Europe et Asie Centrale « it’s simply cruel to force people who are running from conflicts to make an impossible choice: either bring children and other loved ones on dangerous, even lethal journeys, or leave them behind and face a prolonged separation while family members continue to suffer the horrors of war ». L’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) est du même avis en accusant le pays de favoriser la peur et la xénophobie.
De même, l’Institut Danois pour les Droits Humains a affirmé que le prolongement du délais pour la concession du droit au regroupement familial pourrait bien constituer une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale. En effet, selon le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Nils Muižnieks, s’exprimant dans une lettre adressée à la ministre danoise de l’Immigration, de l’Intégration et du Logement «La proposition d’attendre trois ans avant de permettre aux bénéficiaires d’une protection subsidiaire temporaire d’exercer le droit au regroupement familial soulève des questions de compatibilité avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège le droit au respect de la vie familiale, et pourrait aussi porter atteinte au droit, pour les enfants, de vivre dans leur milieu familial, inscrit dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant». A son avis, même la loi concernant la possibilité de saisir les biens des demandeurs d’asile « pourrait constituer une atteinte à la dignité des personnes concernées. Elle pourrait aussi conduire à des violations du droit au respect de ses biens, consacré par l’article 1 du Protocole additionnel (n° 1) à la Convention européenne des droits de l’homme ».
De toute façon, plusieurs commentateurs doutent que la confiscation des biens soit une mesure réellement dissuasive et efficace, comme souvent les demandeurs ne possèdent pas assez d’argent quand ils arrivent en Europe. En même temps, le montant des biens et d’argent saisi est trop faible pour que le montant de la confiscation soit en mesure de couvrir les frais de logement. Cela serait plutôt une loi symbolique, visant à dissuader l’arrivée de nouveaux demandeurs. Le Washington Post a comparé cette pratique à celle mise en place par les Nazi pendant la seconde Guerre Mondiale à l’égard des juifs. Des commentaires similaires ont été faits aussi par une partie de l’opinion publique.
La tendance au durcissement des droits des étrangers s’était déjà manifesté l’année dernière. En août 2015 le parlement danois, dans le cadre d’une mesure appelée « integration benefits », avait déjà approuvé un paquet de mesures restrictives au regard des étrangers.
Le gouvernement danois avait ensuite sponsorisé les nouvelles mesures en publiant une publicité sur un célèbre journal libanais, (le Lebanon accueille actuellement environ 1 million de réfugiés syriens). L’annonce soulignait que le Danemark avait réduit les prestations sociales relatives aux réfugiées, en prévoyant que ceux qui bénéficient du statut en question auraient du attendre au moins un an pour que il puissent accéder au droit au regroupement familial, que le permis de résidence n’aurait été accordé qu’ à ceux qui parlaient déjà le danois et, enfin, que les demandeurs faisant l’objet d’un refus de protection auraient été envoyés directement dans leurs pays d’origine. Au mois de novembre d’autres changements ont été mis en place, notamment la possibilité de détenir les immigrés dans des « circonstances spéciales », et cela en diminuant relativement le contrôle juridictionnel.
Le Danemark a accueilli, en 2015, 21500 réfugiés et il y en a 25000 attendus en 2016. Selon la ministre de l’Immigration, le pays est parmi les 10 pays européens qui accueillent le plus de réfugiés par habitant. Au mois de septembre 2015 elle avait affirmé vouloir réduire le nombre de demandeurs d’asile, qui a en fait augmenté d’un tiers par rapport à 2014. Le but serait celui de ne pas avoir la même situation qu’en Suède, qui a rétabli les contrôles aux frontières au mois de novembre 2015.
Le cas danois démontre que ce qu’on appelle la « crise des réfugiés » est désormais devenue une crise de l’Europe, qui doit faire face tantôt aux tendances nationalistes et populistes de ses pays et à des solutions unilatérales qui évoquent un passé qui n’est pas trop loin, tantôt à un échec dans la recherche d’une solution commune, solution jamais accomplie et toujours plus loin.
Francesca Rondine
Pour en savoir plus :
-Commission LIBE du 25/01/2016 :http://www.europarl.europa.eu/news/en/news-room/20160120IPR10778/Committee-on-Civil-Liberties-Justice-and-Home-Affairs-meeting-25012016-(PM)
-UNHCR :http://www.unhcr.org/cgi-bin/texis/vtx/refdaily?pass=52fc6fbd5&id=5695f0625
– Amnesty International :http://www.amnesty.eu/en/news/press-releases/all/denmark-parliament-should-reject-cruel-and-regressive-changes-to-refugee-law-0955/#.VrMzXscvhS_
-Lettre de Nils Muižnieks :http://www.coe.int/en/web/commissioner/-/denmark-amendments-to-the-aliens-act-risk-violating-international-legal-standards