Mardi 11 octobre 2016, l’association étudiante de l’Institut d’études européennes à Bruxelles, Students for Europe, a organisé un débat sur les enjeux et perspectives du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP). Les intervenants étaient Ignacio Garcia Bercero, négociateur en chef du TTIP à la Commission européenne et Marc Tarabella, eurodéputé chargé de la protection des consommateurs européens, de l’agriculture et de l’égalité des genres.
Afin de remettre en contexte les négociations du TTIP, il convient de rappeler brièvement en quoi consiste celui-ci. C’est un accord commercial, qui actuellement est en cours de négociation entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis (USA), depuis 2013. Il s’agit de mettre en place une gigantesque zone de libre-échange transatlantique correspondant à un marché de plus de 800 millions de consommateurs potentiels. Ce marché mettrait en place de nouvelles règlementations permettant d’exporter, d’importer et d’investir outre-Atlantique et inversement. Pour ce faire, le traité devrait “réduire les formalités administratives coûteuses et coordonner les réglementations techniques pour les rendre plus efficaces”, c’est-à-dire supprimer les droits de douane, les dispositifs de protectionnisme nationaux mais surtout, converger vers des normes communes pour faciliter la libre-circulation. Le but, tel que l’affirme la Commission européenne, est de créer des emplois et de la croissance dans l’ensemble de l’UE et des USA en baissant les prix et en offrant plus de choix aux consommateurs. Cecilia MALMSTRÖM, commissaire européenne au commerce qui mène les négociations au nom de l’UE, souligne que le TTIP permettrait au vieux continent d’adapter son économie à la montée en puissance d’économies émergentes et ainsi maintenir son influence dans le monde.
Si ce projet aboutit, il instituera la zone de libre-échange la plus importante de l’Histoire, couvrant 45,5 % du PIB mondial. Ses défenseurs affirment que l’accord conduira à une croissance économique pour les deux parties tandis que les critiques soutiennent qu’il augmentera le pouvoir des entreprises face aux États et compliquera la régulation des marchés. Pourtant, des traités d’envergure similaire ont également fait l’objet de négociations tels qu’ACTA, Canada-EU Trade Agreement (CETA) et le North American Free Trade Agreement (NAFTA). Ce qui diffère avec le TTIP est qu’il s’agit d’une négociation concernant deux géants, l’UE et les USA, moteurs du commerce international depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Les ambitions des deux parties sont bien réelles mais il est difficile de conjuguer ambitions et respect du calendrier puisque sont en jeu des sujets sensibles sur le plan technique et politique. Ainsi, il est légitime de s’interroger : les ambitions des USA et de l’UE sont-elles démesurées, déraisonnables, ou au contraire doivent-elles être maintenues ?
C’est à cette question que les intervenants ont tenté de répondre, exposant les arguments pour et contre la conclusion du traité tel qu’il est actuellement négocié.
Bercero, en faveur dudit traité, a ouvert le débat en rappelant l’origine des négociations du TTIP. Trois principales raisons les justifient selon lui.
Tout d’abord, au regard de la situation économique difficile de l’UE et des USA en 2013, l’Union a présenté une initiative commerciale afin d’établir un marché transatlantique permettant d’avoir un impact économique positif au sein des deux parties. Effectivement, ce traité représente une dimension de coopération plus large que les accords sectoriels qui ont pu être conclus auparavant entre les deux grands.
Ensuite, la seconde raison qui justifie ces négociations est la volonté d’une amélioration de la coopération règlementaire entre les deux parties.
Enfin, la volonté de moderniser les règles commerciales permettrait de poursuivre la mondialisation et le développement du commerce international, au profit des deux parties.
Bien qu’aujourd’hui les négociations soient en stagnation, il convient de rappeler que leur lancement s’est fait assez rapidement puisqu’il y a eu un appui unanime de tous les Etats membres. Cela démontre la volonté européenne de conserver les USA comme leur premier partenaire commercial en matière d’exportations.
Où en est-on aujourd’hui ?
A l’heure actuelle, il est difficile d’établir un réel constat en raison de l’opacité des négociations. Toutefois, celles-ci n’évoluent pas suite aux divergences des parties concernant certains domaines. Il s’agit essentiellement, a souligné M. Bercero, de l’agriculture, des achats publics et des services, qui pourtant représentent des secteurs classiques dans les accords de libre échange. Cependant, il est question de sujets délicats pour les deux parties, mais l’UE reste ferme sur le fait que les USA doivent être prêts à négocier sur ces secteurs car le marché transatlantique ne peut exister sans ces derniers. Malgré le peu d’avancement dans les négociations, depuis 2013, il y a évidemment eu des progrès notamment en matière d’offres tarifaires.
Concernant la coopération règlementaire, M. Bercero affirme qu’il y a d’intenses discussions en la matière afin de savoir sur quels points les règlementations sont équivalentes et ainsi minimiser les coûts d’harmonisation des normes. Il donne l’exemple du secteur automobile, où la règlementation technique est propre aux deux parties pour assurer la sécurité mais où le niveau n’est pas foncièrement différent.
S’agissant de l’harmonisation des normes, les deux parties souhaitent moderniser les règles commerciales et inclure de nouveaux secteurs dans ce commerce multilatéral. C’est une réelle possibilité au regard de la place mondiale occupée par l’UE et les USA sur le plan commercial.
La perspective aujourd’hui est d’avancer le plus possible avec l’administration présente aux USA. Cela signifie principalement de lever les divergences existantes avant la fin du mandat de M. Obama. Par la suite, il faudra attendre la mise en place de la nouvelle administration, ce qui prolongera encore une fois les négociations. Ce qui importe, c’est le fond de l’accord, qu’il soit équilibré et ambitieux, avec un calendrier réaliste.
Afin de justifier son opposition au TTIP, M. Tarabella, souligne sa crainte sur le comportement de l’UE dans sa faculté à signer des accords sans avoir de ligne de conduite sur des secteurs centraux comme l’agriculture. Face à cela, il souligne que les USA sont plus pragmatiques et tentent de protéger leurs marchés dans ces négociations.
Cependant, l’eurodéputé félicite la Commission européenne en raison de sa persévérance dans ces négociations, puisqu’aucun chapitre n’a été fermé pour l’instant. Ce qui affaiblit l’UE reste son absence de stratégie en matière de politique économique en dépit de son choix pour l’ultra-libéralisme. D’une part, l’ouverture est importante mais d’autre part, il faut des règles avec des droits de douanes car les conditions de travail et de production ne sont pas les mêmes au sein des deux parties. Cela s’explique par le fait que la compétitivité soit différente selon les normes.
S’agissant de la coopération règlementaire, M. Tarabella expose deux choix possibles.
- La première option serait de converger les normes, ce qui constituerait une sécurité pour les deux parties. Pour certains secteurs comme l’agriculture ou le droit des consommateurs, cela présente des difficultés puisque l’UE est plus protectrice donc revenir dessus serait procéder à un « détricotage anti démocratique des normes ».
- La seconde option serait de reconnaitre que les normes européennes et américaines sont équivalentes. Cependant, si les USA investissent moins dans la confectionnement d’un produit que l’UE et que les normes sont plus restreintes pour l’UE, il y aura un déficit européen par rapport aux américains. La compétitivité serait tronquée en faveur des USA.
S’agissant de la modernisation des règles commerciales, cela nous amène à évoquer l’arbitrage privé entre sociétés privées, multinationales et autorités publiques. La volonté des USA d’intégrer le mécanisme des tribunaux arbitraux dans le TTIP est un point très discuté en raison du désaccord entre les deux grands.
Il convient de rappeler que dans le TTIP, les sanctions pénales sont exclues, cela pouvant représenter une menace pour la conclusion du traité. Le recours à ce mécanisme d’arbitrage privé nommé « l’investor-state dispute settlement » présente quelques avantages par rapport à la procédure judiciaire générale. En effet, dans ce mécanisme les arbitres sont spécialisés, il est question d’une procédure unique et il est possible de recourir à une procédure d’arbitrage accélérée. Cependant, par ce mécanisme, les parties peuvent choisir les arbitres. Cela pose la question relative de la légitimité, un point relevé par M. Tarabella. Par ailleurs la procédure est confidentielle. Or il faut trouver un équilibre entre l’intérêt privé des parties et l’intérêt général.
Tarabella s’interrogeait s’il était vraiment nécessaire de créer un instrument privé pour régler les litiges. Selon lui, la réponse est négative puisque l’administration européenne est stable. Il est souvent question de remise en cause de normes environnementales, sociétales ou encore de santé publique par les américains au bénéfice des multinationales. En effet, plusieurs affaires illustrent cela telles que l’affaire Philip Morris ayant attaqué l’Uruguay et l’Australie ou encore Veolia qui a attaqué l’Egypte. Pour M. Tarabellea, les tribunaux privés sont des « machines à broyer des règles prises dans l’intérêt public au bénéfice de l’intérêt privé, de multinationales. »
L’agriculture est un des principaux points problématiques des négociations. En effet, ce secteur se trouve en difficulté au sein de l’UE car il n’y a pas de politique stratégique. Or, aux USA, c’est un secteur protégé. C’est cette différence que M. Tarabella a tenté de mettre en lumière, en affirmant que la PAC allait à contre courant de tous les acteurs économiques mondiaux, dépourvu d’aides européennes, tandis qu’aux USA, en plus de fixer le prix mondial d’un produit, ils attribuent des aides contra-cycliques. Par conséquent, ces aides compensatoires tiennent compte de la réalité économique alors qu’au sein de l’UE ces aides n’existent pas. Cela signifie qu’à la moindre tension du marché mondial le prix d’achat d’un produit européen tombe, et l’agriculteur européen se trouvera démuni face à l’agriculteur américain. Il existe donc une « hyper-volatilité » du domaine agricole d’après M. Tarabella.
Pour conclure, ces négociations mettent en exergue le fait que le politique a de moins en moins son mot à dire. Il y a une volonté d’enlever à la puissance publique sa compétence de légiférer, notamment concernant les règles relatives aux citoyens. En l’espèce, il s’agit d’un partenariat qui surprotège les multinationales, c’est le vrai problème puisque cela peut être dangereux par la suite. Dans ce mécanisme, les investisseurs se placent dans une position d’ ‘influenceurs’ du processus judiciaire. L’Etat ne gère plus le litige ; or, la Justice constitue l’un des secteurs régaliens-clés. Des tribunaux publics constitueraient donc une protection du droit des Etats à légiférer dans l’intérêt général.
Finalement, ces dispositions viennent dénaturer la portée du traité : le libre-échange n’y tient finalement plus le rôle principal, c’est la contestation de l’Etat au profit des intérêts privés qui se trouve au cœur des négociations.
Emmanuelle Gris et Kristell Prigent