La tension monte dans la presse anglaise alors que le 23 juin approche et que le dernier sondage publié par la société de conseil MORI révèle que l’appel des britanniques aux urnes est en train de suggérer de plus en plus l’éventualité de consultations pareilles dans les autres États-Membres. À la fin de Mai le coude à coude en faveur de l’électorat britannique est de plus en plus serré : 46% voteraient pour le maintien dans l’UE, 43% pour la sortie, selon une estimation publiée par le Financial Times. Des études diverses se multiplient pour essayer de mieux comprendre quel coût entraînera le Brexit, à la fois en considérant les effets sur le bien-être des citoyens britanniques et les immigrés sur sol anglais, à la fois en essayant de comprendre quelles seront les conséquences pour le reste de l’Union Européenne après ce départ éventuel.
Dans la presse anglaise, le sujet du Brexit a été jusque là abordé principalement par rapport à trois thèmes ou politiques : la politique économique, la politique migratoire et la sécurité. Globalement, pour chacun de ces domaines la position des Brexiters a été celle de récupérer une marge de manœuvre en sortant de l’UE, pour optimiser l’engagement britannique en terme de ressources désinvesties du cadre européen en les injectant à nouveau dans des politiques axées sur des actions susceptibles de bénéficier aux citoyens britanniques. Le parti du «On Reste » a insisté sur les coûts additionnels que les sociétés britanniques et européennes auront à souffrir du point de vue économique et social. En particulière, le discours sur la migration a été instrumentalisé, en insistant sur les bénéfices que les flux migratoires apportent en terme d’offre de main d’oeuvre pas chère (seulement dans quelque cas on a souligné la valeur de la migration des travailleurs hautement qualifiés). À l’occasion de la visite au Parlement Européen de l’ancien Premier Ministre et secrétaire du Parti Travailliste Gordon Brown, le Président du Parlement Européen, Martin Schultz, a souligné que « le débat sur le Brexit et ses conséquences ont pris une dimension simplement économique, avec un langage qui relève de plus en plus de la comptabilité ».
La visite de Brown au Parlement Européen à Bruxelles, organisée par le groupe du S&D le 25 Mai, a montré, au-delà de la rhétorique, qu’il y aurait encore une marge d’influence dans le débat, une fenêtre d’opportunité que le Parti Travailliste devrait occuper. Or, un positionnement clair dans le débat public ne s’est concrétisé que tardivement, avec la tiède déclaration du leader travailliste Jeremy Corbyn du 14 avril 2016. Le discours de Corbyn, qui avait voté contre l’adhésion du Royaume-Uni à l’UE lors du référendum de 1975, était très attendu, alors que le résultat a été estimé trop fade même au sein de son parti. S’il a déclaré que « le Labour est majoritairement en faveur d’un maintien parce que nous estimons que le projet européen a apporté emplois, investissement et protection aux travailleurs, aux consommateurs et à l’environnement», son ami de longue date Tariq Ali, écrivain vétéran de gauche, qui connaît M. Corbyn depuis 40 ans, a dit au journal New Yorker de ne pas avoir de doute sur le fait que le secrétaire aurait plutôt continué à s’opposer aux conditions de participation du RU à l’UE et que son attestation relèverait plutôt d’une opposition forte à la frange conservatrice du mouvement Vote Leave.
Dans ce scénario, l’intervention de M. Brown a indiqué une voie précise pour son parti d’appartenance. Pour l’ancien premier ministre, la vraie question du rapport Royaume-Uni/UE ne tourne pas autour du « membership », mais plutôt du « leadership » : comment le Royaume-Uni pourrait-il jouer un rôle capital dans l’Union Européenne (car il ne serait pas question de sortir) ? D’ailleurs il a bien avoué comprendre la réaction de l’électorat – et les stratégies des politiciens qui comptent en faire leur fortune – mais pour lui il ne s’agirait que d’une ‘réponse émotive’ au plus complexe phénomène de la globalisation et à toute conséquence que ça entraîne pour la politique du Royaume-Uni. Contre les nostalgiques de la grandeur de la Grande Bretagne au centre du Commowealth, l’ancien secrétaire se contente de répéter la vielle leçon du fédéraliste italien Mario Albertini, c’est-à-dire qu’en Europe désormais l’Etat National est un organisme trop petit et dépourvu de forces pour faire face a l’enjeu de la dimension globale des phénomènes auxquels la classe politique est censée s’adresser. Si on regarde la ‘taille’ de l’effort nécessaire pour gérer les flux économiques, les flux migratoires, ou encore assurer l’intégrité des citoyens face à la menace terroriste, la seule ‘réponse rationnelle’ est, selon M. Brown, « la coopération, et l’Union Européenne est le cadre idéal pour développer cette stratégie ».
La vraie question n’est donc pas « qu’est ce que l’Europe peut faire pour le Royaume-Uni » mais, au contraire, quel apport devrait amener le Royaume-Uni à l’Europe pour répondre aux défis contemporains ?
La réponse, qui bien sûr est liée avec un rejet de la proposition d’abandonner le consortium des 28, est de promouvoir en 2017 « une présidence britannique 100% européenne ». Comme le calendrier du Conseil prévoit que de juillet à décembre ce soit le Royaume Uni à la tête de l’institution, M. Brown a développé des points précis pour le futur mandat de son gouvernement. Cet ‘agenda positif et progressiste’ est articulé autour des cinq points ou lignes d’action suivants :
- Création d’emploi ;
- Développement d’une véritable Union Européenne de l’énergie et de l’environnement ;
- Lutte contre le terrorisme.
- Renforcement des droits sociaux ;
- Lutte contre les paradis fiscaux.
Évidemment la lutte contre le terrorisme est d’une importance capitale, et l’action en ce domaine devrait se développer d’une façon harmonisée entre la politique de sécurité et sa déclinaison en matière de coopération judiciaire et de garde-frontières d’un côté, et une véritable sécurisation des lieux d’origine des migrants. « La misère et le manque d’opportunité poussent les gens à la fuite » a-t-il spécifié, en proposant un plan concret de financement de l’Union : « On devrait assurer un nouveau pacte entre l’Union et les populations du Moyen Orient en lançant un nouveau ‘Marshall Plan’ », en soulignant que le budget de ce fond devrait être supérieur à celui des fonds déjà disponibles.
Mais le rôle pivot de la présidence britannique que rêve M. Brown est celui de champion de la lutte contre la corruption et le recours aux paradis fiscaux. En faisant de çet objectif un véritable drapeau de transparence et de justice sociale, l’Union Européenne regagnerait son image de « communauté pour le bien être du citoyen », une image perdue pendant la gestion néolibérale de la crise financière et économique qui a intensifié l’inégalité économique et les désavantage pour les catégories sociales plus dépourvues. Selon Gordon Brown, la lutte contre les paradis fiscaux devrait être accompagnée d’un effort plus sévère pour la soumission des entreprises multinationales à la fiscalité et au droit de travail là où ils réalisent leurs profits (dans chaque État-membre) pour équilibrer l’inégalité croissante face aux lois du marché globale. Le gouvernement du Royaume Uni alors à la présidence du Conseil jouerait alors un rôle magistral en couplant la lutte européenne avec l’effort au niveau national de combattre l’entrée des capitaux blanchis aux Caïmans et simili dans ses circuits financiers.
Comme montré par divers think thank en 2015, chaque année des centaines de milliards de dollars de provenance criminelle sont à être blanchis à travers les banques du Royaume Uni et leurs filiales (National Crime Agency), pendant que le marché immobilier en expansion continue à assumer la fonction de stockage des capitaux (Transparency UK). Les estimation des ONG sont arrivées à un montant présumé de 57 milliards de sterling recyclés chaque année, soit 74 milliards d’euros. Selon Transparency International, en 2015 à Londres, dans une zone de 6 km carrés, on comptait 36.342 immeubles qui relevaient de sociétés offshores de couverture. Actuellement, 75% des immeubles au Royaume Uni sont sous enquête judiciaire. Dans la capitale, 90% des immeubles de propriété des entreprises étrangères sont enregistrés auprès de paradis fiscaux.
Le tango entre l’administration londonienne et les titans de l’immobilier a commencé en 2013 à Cannes, où le premier maire de Londres choisi par élection, Ken Livingstone, allait pour rencontrer un collectif d’entrepreneurs auxquels il promit ‘le potentiel pour de très bons profits’ et l’aval pour la construction des tours ‘the taller the better’ qui sont aujourd’hui au centre des polémiques. Qu’on les considère d’un point de vue esthétique ou sociologique, ces tours ne sont pas intégrées dans le tissu urbain et social de Londres et restent souvent inoccupées. Comme repris par The Guardian, le vrai problème derrière la « chirurgie drastique infligée à la ville » est le manque de transparence, car un plan de régulation avec des limites par rapport à la localisation des nouvelles tours ou de leur hauteur n’a jamais été publié. « Personne n’a pris soin de leur apparence ou volume, leur signification civique ou le rôle qu’elles allaient jouer dans la vie de la capitale. Autour de 80% des bâtiments approuvés étaient des appartements de luxe, précisément commercialisés comme des spéculations en Asie de l’Est ». Si à l’époque David Cameron dénonça cette initiative en tant que ‘poursuite de grandeur fasciste’, sa montée au pouvoir n’a pourtant rien changé, tout a été vite oublié, car la lobby des constructeurs à Londres est simplement trop puissant. Mais qui se cache derrière cet enjeu de pouvoirs et de béton ?
Récemment, l’expert international des modèles économiques de gestion d’affaires par la criminalité organisée, le journaliste italien Roberto Saviano, auteur de Gomorra et de ZeroZeroZero, a fait beaucoup de bruit dans la presse internationale en déclarant lors du festival littéraire de Hay-on-Wye que « Si on demande quel Pays est le plus corrompu au monde, la réponse la plus immédiate sera influencée par le niveau de corruption perçu. On pourrait penser au Mexique, aux Pays latino-américains ou africains, au Moyen-Orient, à l’Italie. Au contraire, le plus corrompu est l’Angleterre, mais il ne s’agit pas d’un type de corruption qui concerne l’administration publique, les policiers, les maires, mais d’une corruption qui est de la même nature que le système économique. Le système anglais est alimenté par la corruption. Et dans toute cette affaire le gouvernement et les citoyens britanniques n’ont pas réalisé cette émergence dans le Pays ». Selon Saviano, toutes les organisations criminelles qui ont atteint désormais l’échelon international sont aujourd’hui – silencieusement – présentes dans la capitale anglaise. En 2013 une étude fondée sur des enquêtes menées par Transcrime, le Centre de Recherche transnational de l’Université Cattolica de Milan, a montré que toutes les principales organisations mafieuses d’Italie ont développé leurs affaires à Londres.
A l’heure du désengagement de l’Etat d’un welfare véritablement universel au nom de la durabilité financière des comptes publics, le scandale des Panama Papers, qui a touché directement le premier ministre David Cameron et jeté une ombre sur le Parti Conservateur en tant que défenseur de la grande propriété immobilière, financière et à la fois spéculatrice, a renforcé le mépris et la méfiance des citoyens envers la classe politique au pouvoir. D’une certain façon, cette méfiance est similaire au sentiment de plus en plus répandue en Europe d’une Union Européenne de plus en plus inefficace, l’Union Européenne des bureaucrates que ne parvient pas a formuler des politiques calibrées sur la réalité de la vie des citoyens, l’Union Européenne qui impose des limitations et des coûts pour l’individu moyen, l’Union qui impose l’austérité mais qui permet les grand profits des multinationales et la fuite d’une partie légitime de la fiscalité ailleurs. En bref, l’Union Européenne que l’électeur désinformée pourrait rejeter lors d’un référendum. Dans ce peu de temps avant le 23 juin, une véritable campagne de soutien à une Grande Bretagne qui participe à l’Union devrait se focaliser sur un message fort et claire de changement du statu quo où nage l’Union maintenant, de réagir au manque de solution efficaces en se proposant comme propulseur, tout en bénéficiant, bien sûr, des avantages que comporte le fait de faire partie de l’Union. En tirant une leçon des campagnes référendaires (Pays-Bas) et présidentielles (Autriche) de cette année, les partisans du maintien devraient essayer une communication plus simple et efficace, plus proche de la majorité des citoyens, dont les contenus (donnée et projections statistiques) soient plus compréhensibles. Un vrai programme anti-establishment, comme celui indiqué par M. Brown, ne pourrait pas être soutenu par la fraction anti-Brexit des Tories, déjà divisé et dont le leader est couramment mis en cause.
Au Labour de jouer.
Francesca Sanna
Pour en savoir plus :
- « Revealed: 9% rise in London properties owned by offshore firms”, The Guardian,
- « Britain is most corrupt country on Earth, says Mafia expert Roberto Saviano”,
- « La mafia silenziosa alla conquista di Londra », La Repubblica Esteri,
http://www.repubblica.it/esteri/2016/05/26/news/saviano_mafia_londra-140616042/
- « London’s empty towers mark a very British form of corruption”, The Guardian,
- « Brexit would be ‘very dangerous’ for the NHS, health service chief executive warns”, The Telegraph, http://www.telegraph.co.uk/news/2016/05/22/brexit-would-be-very-dangerous-for-the-nhs-health-service-chief/
- “Devastating MORI poll shows Europe’s peoples share British rage over EU”, The Telegraph, http://www.telegraph.co.uk/business/2016/05/10/devastating-mori-poll-shows-europes-peoples-share-british-rage-o/
- “Jeremy Corbyn ‘would be campaigning for Brexit if he was not Labour leader’,
says long-time ally Tariq Ali”, The Independent,