De l’accablement américain au soulagement autrichien, l’effet domino n’a pas joué, il faut s’en réjouir fortement, mais de l’un à l’autre il y a plus de ressemblances que de différences.
L’élection de Donald Trump au poste de 45ᵉ président des États-Unis, le 9 novembre, est tombée exactement le jour du 27ᵉ anniversaire de la chute du mur de Berlin. En résultera-t-il une rupture comparable sur le plan de la politique internationale ?Comme au lendemain du Brexit et bien d’autres élections (y compris en partie les primaires françaises), comme pour les élections autrichiennes, l’élection américaine a été l’expression d’un rejet de la politique établie par les élites dirigeantes, le résultat d’un clivage social fort et d’un clivage politique exacerbé: républicains contre démocrates, blancs contre noirs, Hispaniques contre Anglo-Saxons, villes contre campagnes, jeunes contre vieux, Américains diplômés du supérieur contre Américains sans diplôme et même hommes contre femmes. Les polarisations se sont cristallisées autour des questions liées à l’immigration, aux impôts, au salaire minimum, à la pauvreté, aux accords de libre-échange, au changement climatique et à l‘avortement. Ce sont les analyses qui reviennent le plus fréquemment sous la plume des journalistes.
Mais ne sommes nous pas largement atteints du même mal ? Ces traits américains nous les retrouvons en Europe dans les élections autrichiennes qui présentaient un enjeu considérable avec leur lot d’arguments biaisés
Dans sa rhétorique électorale, Trump s’est fait le porte-parole du climat «anti-establishment» lié à ces facteurs. La marginalisation politique, sociale et économique de beaucoup d’électeurs a été l’un des thèmes récurrents de sa campagne. La puissance économique de l’Amérique et le nombre d’emplois ont certes enregistré une hausse pendant les années Obama, mais la répartition des revenus est inégale, les inégalités s’accroissent dangereusement la prospérité là où elle susbsiste Le FMI, sa présidente Christine Lagarde s’en alarme. Le nombre des travailleurs pauvres a augmenté. Trump a promis une politique commerciale protectionniste, une politique migratoire xénophobe allant jusqu’à une politique d’expulsion active, une politique climatique autonome allant jusqu’à la résiliation de traités déjà conclus comme l’accord de Paris. Reste à voir dans quelle mesure, une fois président, il les mettra également en œuvre.
Les populistes de droite européens ont fêté l‘événement. Marine Le Pen a félicité Trump avec enthousiasme et a voulu voir dans la victoire de Trump le signal d’un vent favorable pour ses propres ambitions présidentielles en France. Elle ne fut pas la seule. Nigel Farage a désigné l’année 2016 comme l’année de «deux grandes révolutions politiques» : le Brexit et l’élection de Trump. Geert Wilders a tweeté: «Les Américains reprennent possession de leur pays.». A tous ceux qui expriment avec force ce sentiment de liberté et d’indépendance retrouvées comme après la décolonisation, on a envie de poser la question à qui reprenez-vous la possession de votre pays ? A ceux qui ne craignant aucune outrance et assimilent Bruxelles à Moscou et au régime soviétique, on est tenté de poser la question : dans le Pacte de Varsovie de sinistre mémoire où trouve-t-on plus ou moins l’équivalent d’un acte fondateur comme le Traité de Rome ? Les traités d’adhésion ont-ils leur équivalent dans le pacte de Varsovie ?
Les musulmans, les Latinos et les migrants sans papiers prennent peur tout comme les minorités. Si Trump met à exécution les promesses de sa campagne, ils devront s’attendre à des expulsions. Et après les élections autrichiennes à quoi devons nous nous attendre ? S’apaiser en constatant qu’il s’agit d’un petit pays, de petites élections pour un président sans grand pouvoir et que finalement l’extrême droite sort battue. Au contraire ne faudrait-il pas sonner le tocsin avec plus d’ardeur. Dans la pratique les autrichiens ne viennent-ils pas de tourner une page sans avoir eu conscience qu’ils avaient eu entre leur main une partie du destin de l’Europe ? Les européens qu’ont-ils fait pour prévenir une telle dérive ?malgré tout le populisme ne vient-il pas de franchir un saut qualitatif majeur, accentuant l’impact idéologique du conservatisme, du souverainisme, le refus des solidarités communautaires, donnant un élan aux mouvements dits « identitaire » autant d’éléments déjà si forts en Europe centrale et orientale et qui ne demandent qu’à contaminer plus fortement encore le reste de l’Europe. Les occasions à venir restent nombreuses, la prochaine sera peut-être la « bonne » pensent-ils.
Sommes-nous à la fin d’un système politique et au début d’une nouvelle idéologie inquiétante ? Ces forces obscures, malfaisantes engrangent des succès dans les urnes. Une offre politique, cohérente, structurée, déterminée pour s’y opposer ne s’est pas encore mise en place. Ces forces rétrogrades ont généré leurs propres élites partisanes, bureaucratiques, médiatiques, elles gèrent des villes, des régions. Elles structurent le débat politique. Elles agitent des thèmes bien connus opposent en proposant des choix simplificateurs, amputant nos valeurs traditionnelles qu’elles démonétisent. De façon abusive la chrétienté, incontestable sur le plan historique, social et spirituel est enrôlée pour lutter contre l’islam, refuser les quotas des demandeurs d’asile , brimer les minorités, développer leurs affinités avec les démocraties « illibérales » de l‘Europe centrale, et celles de Poutine déniant tout droit aux minorités et faisant éclater les solidarités nées dans le cadre de l’Union européenne. La confessionnalisation de la vie publique se développe : le christianisme est détourné de ses origines, instrumentalisé pour mettre en difficulté la démocratie, les fondamentaux d’une Union européenne bien affaiblie pour faire face aux rhétoriques eurosceptiques totalement irréalistes. Irréalistes mais aussi d’une grande violence, une violence qui les apparente à des propos quasi insurrectionnels d’un autre temps et d’un autre lieu.
Malgré toutes les craintes associées à l’élection de Trump et associées aux succès électoraux présents et à venir, l’Amérique, l’Europe d’aujourd’hui ne peuvent être comparées à la République de Weimar et aux années 30. Le grand historien Ian Kershaw, spécialiste incontesté de la période réfute cette comparaison. Il fait observer que les sociétés européennes d’alors étaient fortement militarisées et qu’au sein des gouvernements, la présence des militaires était forte et influente, chacun sait que leur rôle, en maintes occasions, fut déterminent dans le déclenchement des guerres et la chute des démocraties mais il aurait pu s’interroger pour savoir si les militaires n’ont pas été remplacés par la finance, les puissances de l’argent qui semblent tout conduire. Ian Kershaw fait observer aussi que dans les années vingt et trente, les régimes autoritaires et dictatoriaux étaient infiniment plus nombreux qu’aujourd’hui. Accordons à l’historien le mérite de l’observation. Nos démocraties fonctionnent encore tant bien que mal, les équilibres, les régulations, les contrepoids et contrôles divers subsistent mais pour combien de temps ? L’Etat de droit subit, partout, des atteintes plus ou moins graves, les institutions de l’Union européenne s’en inquiètent : lisez l’article de Victoria Bonaert vient de consacrer au Rapport de Sophie In’t Veld. Forts de ce constat battons- nous pour préserver nos démocraties : compte tenu des nouvelles technologies, du comportement des médias, la démocratie et son bon fonctionnement ne vont pas de soi. Ce n’est pas un acquis qui va de soi et pour toujours.
Que nous-reste-il ? Répliquer ! Répliquer est désormais le mot d’ordre chez Eulogos. Il n’est pas nécessaire de polémiquer et de montrer du doigt en permanence l’adversaire. Montrer les choses positives, inconnues ou méconnues ou volontairement tues est aussi une forme de réplique. En montrant dans son article (« Solidarity cities : la réponse local à la crise des migrants ») Victoria Bonaert à sa façon réplique. La peste n’ a pas encore gagné.