Fondée à l’origine sur le principe de libre circulation des travailleurs introduit dans le Traité de Rome de 1957, la politique d’immigration de l’Union européenne a dû faire face à de nombreuses réticences des États membres qui rechignent toujours aujourd’hui à s’engager vers une harmonisation de leurs politiques en la matière.
Dans le contexte actuel de ce que l’on appelle communément « crise des migrants », il est indispensable de s’accorder sur les mesures à prendre et sur la stratégie à adopter. Les institutions européennes doivent faire face aux différentes situations vécues par les États membres qui ne sont pas tous confrontés aux mêmes difficultés et qui ne vivent pas dans les mêmes contextes.
Il y a 7 ans, la directive Retour entrait en vigueur et est toujours d’actualité aujourd’hui. Son objectif principal est d’instaurer des dispositions communes, à suivre par les États membres pour le retour et l’éloignement de migrants en situation irrégulière. Dans le corps du texte, on trouve plus précisément des dispositions relatives au recours à des mesures coercitives, à la rétention et la réadmission. Toutes ces mesures sont évidemment à utiliser dans un respect complet des droits de l’homme et des droits fondamentaux des personnes concernées.
En 2015, la Commission a présenté son agenda européen en matière d’immigration et, à l’époque de son élaboration le vice-président de la Commission, M. Frans Timmermans, la Haute représentante pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), Mme Federica Mogherini, et le commissaire européen à la migration et aux affaires intérieures, M. Dimítris Avramópoulos l’avait présenté lors d’une conférence de presse.
Le vice-président énonçait alors qu’une solidarité entre les États membres était indispensable afin d’appliquer d’une manière effective les mesures déjà existantes et de contrer les mouvements populistes : « The biggest gift we can give to populist and extremist is to allow a broken system to remain broken » (« Le meilleur cadeau que l’on puisse offrir aux populistes et aux extrémistes, c’est d’autoriser un système déjà défectueux à le rester »).
Deux ans plus tard, le 2 mars 2017, la Commission européenne a présenté de nouvelles mesures pour une politique de retour efficace et, surtout crédible. Elle a de nouveau appelé les États membres à mettre en œuvre d’une manière effective les mesures préexistantes.
En 2015, plus d’un million de personnes sont arrivées par la mer dont 3 771 sont décédées ou portées disparues lors d’une traversée. Suite à cet afflux massif, une politique de fermeture s’est développée au sein des pays de l’Union européenne. En effet, plusieurs d’entre eux ont décidé de réintroduire le contrôle aux frontières ou encore de construire des barrières physiques pour empêcher les migrants de pénétrer leurs territoires. À titre d’exemple, on peut citer la Belgique et les Pays bas qui, en février 2016, ont réintroduit les contrôles aux frontières. La Grande Bretagne, quant à elle (qui ne fait pas partie de l’espace Schengen), a totalement bloqué les migrants en provenance de France arrivant depuis Calais.
Cette migration massive est donc devenue un défi politique majeur. Les réactions de l’Union européenne furent nombreuses et plusieurs plans d’action et accords furent élaborés. Malheureusement, la situation aujourd’hui reste critique en matière de retour, comme l’explique M. Junker, président de la Commission européenne :
« L’Union européenne dispose de textes législatifs sur les retours et un plan d’action a été présenté en 2015. Mais les retours restent un maillon faible de la réponse européenne à la crise. Seul un tiers des personnes qui devraient être renvoyées le sont effectivement. Cette situation n’est pas acceptable. »
C’est donc pour y remédier que la Commission européenne a décidé de présenter ses recommandations ainsi qu’un plan d’action renouvelé en matière de retour il y a quelques jours afin de déterminer un angle d’application des dispositions préexistantes, notamment celles de la « directive retour ». Concernant cette dernière, la Commission a fait savoir qu’elle était disposée, si cela était nécessaire, à la réviser.
Un plan d’action revisité par la Commission européenne
L’une des mesures phares de ce plan d’action renouvelé est l’allocation aux États membres de 200 millions d’euros en 2017 pour les soutenir en matière de retour.
La Commission exige une amélioration de l’échange d’informations en matière d’exécution des retours. Elle souhaite y parvenir en accélérant l’adoption des propositions visant à réformer, notamment, le système d’information Schengen et la base de données Eurodac, et à créer un système européen d’entrée/sortie (EES) ainsi qu’un système européen d’information concernant les voyages (ETIAS).
La Commission désire également que l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes apporte pleinement son soutien aux États membres. Selon la Commission, l’Agence doit intensifier l’assistance préalable aux retours et accroitre le personnel de son unité d’appui en la matière. Elle souhaite également que soit mise en place, avant juin 2017, l’utilisation de vols commerciaux pour effectuer les retours.
Enfin, l’institution demande d’échanger les meilleures pratiques pour assurer la cohérence des aides à la réintégration entre les États membres, ceci dans le but d’éviter que les pays d’origine ne privilégient les retours au départ de pays offrant les meilleures aides à la réintégration ou que les migrants en situation irrégulière ne recherchent les formules de retour volontaire les plus avantageuses.
Des recommandations adressées aux États membres par la Commission européenne
L’institution européenne demande aux États membres d’améliorer la coordination entre tous les services et autorités qui interviennent dans la procédure de retour, (procédure régie principalement par la directive Retour de 2010), afin que, d’ici juin 2017, l’ensemble des compétences et de l’expertise nécessaires soit utilisé pour que les retours soient effectués efficacement, tout en respectant les droits des personnes concernées.
La Commission souhaite que les États membres raccourcissent les délais de recours et adoptent de manière systématique des décisions de retour sans date d’expiration. Les autorités responsables des États membres doivent également combiner la décision concernant la fin d’un séjour légal avec une décision de retour pour ne pas faire de double emploi.
Dans ses recommandations, l’institution souhaite également que les États membres luttent contre les utilisations abusives du système par l’instauration d’une procédure accélérée ou, le cas échéant, d’une procédure à la frontière lors de demandes suspectes.
De plus, afin de prévenir les risques de fuite, la Commission insiste sur la possibilité d’utiliser la rétention pour les personnes faisant l’objet d’une décision de retour, mais suspectées de ne pas vouloir s’y conforter et recommande donc aux États membres de l’utiliser plus souvent.
Dans ses recommandations, la Commission conseille en outre aux États membres de renforcer l’efficacité des procédures et des décisions de retour en n’autorisant un départ volontaire qu’en cas de nécessité et, s’il a fait l’objet d’une demande, en le soumettant au délai le plus bref possible au regard des circonstances propres à chaque situation.
Enfin, la Commission recommande de mettre en place des programmes d’assistance au retour volontaire avant le 1er juin 2017.
Où en est-on aujourd’hui ?
En termes de relocalisations, les chiffres sont encourageants, bien qu’ils ne correspondent pas encore à l’objectif mensuel énoncé par la Commission (à savoir 1000 relocalisations en provenance de l’Italie et 2000 en provenance de Grèce). L’institution européenne a d’ailleurs appelé les États membres à redoubler d’efforts pour atteindre cet objectif. À ce titre, certains des Etats ont réagi très favorablement à cet appel — ceux qui participaient déjà activement à la relocalisation tels que la Finlande par exemple (560 personnes sur 1 299 ont été relocalisées jusqu’ici et 359 sur 779 de l’Italie).
A contrario, plusieurs États ne se sont pas du tout engagés dans le processus de relocalisation prévu. En la matière, la Commission continue de suivre la question et insiste sur le fait que, si les États membres ne s’engagent pas d’une manière plus effective dans le processus de relocalisation, elle n’hésitera pas à « faire usage des pouvoirs qui lui sont conférés par les Traités ».
Il en est de même en matière de réinstallations. À l’heure actuelle, 13 968 des 22 504 réinstallations convenues ont été effectuées. Certains États membres et associés ont même déjà rempli leurs engagements en la matière tels que la Suède, le Royaume-Uni ou encore la Suisse, le Liechtenstein et l’Islande.
Ainsi, depuis le 4 avril 2016, 3 098 Syriens ont été réinstallés dans l’UE au départ de la Turquie, dont 487 depuis la publication du dernier rapport. Les autorités turques tiennent leur promesse d’intensifier leurs efforts afin d’étoffer les listes de candidats à la réinstallation. Les États membres devraient continuer à honorer leurs engagements en matière de réinstallation, notamment dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord UE-Turquie signé en 2016.
La Commission a tout de même précisé qu’il était nécessaire que les États membres continuent d’exécuter leurs obligations et a adressé une piqûre de rappel à ceux qui n’avaient pas encore participé au processus ou pas encore atteint l’objectif prévu en 2015, comme en matière de relocalisations.
M. Avramopoulos s’est exprimé à ce sujet et a insisté sur les efforts que les États membres de l’Union devront fournir pour atteindre les objectifs fixés : « Ces derniers mois ont été marqués par des progrès, tant sur le plan des relocalisations que des réinstallations. Toutefois, pour être en mesure de faire face à l’ampleur du phénomène, à la fois dans les États membres en première ligne et dans les pays de notre voisinage, nous devons agir davantage et plus vite. Il est possible de relocaliser toutes les personnes remplissant les conditions requises en Italie et en Grèce, mais il faudra pour ce faire que l’ensemble des États membres fassent montre de volonté politique, de détermination et de persévérance. »
Enfin, la Commission a appelé les Etats membres à redoubler d’efforts pour la mise en oeuvre des mesures de solidarité prises et à accélérer la mise en oeuvre du cadre de partenariat pour les migrations ainsi que plusieurs autres actions le long de la route de la Méditerranée centrale.
Reste à savoir quel chemin l’Union européenne choisira d’emprunter suite à la publication du livre blanc de la Commission en date du 1er mars 2017. Celui-ci expose les 5 scénarios envisageables par la Commission à l’horizon 2025 à savoir, s’inscrire dans la continuité, se concentrer sur le marché unique, laisser ceux qui veulent plus faire plus, faire moins mais d’une manière plus efficace ou encore faire beaucoup plus ensemble.
En ce qui concerne le défi de l’’immigration, les différents scénarios énumèrent trois situations:
- instaurer une coopération renforcée graduellement en matière de gestion des frontières extérieures, faire progresser la mise en place d’un système d’asile commun, améliorer la coordination sur les questions de sécurité ;
- ne pas organiser de politique unique en matière de migration ou d’asile mais instaurer une coordination approfondie en matière de sécurité effectuée bilatéralement et un contrôle aux frontières intérieures plus systématique;
- mettre en place une coopération systématique dans les domaines de la gestion des frontières, des politiques d’asile et de la lutte contre le terrorisme.
L’avenir de la politique d’immigration européenne est donc incertain, laissé à la bonne volonté des États membres. La Commission effectuera un nouveau rapport en la matière en juin 2017.
Sabrina Terentjew
Pour aller plus loin / Principales sources d’informations :
http://www.touteleurope.eu/actualite/comment-l-europe-fait-face-a-la-crise-des-refugies.html
http://europa.eu/rapid/press-release_WM-17-257_fr.htm?locale=FR
http://europa.eu/rapid/press-release_IP-17-218_fr.htm
http://www.touteleurope.eu/actualite/que-contient-l-accord-ue-turquie-sur-les-migrants.html