Article initialement publié en français et en anglais par la Fondation Schuman dans le n°437 de Questions d’Europe du 12 juin 2017. Les propos exprimés ici n’engagent que leur auteur.
Lorsque le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan pénètre dans la salle du Conseil européen à Bruxelles le 17 décembre 2004 dans la soirée, il vient concrétiser le rêve que la Turquie caresse depuis sa signature de l’Accord d’association le 12 septembre 1963, dit Accord d’Ankara : ouvrir les négociations d’adhésion à l’Union européenne. C’est la décision historique qu’ont prise dans la journée les chefs d’Etat et de gouvernement, soutenus par le Parlement européen le 15 décembre par 407 voix, contre 262. Jour de gloire pour le gouvernement Erdogan et son Parti de la Justice et du Développement (AKP) arrivé au pouvoir seulement deux années plus tôt, le 3 novembre 2002. Pourtant, le visage fermé d’Erdogan traduit une grande frustration, celle de devoir accepter le Protocole additionnel à l’accord pour étendre celui-ci à la République de Chypre et aux neuf autres États devenus membres de l’Union européenne le 1er mai 2004. C’est la condition que le Conseil européen a posée à l’ouverture des négociations.
-
D’ambiguïtés en malentendus
Le gouvernement Erdogan a bien pris un décret en mai 2004 qui étend l’Union douanière [1] établie avec la Communauté économique européenne en 1995 aux nouveaux États membres, mais Chypre en est exclue. La perspective des négociations va le pousser à ajouter Chypre dans un nouveau décret en octobre. ‘Chypre’ et non pas la République de Chypre que la Turquie ne reconnaît pas. Mais un décret reste un acte unilatéral. Seul un protocole engagera les deux parties. Et c’est à son corps défendant que, devant le Conseil européen, Erdogan confirme que « le gouvernement turc est prêt à (le) signer avant l’ouverture effective des négociations »[2].
Voilà bien le premier malentendu entre la Turquie et l’Union européenne. Ankara plaide, à juste titre, que c’est Nicosie qui a empêché la réunification de l’île, en rejetant par référendum le plan Annan le 24 avril 2004 [3], alors que la communauté chypriote turque l’a accepté dans un référendum parallèle. Sentiment d’injustice pour Erdogan et l’opinion publique turque. Première expression aussi de la méconnaissance et de l’incompréhension de ces derniers pour ce qu’est l’Union européenne, comment ses institutions fonctionnent et l’importance de la solidarité entre États membres. En effet, négocier son adhésion à l’Union européenne sans reconnaître tous ses membres pose évidemment problème, d’autant que trente mille soldats turcs restent stationnés à Chypre, sans qu’à aucun moment Erdogan n’ait réduit ce contingent comme gage d’ouverture et de confiance.
Le second malentendu réside dans le ‘cadre de négociation’ [4] que le Conseil européen, conformément à la pratique, demande à la Commission européenne de lui présenter en vue de l’ouverture des négociations. Mais le Conseil a déjà stipulé au point 23 de ses conclusions du 17 décembre que ce cadre devra prévoir que « de longues périodes transitoires, des dérogations, des arrangements spécifiques ou des clauses de sauvegarde permanentes » pourront être envisagés « dans des domaines tels que la libre circulation des personnes, les politiques structurelles ou l’agriculture ». Il reprenait en cela la recommandation de la Commission européenne dans son rapport du 6 octobre 2004. Et pour éviter que la ‘permanence’ de ces clauses ne conduise la Turquie au statut d’État membre de second rang, le Conseil précise que ces clauses pourront « être invoquées en permanence comme base pour des mesures de sauvegarde ». Subtilité qui cache mal l’ambigüité de la formule et qui traduit bien les craintes que suscite la perspective d’accueillir un jour la Turquie dans l’Union.
D’autant que le Conseil ajoute que si « l’objectif commun des négociations est l’adhésion (celles-ci) sont un processus ouvert dont l’issue ne peut être garantie à l’avance ». Si toute négociation est à l’évidence tributaire de ce principe, c’est pourtant la première fois dans des négociations d’adhésion où le Conseil le rappelle dans ses conclusions. Le poser si ouvertement fait déjà douter de l’issue du processus et affaiblit l’engagement qui devrait le conduire. Et le fait que cette formulation soit reprise dans le cadre de négociation avec la Croatie ne fait pas illusion. C’est bien la Turquie qui est visée dans ce qui est perçu, par son opinion publique et par Erdogan, comme une nouvelle injustice.
Le troisième malentendu va naître à nouveau du protocole, avant même que les négociations effectives ne soient ouvertes. Le protocole est signé le 13 juin 2005 par l’ambassadeur de Turquie à Bruxelles, Oguz Demiralp. Mais la lettre d’accompagnement précise que la Turquie ne reconnaît pas la République de Chypre comme représentant l’ensemble de l’île. Ce qui conduira le Conseil, après d’âpres discussions entre les États membres, à adopter une déclaration le 21 septembre 2005. Elle stipule que l’on escompte « une mise en œuvre complète et non discriminatoire du protocole…. que l’ouverture des négociations sur les chapitres ‘pertinents’ dépend du respect par la Turquie de ses obligations contractuelles à l’égard de tous les États membres (dont) le non-respect pèsera sur l’avancement général des négociations ». L’Union européenne y « insiste sur l’importance qu’elle attache à une normalisation aussi rapide que possible des relations entre la Turquie et tous les États membres (car) la reconnaissance de tous les États membres est une composante nécessaire du ‘processus’ d’adhésion ».
Les négociations d’adhésion sont formellement lancées par le Conseil le 3 octobre 2005 puisque leur ouverture n’exigeait que la signature du protocole. Mais le langage clé des conclusions du Conseil du 17 décembre 2004 et de la déclaration du 21 septembre 2005 est intégralement repris dans le ‘cadre de négociation’ que le Conseil adopte le 12 octobre. C’est dire que la reconnaissance de Chypre est bien liée au ‘processus’ de négociation et non à l’adhésion elle-même, ambigüité qui va rapidement perturber ce dernier. D’autant que la Turquie considère bientôt que les ports et aéroports sont des ‘services’, et par conséquent hors de l’Union douanière – laquelle ne couvre que des produits – et donc du protocole, ce qui empêche les échanges commerciaux directs avec Chypre. Si ce concept peut se défendre juridiquement, il est bien sûr inapproprié politiquement. Le Conseil demande d’ailleurs à la Commission de faire une évaluation en 2006. Constatant l’absence de changement sur Chypre, la Commission propose le gel de huit chapitres ‘pertinents’ [5], ce que le Conseil entérine.
Il s’agit des chapitres suivants, choisis précisément pour leur pertinence dans l’Union douanière: libre circulation des marchandises; libre circulation des travailleurs; droit d’établissement et libre prestation de services; services financiers; agriculture et développement rural; pêche; politique des transports; Union douanière. Un an plus tard, c’est la France qui décide de bloquer l’ouverture de quatre chapitres, considérant qu’ils appartiennent plutôt à la phase finale des négociations: agriculture et développement rural; politique économique et monétaire; dispositions financières et budgétaires; institutions. Ainsi, près d’un tiers des chapitres ne peut être ouvert aux négociations alors même que celles-ci ont à peine commencé. Nouveau sentiment d’injustice en Turquie, notamment à l’égard de la France et de Chypre. Ankara a oublié que si le processus est ‘technique’, au sens où il repose sur les critères et conditions du cadre de négociation, il est aussi éminemment politique et requiert, à chaque étape, l’unanimité des États membres.
2. L’illusion de ‘négociations’ d’adhésion
Onze ans plus tard, si 16 chapitres ont été ouverts, un seul est clos [6]. De malentendus en ambiguïtés le processus d’adhésion est au point mort. Mais alors, pourquoi l’Union européenne a-t-elle ouvert ces négociations ? En déposant sa candidature le 14 avril 1987, la Turquie a rappelé que l’adhésion lui avait été ‘promise’ dès l’accord de 1963. Son préambule reconnaît en effet « que l’appui apporté par la CEE aux efforts du peuple turc pour améliorer son niveau de vie facilitera ultérieurement l’adhésion de la Turquie à la Communauté ». Et l’article 28 stipule que « lorsque le fonctionnement de l’accord aura permis d’envisager l’acceptation intégrale de la part de la Turquie des obligations découlant du traité instituant la Communauté, les Parties contractantes examineront la possibilité d’une adhésion ». Et des déclarations du Général de Gaulle et du chancelier Adenauer pouvaient laisser entendre un soutien en ce sens. Mais il s’agissait alors du ‘Marché commun’ et non de l’Union qui allait naître 40 ans plus tard du Traité de Lisbonne. Promesse vieille de 40 ans faite par une organisation profondément différente, mais utilisée à dessein par la Turquie pour que l’Europe apparaisse comme débitrice envers elle.
Dans son Avis du 18 décembre 1989, la Commission avait jugé cette candidature prématurée mais n’avait pas remis en cause l’éligibilité de la Turquie. C’est le Conseil européen d’Helsinki, le 11 décembre 1999, qui lui confère le statut de ‘candidat’, avec l’appui de la Grèce et le soutien remarqué de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni. Le Conseil a considéré qu’au moment où il décidait d’ouvrir les négociations avec la Bulgarie et la Roumanie – après l’avoir fait en décembre 1997 avec les États baltes et ceux de l’Europe centrale, ainsi que Malte et Chypre – conférer à la Turquie le statut de ‘candidat’ ne pourrait que faciliter la réunification de Chypre et apaiser les tensions en mer Égée, outre la ‘promesse’ faite quarante ans plus tôt. Les tenants de l’ouverture font aussi valoir que l’adhésion de la Turquie permettrait de démontrer qu’Islam et démocratie sont compatibles – alors que les images du 11 septembre sont dans toutes les mémoires. De plus, les relations d’Ankara avec Israël sont excellentes. Quant aux frontières turques avec des États incertains, d’aucuns y voient au contraire l’avantage de sécuriser l’Union en renforçant cet avant-poste stratégique, membre de l’OTAN.
En devenant ‘pays candidat’, la Turquie entre ainsi dans le processus qui allait la conduire aux négociations d’adhésion cinq ans plus tard. Mais sans qu’il y ait eu un vrai débat, ni sur les frontières de l’Union, ni sur sa capacité à intégrer un pays qui en deviendrait le plus grand membre. Comme les critères d’adhésion [7] appelaient précisément à s’assurer de « la capacité de l’Union à assimiler de nouveaux membres », la Commission a analysé l’impact possible de cette adhésion dans une étude qui accompagne son rapport du 6 octobre 2004. Impact qu’elle estime important notamment pour l’agriculture, la libre circulation des personnes et l’appui budgétaire post-adhésion.
La contribution budgétaire de l’Union au rattrapage post-adhésion de la Turquie serait en effet considérable. Aussi, pour rassurer les États membres, le cadre de négociation précise, au point 13, qu’en raison même des « conséquences financières importantes, les négociations ne sauraient être conclues qu’après l’établissement du cadre financier (pour l’UE) pour la période débutant en 2014 ». Formulation à la fois ambigüe et optimiste puisqu’elle permettait de penser que les négociations pourraient s’achever durant la période couverte par ce cadre financier, c’est-à-dire entre 2014 et 2020.
Et, si la Commission recommande bien ‘transitions, dérogations et sauvegardes’ – ce que le Conseil reprendra dans ses conclusions, puis dans le cadre de négociation – les bouleversements que l’adhésion de la Turquie entraînerait ne sont pas discutés au fond. Une discussion approfondie est renvoyée à plus tard et le débat public est demeuré limité. C’est d’autant plus fâcheux que l’adhésion de la Turquie a manifestement joué un rôle négatif dans le rejet par la France du projet de traité établissant une constitution pour l’Europe le 29 mai 2005, puis par les Pays-Bas le 1er juin. Quatre mois plus tard, les négociations étaient pourtant lancées. Ainsi se crée un nouveau malentendu, cette fois avec l’opinion publique européenne, et qui va aussi contribuer à saper la confiance dans l’Union.
Il est vrai que les très grands progrès de la Turquie en matière de démocratie et de droits de l’Homme – sans équivalent depuis l’établissement de la république en 1923, dont l’abolition de la peine de mort – laissaient penser que les négociations allaient accélérer encore les réformes. Celles-ci étaient bien sûr au cœur de la recommandation de la Commission, laquelle soulignait toutefois la lenteur de leur mise en œuvre et l’irréversibilité à assurer. Elle insistait aussi sur les progrès à accomplir, notamment sur les droits des minorités et recommandait l’adoption de six textes législatifs, en particulier sur le Code pénal pour renforcer la liberté d’expression.
Sa recommandation positive, sous ces réserves, est reprise par le Conseil : « la Turquie remplit suffisamment les critères politiques de Copenhague pour que soient ouvertes des négociations d’adhésion ». Et le Commissaire à l’élargissement d’alors, Günter Verheugen, va répéter à l’envi que ce qui importe c’est le processus, censé transformer davantage encore la Turquie, plus que l’issue de celui-ci. Destinée avant tout à rassurer l’opinion publique, cette déclaration n’en souligne pas moins l’ambiguïté de ces ‘négociations’.
Ambiguïté du terme lui-même. En effet, dans les négociations d’adhésion et quel que soit le pays candidat, il n’y a de vraies ‘négociations’ que sur les aspects budgétaires, certains éléments de la politique agricole commune et sur d’éventuelles périodes de transition. Pour l’essentiel des 35 chapitres, il s’agit en fait pour la Commission – et, sur sa recommandation, pour les Etats membres – de s’assurer que le pays en négociation intègre dans sa législation nationale l’acquis communautaire, chapitre par chapitre, et se dote des moyens et mécanismes pour le « mettre en oeuvre de façon efficace et effective » [8].
C’est bien ce que les pays d’Europe centrale et orientale ont compris et réalisé durant le processus qui a conduit à leur adhésion. Des ministres turcs ont en revanche souligné à plusieurs reprises que le socle législatif européen pourrait s’adapter à l’adhésion de leur pays. En d’autres termes, le ‘club Europe’ devrait changer certaines de ses règles pour accueillir la grande Turquie. Ce qui a conduit le Commissaire Johannes Hahn à rappeler, à propos des ‘critères politiques’, que c’est la Turquie qui souhaitait adhérer à l’Union et non l’inverse ! Malentendu toujours, utilisé à dessein par Ankara face à ses dérives politiques, mais qui renforce le sentiment d’une grande partie de l’opinion publique turque que l’Union ne souhaite pas l’accepter en son sein.
C’est assurément le soutien déterminé de Jacques Chirac [9], Tony Blair et Gerhard Schröder, avec l’appui de la Grèce, qui a emporté la décision du Conseil. C’est l’âge d’or de l’Union dans cette période d‘optimisme où elle devait développer ‘l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde’, selon le président de la Commission, Romano Prodi en mars 2000. Ne vient-elle pas d’ailleurs d’intégrer huit pays postcommunistes qui ont changé de système, pacifiquement, dans ce 5ème élargissement qui constitue sa réponse à la fin de la division de l’Europe et à ses risques potentiels ? Elle vient aussi, en juin 2003, de lancer la politique de voisinage pour créer un ‘cercle de pays amis’ et de confirmer aux Balkans occidentaux leur ‘perspective d’adhésion’. L’Union veut faire de son soft power la clé de ses politiques de voisinage, comme avec l’Europe centrale et orientale. Irénisme post-guerre froide ? Douze ans plus tard, le ‘cercle d’amis’ est devenu ‘cercle de feu’ et la Turquie renoue avec ses vieux démons, autoritarisme et violence.
« Je crois que la Turquie, dans l’état où elle se trouve, n’est pas en situation de pouvoir adhérer sous peu, ni d’ailleurs sur une plus longue période ». Cette déclaration du président de la Commission, Jean-Claude Juncker à France 2, dix jours après le coup d’État avorté en Turquie les 15-16 juillet 2016 et la réaction du président Erdogan par des milliers d’arrestations, mettent fin aux faux-semblants depuis l’ouverture des négociations. Elle reflète aussi les changements survenus dans l’Union : crise économique, crise migratoire, crise de légitimité même du ‘système européen’ en rupture avec une partie de son opinion publique. D’ailleurs, dès 2007, Nicolas Sarkozy s’est dit opposé à l’adhésion de la Turquie. La chancelière Merkel, tout en déclarant qu’inviter la Turquie à devenir pays candidat était une erreur, ne s’est pas opposée au processus. Les négociations se sont donc poursuivies, nouvelle ambigüité venant de deux acteurs clés dans l’Union.
3. Vers l’hyper présidence du « nouveau sultan »
Les espoirs de réformes à Ankara ont rapidement été douchés, leur rythme n’a pas été maintenu. Les droits des minorités, notamment des Alévis, n’ont pas progressé. Point important pour l’Union, le dialogue pour une solution pacifique de la question kurde a suscité de grands espoirs. Lancé en 2013, il a avorté en 2015 et un nouveau cycle de violence s’en est suivi, d’autant plus brutal que les Kurdes s’affirmaient comme une force essentielle contre Daesh en Syrie et en Irak. Et lorsque des juges ont lancé fin 2013 des enquêtes pour corruption présumée dans l’entourage du Premier ministre, ce dernier y a vu une ‘conspiration’ par son ancien allié Fethullah Gülen, réfugié aux Etats-Unis. La répression qui s’en est suivie a démis ou déplacé quelque 6.000 policiers et magistrats.
Devenu président en août 2014, Recep Tayyip Erdogan a depuis lors régné sans partage, laissant au Premier ministre Ahmet Davutoglu, la tâche de restaurer une Turquie néo-ottomane aspirant, avec le ‘modèle turc’, à jouer les tuteurs des régimes issus des ‘Printemps arabes’. Son échec, notamment avec l’Égypte, lui a fermé cette voie. Fort de la majorité absolue de l’AKP aux secondes élections législatives de 2015 – les premières ayant été annulées pour espérer réduire l’ampleur du succès du parti kurde HDP – le président Erdogan s’est attaqué de plus belle aux opposants et media, qualifiés de ‘terroristes’, dans son discours aux ambassadeurs le 12 janvier 2016, alors que la Turquie subissait une série d’attentats: « Nous faisons face aujourd’hui à la trahison des intellectuels…vous êtes avec la nation et l’Etat ou avec les organisations terroristes… tous ceux qui vivent de l’État mais le traitent en ennemi doivent être punis ».
On est loin des critères d’adhésion. Au lendemain de la victoire de l’AKP en novembre 2002, Erdogan avait affirmé sa volonté de « respecter l’héritage de ‘Kemal’, la laïcité et d’accélérer les réformes ». Il a en fait utilisé le processus d’adhésion pour s’affranchir du kémalisme en réduisant le rôle de l’armée (principe du contrôle du ‘militaire’ par le ‘civil’) et en abandonnant des éléments de la laïcité (principe de non-discrimination, sur le port du voile à l’université, par exemple). Ce changement est si profond qu’il ne peut résulter de la seule tiédeur de l’Union sur l’adhésion de la Turquie, comme d’aucuns l’affirment. Il semble bien consubstantiel à l’idéologie portée par Erdogan, devenu proche des Frères musulmans. Et sa diatribe contre la décision de la Cour européenne de Justice du 14 mars 2017 sur le droit des entreprises d’interdire, sous conditions, le port du voile au travail, ne laisse planer aucun doute, même si elle s’inscrit dans la campagne référendaire sur la Constitution [10]. D’ailleurs, faits nouveaux: le président commence ses meetings en invoquant Dieu et la multiplication des mosquées dans tout le pays ne laisse pas de surprendre le visiteur.
L’Union européenne va pourtant conclure, dans l’urgence, le 18 mars 2016, un accord face au flux massif de réfugiés, qui explicite le plan convenu le 29 novembre 2015. Accord en trois volets principaux: limitation des réfugiés et aide de 3 milliards € à leur installation en Turquie; relance du processus d’adhésion; accélération du dialogue pour la libéralisation des visas. « Journée historique » dira Ahmet Davutoglu. ‘Journée de dupes’ pour beaucoup. ‘Pragmatisme’ pour le Commissaire Hahn et pour une Union désemparée. Avait-elle le choix ? Ayant laissé se développer des relations ambiguës, et ses États membres divisés et sans autre solution, elle est devenue ‘otage’ de la Turquie. La migration a fortement diminué; un nouveau chapitre de négociation, l’énergie, a été ouvert; l’Union a déboursé 748 millions € à fin 2016. Et la ratification de l’accord de réadmission en juin 2016 ouvre la voie à la libéralisation des visas [11]. Celle-ci obéit toutefois à un cahier des charges rigoureux que la Turquie estime avoir rempli, alors que l’Union européenne lui demande de réviser sa législation sur le terrorisme. Le président Erdogan a menacé à plusieurs reprises de rompre l’accord sur la migration si cette libéralisation des visas était reportée. Or, elle l’a été en l’absence de progrès par Ankara, sans que les menaces ne soient mises à exécution. Mais pour combien de temps ? L’accord tiendra-t-il sans cet élément clé ?
Le coup d’état avorté des 15-16 juillet 2016 et les purges immédiates et massives dans l’armée, la police, la justice, l’éducation et les media qui ont suivi (quelque 43.000 personnes emprisonnées, 130 media fermés, 149 généraux démis), traduisent la fragilité des institutions, et donc des réformes accomplies, et le fossé avec l’Union. D’ailleurs, le président a réagi avec véhémence à la demande de l’Union du respect de l’État de droit [12]: « Le monde occidental a été en contradiction avec les valeurs qu’il défend…. C’est aux membres de l’Union d’essayer de corriger leurs relations avec la Turquie. Cela fait 53 ans que nous sommes aux portes de l’Europe. L’Union européenne est la seule responsable et coupable » [13].
Au-delà de la victimisation habile, c’est la Turquie profonde qui se sent blessée par cette Union qu’elle aspire à rejoindre, mais sans comprendre ce qu’elle est et pourquoi elle critique sa politique. D’autant que le pays est un élément clé dans l’OTAN, pour le contrôle des migrations et pour le transit énergétique. Porté par un nationalisme exacerbé, héritage du kémalisme, le régime met le travail, la famille et la religion au cœur de sa politique. Il est largement suivi par le petit peuple et les nouvelles classes moyennes enrichies par les succès économiques impressionnants de l’ère Erdogan. Ce régime ‘totalisant’ exclut toute critique, considérée comme antiturque. Déçu à l’Ouest, Erdogan a d’ailleurs relancé les relations avec la Russie le 9 juillet 2016.
La réforme de la Constitution pour instaurer un régime hyper-présidentiel a été votée par l’Assemblée nationale malgré les vives critiques de la Commission européenne pour la Démocratie par le Droit du Conseil de l’Europe (dite Commission de Venise) dans son avis du 13 mars 2017, et alors même que les leaders du parti HDP étaient en prison. Elle a été adoptée par référendum le 16 avril avec 51.3% des voix. Marge étroite certes et avec une Turquie coupée en deux, mais le ‘nouveau Sultan’ a gagné son pari. Chef de l’État, de l’exécutif, des armées et des services secrets, Erdogan dirige aussi l’AKP, faisant de la Grande Assemblée Nationale une chambre d’enregistrement avec la mise en oeuvre du texte après les élections de novembre 2019. Autorité unique sans contre-pouvoirs puisqu’il pourra gouverner par décrets, décider du budget, déclarer l’état d’urgence, nommer ministres et hauts fonctionnaires, ainsi que la moitié des membres de la Cour constitutionnelle, les autres l’étant par l’Assemblée, dominée par son parti.
4. Vers un « partenariat privilégie »
Erdogan déclarait en 2006 [14]: « Si la Turquie ne peut adhérer à l’Union européenne, les critères de Copenhague deviendront ceux d’Ankara. » Ce temps semble bien loin. Et ses insultes contre l’Allemagne et les Pays-Bas [15] ont creusé un fossé infranchissable avec l’Union. Aucune des deux parties n’est dupe, mais aucune ne souhaite, pour l’heure, faire le premier pas. Des voix s’élèvent pourtant dans l’Union pour suspendre les négociations d’adhésion. Le Chancelier autrichien l’a demandé en août 2016. D’autres responsables européens suivent, comme le Premier ministre belge le 7 mai 2017.
Le Parlement européen a fait de même dans une résolution, non contraignante, du 24 novembre 2016 par 479 voix, contre 37 et 107 abstentions. « Ce vote n’a aucune valeur », fut la réplique de défi du président Erdogan ! Les députés ont toutefois réaffirmé « leur engagement en faveur du maintien de l’ancrage de la Turquie à l’Union européenne » et se sont engagés à revoir leur position lorsque les « mesures disproportionnées (adoptées suite au coup d’État avorté) auront été levées ». L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a décidé le 25 avril 2017 de placer la Turquie sous surveillance quant aux droits de l’Homme, à la démocratie et à l’état de droit.
Le ‘cadre de négociation’ de 2005 prévoit d’ailleurs « la suspension des négociations… en cas de violation grave et persistante des principes de liberté, de démocratie, de respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ainsi que de l’État de droit sur lesquels l’Union est fondée ». Cette suspension, qui peut être recommandée soit par la Commission de sa propre initiative, soit à la demande d‘un tiers des États membres, est décidée à la majorité qualifiée, la fin des négociations devant l’être quant à elle à l’unanimité, comme leur ouverture. Mais l’issue de la procédure serait incertaine, car bien des États membres préfèreraient à n’en pas douter un gel de facto à une suspension de jure, tant que le risque migratoire demeurera. L’Union reste à cet égard otage de la Turquie. Et le président Erdogan rappelle régulièrement que si l’Union ne tient pas ses promesses, la Turquie peut, à tout moment, laisser les migrants prendre à nouveau la voie de l’Europe.
C’est bien cette crainte qui a conduit le Conseil Affaires étrangères réuni à La Valette le 28 avril 2017 à adopter une position d’attente en cinq points, ferme sur les principes, mais prudente quant aux conséquences de leur non-respect par la Turquie. Le Conseil a, en effet, rappelé que les « critères de Copenhague sont très clairs sur la démocratie, les droits de l’Homme, la liberté d’expression et le bon voisinage » et il a appelé la Turquie à « respecter l’opposition et à mener une politique inclusive ». La prudence est le fil conducteur des trois autres points: la Turquie étant un « partenaire clé », les Européens « respectent le référendum » et ils attendent le rapport de la mission d’observation des élections de l’OSCE et la décision de la Commission de Venise; le processus d’adhésion n’est « ni suspendu ni interrompu …. (mais) aucun nouveau chapitre ne sera ouvert ». Certains ministres, comme le Luxembourgeois Jean Asselborn, ont clamé haut et fort que « le processus d’adhésion est mort », mais le ministre allemand Sigmar Gabriel a été clair: « le gouvernement allemand est strictement opposé à la rupture des négociations ».
Fermeté mais prudence avaient aussi présidé au nouveau débat du Parlement européen le 26 avril, à la veille du Conseil de La Valette. Son président, Antonio Tajani, l’avait posé clairement: « L’Union européenne n’a pas l’intention de fermer la porte au peuple turc », alors que « des millions de Turcs partagent les valeurs de l’Union et comptent sur elle pour catalyser les réformes », comme l’a souligné Kati Piri, rapporteur pour la Turquie. La ‘ligne rouge’ reste le rétablissement de la peine de mort, plusieurs fois évoqué par Erdogan. Or, l’Allemagne et l’Autriche se sont déclarées le 7 mai 2017 opposées à ce que leurs ressortissants turcs puissent voter lors d’un possible référendum à cet égard. Ce qui annonce une nouvelle confrontation si un tel projet devait voir le jour.
La majorité des députés européens souhaite en fait revoir les relations avec ce pays car: « Ce n’est plus réaliste de penser que la Turquie deviendra membre de l’Union européenne …. il faut arrêter cette chimère et mener une discussion de fond », comme le déclarait le leader du groupe du Parti Populaire Européen, Manfred Weber, le 25 avril 2017. Sentiment partagé par le Commissaire Hahn dans sa réponse: « Le moment est venu pour une discussion ouverte et amicale sur le futur de notre relation ».
Le président Erdogan a-t-il compris, de son côté, que sa façon peu orthodoxe de mettre en œuvre les critères d’adhésion et son désir d’hyper-présidence, confirmé par sa nouvelle Constitution, lui aliénaient les États membres et les institutions européennes au point que l’adhésion devenait illusoire ? On peut le penser avec sa mise en demeure de l’Union le 2 mai 2017 d’ouvrir d’autres chapitres dans les négociations faute de quoi la Turquie quitterait ces dernières. Or, il sait bien qu’aucun chapitre ne sera ouvert dans les circonstances actuelles, comme l’a déclaré le Conseil à La Valette. Il s’offrirait donc un retrait unilatéral digne en quittant les négociations plutôt que de subir l’humiliation de critiques européennes récurrentes et qui s’attaquent au cœur de sa pratique du pouvoir. Il en sortirait encore grandi aux yeux de ses supporters, en présentant à nouveau la Turquie comme victime de l’Europe. Ce faisant, il éviterait aux États membres et à l’Union d’être en contradiction avec ses valeurs et de se déchirer sur une difficile décision de suspension des négociations ! On peut douter qu’il fasse ce ‘cadeau’ alors qu’il garde en main l’arme migratoire. Il déclarait d’ailleurs le 9 mai que « l’adhésion restait l’objectif stratégique de la Turquie ».
Cesser les négociations ne signifierait nullement isoler la Turquie. Le cadre de négociation a au contraire prévu, en son point 2, que « si la Turquie n’est pas en mesure d’assumer intégralement toutes les obligations liées à la qualité de membre, il convient de veiller à ce qu’elle soit pleinement ancrée dans les structures européennes par le lien le plus fort possible ». Quel pourrait être ce lien fort ? L’objectif serait de conduire la Turquie, par étapes, vers une association étroite à l’Union, compte tenu des intérêts mutuels conséquents. Quels pourraient être alors les contours d’un ‘Partenariat privilégié’, évoqué pour la première fois en 2006 [16] ? Quatre volets pourraient être envisagés.
Le premier volet serait une Union douanière modernisée (UD). Mise en œuvre le 1er juillet 1996, elle ne couvre en effet que les produits manufacturés et certains produits agricoles transformés. Mais elle exclut, entre autres, marchés publics et services. Le sommet Union- Turquie du 29 novembre 2015 a marqué son accord sur la préparation d’une UD modernisée qui couvrirait produits, services, barrières techniques au commerce, marchés publics et propriété intellectuelle.
La consultation publique que la Commission a organisée, en vue d’un nouvel accord, a en effet montré que les entreprises européennes font face à de multiples difficultés: procédures douanières lourdes, obstacles techniques, aides d’État en contradiction avec l’accord, ou encore propriété intellectuelle ignorée. Les échanges commerciaux Turquie-UE ont certes été multipliés par quatre en vingt ans pour atteindre plus de 140 milliards € en 2016, l’Union ayant un solde positif de 12 milliards. Mais les importations de la Turquie en provenance d’Asie ont atteint, dans le même temps, le double de celles en provenance de l’Union. Il est donc temps de rénover l’UD, comme le souhaitent les acteurs économiques européens et turcs. C’est à cette fin que la Commission a demandé au Conseil un mandat de négociation le 21 décembre 2016.
Une question liée surgirait alors: si les services étaient couverts, l’argument d’Ankara sur le protocole de Chypre tomberait. Mais la Turquie abandonnera-t-elle cette carte maîtresse pour une UD rénovée ? Sans doute, si les négociations pour la réunification de l’île, relancées en 2016 sous l’égide des Nations Unies, réussissent. A moins qu’elle ne joue cette carte pour un accord plus vaste et plus politique.
Le second volet serait un nouvel Accord d’association, remplaçant celui de 1963. A l’instar de l’accord avec l’Ukraine, il inclurait un dialogue politique et une coopération étroite dans la justice et les droits fondamentaux, la sécurité, l’énergie, les transports et l’environnement, pour ne citer que les domaines clés.
Le troisième volet pourrait précisément aménager l’adoption de la législation européenne par la Turquie dans des domaines essentiels comme l’énergie ou l’environnement, ou bien des normes et standards non couverts par la nouvelle UD. Là-aussi, le double accord avec l’Ukraine [17] pourrait servir de guide, pour intégrer le marché turc, par étapes, au marché intérieur de l’Union, au-delà de l’UD.
Un tel accord conduirait la Turquie aux portes de l’Union, dans une situation semblable à celle de l’Ukraine au terme de sa mise en œuvre complète de l’ALECA. La Turquie pourrait peut-être alors intégrer le premier cercle d’une Union européenne dont certains des membres auraient, dans le même temps, approfondi leur intégration dans de nouveaux domaines. Les volets 2 et 3 ont toutefois très peu de chance d’être considérés avec la pratique actuelle du pouvoir, surtout lorsque la nouvelle Constitution sera entrée en vigueur.
Dans l’immédiat, une UD rénovée semble donc être la seule voie réaliste et d’intérêt mutuel. Elle pourrait toutefois être couronnée par un dernier volet: faire participer la Turquie au Conseil Affaires étrangères pour les questions régionales d’intérêt commun. Le Partenariat, ou sa première étape, prendrait alors tout son sens en reconnaissant ainsi la position stratégique de la Turquie, ce qui atténuerait l’amertume née de l’abandon des négociations d’adhésion. Les volets 2 et 3 pourraient être envisagés une fois que des changements substantiels seraient intervenus à Ankara.
En toute hypothèse, le maintien artificiel des négociations d’adhésion ne peut que frustrer davantage la Turquie et diminuer encore la crédibilité de l’Union, dont l’opinion publique est majoritairement opposée à l’adhésion. Il est toutefois à craindre que les deux partenaires ne connaissent encore d’autres tensions et crises avant que la raison ne l’emporte pour des relations apaisées et prometteuses.
Pierre Mirel
Directeur à la Commission européenne 2001-2013
(DG Élargissement)
1. Accord commercial qui libéralise les échanges de produits manufacturés et par lequel la Turquie adopte, en outre, le tarif douanier commun de la CEE. Il entrera en vigueur le 1er juillet 1996 et sera complété par une liste de produits agricoles transformés en 1998.
2. Conseil Européen de Bruxelles, 16-17 décembre 2004, Conclusions de la Présidence. Conseil de l’UE, 16238/04, 17 décembre 2004.
3. Plan négocié entre les communautés chypriotes grecque et turque sous l’égide des Nations Unies mais contre lequel le président Papadopoulos a finalement appelé à voter.
4. Document adopté par les États membres et le pays candidat lors de la première conférence d’adhésion et qui pose les principes régissant les négociations, le contenu de celles-ci et les procédures qui seront suivies.
5. L’ensemble de la législation européenne, ou acquis
communautaire, est divisé en 35 chapitres thématiques pour faciliter les négociations.
6. Science et Recherche, pour lequel il y a si peu d’acquis communautaire que cette clôture est purement symbolique.
7. « Des institutions stables, garantissant la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection; une économie de marché viable ainsique la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l’intérieur de l’Union ». Critères souvent mentionnés comme ‘politiques’ d’une part, et ‘économiques’ d’autre part. Décidés par le Conseil européen de Copenhague les 21-22 juin 1993.
8. Formulation complémentaire aux critères de Copenhague sur la ‘capacité administrative’ du candidat, adoptée par le Conseil européen de Madrid en 1995.
9. Position d’autant plus surprenante que l’UMP n’y était pas favorable, tout comme la CDU en Allemagne. C’est bien plutôt la gauche européenne qui soutenait cette adhésion.
10. « Chers frères, ils ont lancé une croisade contre le Croissant », 16 mars 2017.
11. Les États membres ayant compétence pour l’octroi des visas, ils ‘facilitent’ l’obtention de ceux-ci pour les hommes d’affaires, étudiants, etc…. Cet accord de ‘facilitation’ est subordonné à un accord de réadmission qui stipule que les migrants illégaux expulsés doivent être réadmis par le pays dont ils viennent en dernier lieu. La libéralisation abolit les visas dans l’espace Schengen pour les séjours de 90 jours.
12. Par la voix de Federica Mogherini, Haute Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de Sécurité et de Martin Schultz, président du Parlement européen qui déclaraient le 18 juillet que « des décisions arbitraires ne sont pas acceptables d’un pays candidat à l’adhésion ».
13. Interview au journal Le Monde, 9 août 2016.
14. Conférence sur les investissements étrangers, par ‘The Economist’, Istanbul, 2007.
15. Accusés de ‘pratiques nazies’ par suite du refus d’autorités dans ces deux pays d’autoriser des ministres turcs à y tenir des meetings politiques avec les communautés turques pour le ‘oui’ au référendum, en raison des risques pour l’ordre public.
16. Par Sylvie Goulard et Karl Theodor zu Guttenberg, qui fut ministre allemand de la défense; note de la Fondation Robert Schuman, n°38, décembre 2006.
18. Accord d’association et Accord de Libre-échange complet et approfondi (ALECA).