Sous l’intitulé « Montée et structuration des droites radicales en Europe : comment la société civile peut-elle lutter contre le populisme régressif ? », le Forum civique européen (FCE), qui rassemble plus de 100 associations et ONG dans 27 pays européens, a accueilli à Bruxelles, le 24 janvier 2017, un séminaire consacré à l’une des facettes de la problématique populiste : la recrudescence de forces extrémistes qui bousculent les valeurs et les bases des sociétés démocratiques, avec le risque de mettre en danger le projet européen lui-même.
Cette rencontre a permis à des représentants du monde universitaire et de la société civile en général de confronter leurs points de vue en partant d’un constat : le terreau fertile que constituent, dans ce contexte, la crise de légitimité que traversent actuellement les institutions de l’UE à travers l’érosion de la démocratie représentative mais aussi la crise économique et celle des réfugiés, assombries par le spectre de l’austérité.
Les diverses interventions qui ont ponctué la rencontre se sont révélées riches d’enseignements. On en retiendra en particulier quelques traits saillants :
1) Pour Jean-Michel Ducomte, Maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse, l’actualité récente a mis en lumière un véritable modèle de populisme : le discours d’investiture de Donald Trump à la Maison Blanche.
Pour ce qui est de l’Europe, le conférencier a estimé que trois sortes de populismes coexistaient :
en Europe occidentale, comme l’illustrent les exemples de l’Autriche et, potentiellement, des Pays-Bas, le phénomène se traduit par une hostilité à l’égard de cibles telles que la classe politique traditionnelle ou l’immigration
en Europe du Nord, c’est le culte de l’identité nationale qui accompagne la montée du populisme – avec l’apparition de courants tels que celui des « Vrais Finlandais » et l’amorce d’une tendance similaire en Suède et au Danemark
en Europe centrale et orientale, le populisme est davantage assimilable à un phénomène de « refoulement » vis-à-vis des étrangers.
Le Pr Ducomte a par ailleurs tenu à mettre en garde contre le piège d’une identification pure et simple du populisme actuel aux antécédents des années 30 – un point de vue contesté par une partie de l’auditoire, qui a évoqué les voies démocratiques par lesquelles, à l’époque, des régimes autoritaires sont arrivés au pouvoir.
2) Pour Neil Datta, Secrétaire général du Forum parlementaire européen sur la Population et le Développement (Belgique), une forme de populisme réside dans l’action des mouvements de défense de la famille traditionnelle, pour lesquels le concept de « dignité humaine » prévaudrait sur celui de « droits humains ». En Europe, il s’agirait d’antennes largement financées par des mouvements américains mais aussi par la Russie, à l’origine de l’éclosion de courants autoritaires, par exemple en Hongrie, en Turquie, en France ou aux Pays-Bas.
Cela étant, Neil Datta a par ailleurs estimé que l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis constituait une opportunité pour l’Union européenne de se recentrer sur ses valeurs.
Dans les échanges qui ont suivi, des intervenants ont attiré l’attention sur les tentatives de certains groupes populistes d’investir le Parti Populaire Européen au Parlement européen. D’autres ont considéré que, face à la question de long terme que représentent les préoccupations de sécurité, les populistes ont plutôt tendance à raisonner à court terme.
3) Selon Marina Strabalo, membre du Forum civique européen de Croatie, le populisme constitue une réaction naturelle de personnes qui se sentent insécurisées et mal à l’aise face à la mondialisation. Se référant à l’exemple de son pays, elle a mis en évidence l’influence du retour d’expatriés ayant fui le conflit des Balkans et qui sont aujourd’hui porteurs d’un populisme cultivant une certaine « politique de l’émotion ».
4) Pour Christian Pirvulescu, professeur de droit à Bucarest, vice-président du Forum Civique Européen et membre du Comité économique et social européen, il conviendrait de s’attacher au concept d’ « illibéralisme » plutôt qu’à celui, plus vague, de « populisme ». De son point de vue, la situation est par ailleurs très particulière en Europe de l’Est, où le clivage gauche-droite n’est pas évident… du seul fait que la gauche est quasiment inexistante dans la plupart des pays concernés.
5) Marc Soignet, membre de la Fédération humaniste européenne, a invité les participants à ne pas négliger le problème, nourri par des courants populistes, de la brimade à l’égard des medias – une question particulièrement emblématique en Hongrie. Dans le prolongement de cette remarque, Neil Datta a évoqué le problème plus général de l’émergence de medias « alternatifs », vecteurs de désinformation : c’est dans ce contexte que des mouvements populistes développent leurs propres réseaux sociaux.
Gérard Vernier