125 000 personnes, dont 2 500 journalistes, ont perdu leur emploi depuis juillet dernier dans le cadre de purges d’une ampleur inédite.L’enquête d’Ingebjørg Godskesen (Norvège, Conservateurs européens) et Marianne Mikko (Estonie, Socialistes), pour l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), donne un compte-rendu (en date du 12 décembre dernier) et un calendrier des purges menées par le régime turc après la tentative de coup d’État, en juillet dernier. Des données d’une précision exceptionnelle, complétées le cas échéant par celles de la Fédération européenne des journalistes. Le texte joint en annexe mérite une lecture attentive.
Les autorités, soutenues par une large majorité de la population, ont immédiatement désigné le mouvement mené par Fethullah Gülen coupable du coup d’État raté. Les institutions d’État ont donc été purgées des éléments soi-disant loyaux au prédicateur exilé, considérés comme une organisation terroriste. Une aubaine pour un gouvernement qui tentait de se débarrasser de certains gêneurs, selon les opposants.
Rien que dans le secteur de l’éducation, 15 200 des 930 000 employés du ministère de l’Éducation ont été congédiés. Les licences de 21 000 enseignants d’écoles privées, pour la plupart gülenistes, ont également été annulées.
Durant l’état d’urgence, plusieurs « décrets à force de loi » ont été publiés, selon l’enquête. Cela a facilité le renvoi des fonctionnaires, membres du pouvoir judiciaire, du service public, de l’armée, des garde-côtes et de la police nationale. Les décrets ont également entrainé la liquidation d’associations et entreprises, ainsi que la saisie ou la confiscation de leurs actifs.
Les biens de 691 entreprises soupçonnées d’avoir un lien avec le mouvement güleniste (dont certains géants comme Boydak Holding, Kaynak Holding, Koza İpek Holding et Fi Yapı) ont ainsi été saisis par le fonds de garantie de l’épargne et des dépôts (TMSF). Selon les médias, TMSF aurait engagé trois institutions financières pour le conseiller sur la vente de ces entreprises.
L’enquête détaille également les mesures prises contre le parti kurde HDP, et notamment l’arrestation de ses deux présidents, Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ.
En outre, le 29 septembre, dix chaînes de télévision, dont Hayatın Sesi, Azadi TV, Jiyan TV, Van TV, TV10, Denge TV et Zarok TV ont été retirées de TÜRKSAT, la plateforme satellite nationale, à cause de « menaces qu’elles posent à la sécurité nationale et à leur soutien des groupes terroristes ». Le lendemain, 12 chaînes de télévision et 11 radios ont été supprimées. Les bâtiments abritant certaines de ces organisations ont été mis sous scellés. Le 3 octobre, la société satellite basée en France Eutelsat a éliminé le signal de Med Nuçe TV, une chaîne en kurde diffusant depuis la Belgique. La chaîne a contesté cette décision et interrogé ses fondements juridiques.
Selon certaines sources au sein de la Fédération européenne des Journalistes, Eutelsat SA a subi des pressions de la part du conseil suprême de la radio et télévision turc, qui souhaitait supprimer Med Nuçe TV, considérée comme pro-PKK par le régime. Mi-novembre, le tribunal du commerce de Paris a décidé que la diffusion de Med Nûçe et une autre chaîne, Newroz TV, devait toutefois continuer. C’est en effet l’autorité de diffusion belge, et non Eutelsat, qui a le droit de choisir de suspendre certaines chaînes.
Selon l’association professionnelle de la presse, 2 500 journalistes ont perdu leur emploi depuis l’adoption des décrets. Le 6 octobre 2016, les médias ont indiqué que l’institution chargée de répartir les publicités officielles dans la presse avait décidé de ne pas diriger de publicité vers les publications ayant des propriétaires, partenaires ou cadres accusés de terrorisme. Les journaux qui ne renvoient pas les journalistes accusés de terrorisme dans les cinq jours ne bénéficieront pas non plus des recettes qu’apportent les campagnes publicitaires officielles, selon une réglementation publiée dans la Gazette officielle le 5 octobre.
Le Conseil de l’Europe en a conclu que :
- plus de 125 000 personnes ont perdu leur emploi ;
- des poursuites judiciaires ont été engagées contre 92 607 suspects, dont 39 378 ont été arrêtées, dans le cadre de l’enquête sur la tentative de coup d’État ;
- 3 673 juges et procureurs ont été démis de leurs fonctions, et 2 700 ont été suspendus ;
- 2 410 juges et procureurs ont été détenus, et 769 ont été placés sous contrôle judiciaire ;
- 177 mandats d’arrêt ont été émis contre des juges et procureurs, et 122 juges et procureurs ont été relâchés ;
- 177 médias ont été fermés, seuls 11 ont rouvert ;
- plus de 140 journalistes ont été arrêtés ;
- environ 1 800 associations/fondations ont été fermées :
- environ 2 100 écoles, internats et universités ont été fermés.
Pour en savoir Plus
Texte des deux rapporteurs http://website-pace.net/documents/19887/2221584/AS-MON-INF-2016-14-FR.pdf/3e06bb1c-cdd9-4573-8652-b353b8508a54