Depuis une dizaine d’années, les mouvements indépendantistes se multiplient en Europe. Parmi les principaux, on compte l’Ecosse en Angleterre, la Catalogne et les Pays Basque en Espagne, la Corse en France, La Padanie, La Vénétie et la Tyrol du Sud en Italie, La Flandre en Belgique, ou encore la Transylvanie (Pays Sicule) en Roumanie. Beaucoup de ces mouvements sont eurosceptiques, et usent sans vergogne de discours populistes et au sens plus large démagogiques. Cependant quelque rares régions restent pro-européennes. Dans ce contexte, l’idée d’une « Europe des régions », d’une Europe unie mais décentralisée, fait peu à peu son chemin. L’Union Européenne et les Etats membres se retrouvent à gérer ces nouvelles formes de nationalismes, pro-européens ou non. Le niveau « local » est si l’on puis dire « central » au bon fonctionnement de l’Union Européenne, et un bilan des différents mouvements régionalistes est nécessaire pour mieux reconstruire une Europe unie dans sa diversité.
« Nous et les autre », un adage qui refait peu à peu surface au sein de l’Union Européenne, alimenté par des nationalismes puisant leur force dans les crises que l’Europe traverse depuis quelques années. La mondialisation, l’effacement des frontières, l’interdépendance accrue des Etats nations : tant de phénomènes qui tendent selon beaucoup de penseurs à renforcer un sentiment de perte d’identité, et par conséquent une envie de se renfermer, une envie de se différencier des « autres » et de se retrouver dans ce dit « melting-pot » . De la « constellation postnationale » de Jürgen Habermas aux « imaginaires » de Zaki Laïdi en passant par les « frontières intérieures et extérieures » de Jean-Marc Siroën, tous expliquent que les frontières de l’Etats nations évoluent, souvent en s’effaçant, parfois à l’inverse en se renforçant.
Ces réactions de repli se retrouvent non plus seulement dans les nationalismes traditionnels ou contemporains, mais plutôt à travers des modèles de communautés politiques locales, régionalistes. Ces phénomènes s’opposent en de nombreux points, et se regroupent en d’autres ; ils peuvent être eurosceptiques, ou au contraire se voir comme moteur de l’intégration européenne. La question du danger que peuvent représenter les régionalismes eurosceptiques se pose, mais celle de la possibilité d’une « Europe des régions » pro européenne aussi.
Les mouvements indépendantistes eurosceptiques se sont radicalisés au cours de ces dernières années, principalement après l’adoption du Traité de Lisbonne et suite à la crise économique et financière de 2007. Ces mouvements indépendantistes s’incarnent principalement à travers des partis politiques régionalistes. Les partis europhobes sont principalement d’une position radicale sur l’échiquier politique : extrême gauche ou extrême droite. À l’inverse, les mouvements indépendantistes plus centristes tendent à être pro-Union Européenne, ou du moins pro-européen. Cependant ces différences ne sont pas si tranchées, et les discours eurosceptiques tenus ne sont pas toujours populistes. Y a t-il un ou des régionalismes ? Sont-ils compatibles avec l’idée d’Europe ? Et les régionalismes, eurosceptiques ou non, sont-ils toujours populistes ?[i]
La Ligue du Nord : une exception populiste et europhobe en large minorité parmi les mouvements régionalistes.
En Italie, le parti indépendantiste de la Panadie, La Ligue du Nord, est teinté d’une forte europhobie. Si à ses débuts ce parti était pro-européen, le parti change radicalement de ligne politique en 1998 pour devenir l’une des figures majeures du régionalisme europhobe. Ce parti dénonce, entre autre, la politique économique libérale de l’Union Européenne pas assez protectionniste et la toute-puissance des institutions européennes, supposément commandées par ses « élites » qui gouvernent un « peuple » de plus en plus éloigné de cette bulle Bruxelloise. La Ligue du Nord s’est de plus alliée au parti UKIP au Parlement Européen. L’homme qui a pendant longtemps été le leader de ce parti, Umberto Bossi, a à de multiples reprises remis en cause beaucoup d’aspects de l’Union Européenne, comme par exemple sa politique migratoire.
Néanmoins, selon beaucoup, cette europhobie s’estomperait progressivement, notamment depuis le départ de Umberto Bossi : les députés européens de la Ligue du Nord participeraient en effet aux débats, faisant acte de présence et allant jusqu’à déposer des motions pour des résolutions, et ce sur des sujets aussi larges que la gestion de la crise au Yemen ou la lutte contre les drogues en Europe. Il n’en demeure pas moins que ce parti est démagogique depuis sa création : ce changement d’attitude par rapport à L’Union Européenne par exemple s’explique surtout par le fait que la Ligue du Nord est un parti opportuniste, qui adapte ses positions selon la conjoncture.
Le Vlaams Belang et le CUP : des mouvements indépendantistes idéologiquement opposés oscillant tous deux entre europhobie et euroscepticisme.
Le parti indépendantiste radical de droite le plus ancien est le parti indépendantiste de Flandres, en Belgique : le Vlaams Belang (anciennement Vlaams Blok). Ce parti a dès le début de l’intégration européenne douté de ce projet, dénonçant son supranationalisme et le peu de poids qu’à le Comité des régions. Le Vlamms Belang ne souhaite toutefois sortir de l’Union Européenne qu’en cas d’échec à la réformer: il souhaite par exemple donner plus de prérogatives au régions, supprimer le Conseil et la Commission, renforcer les contrôles aux frontières, passer à un Euro local,… Les membres de ce parti, souvent accusés d’être racistes et xénophobes, utilisent régulièrement des discours anti-élites classiques pour défendre leurs idées anti-Union Européenne.
Le CUP (Candidature d’Unité Populaire) est le parti radical de gauche pour l’indépendance de la Catalogne. Fondé en 1986, il ne fait que progresser en Espagne, jusqu’à placer 10 parlementaires au sein du Parlement de Catalogne. Ce parti est surement le parti indépendantiste de gauche doutant le plus du bien-fondé de l’Union Européenne. Cependant, si ses leaders ont souvent recours à des raccourcis simplifiant et grossissant les problèmes de l’Union Européenne, ce parti n’est selon beaucoup pas historiquement populiste.
Des régionalismes radicaux de gauche à la fois enthousiastes et douteux de l’Union européenne: les euroscepticismes modérés.
L’Union Européenne compte quatre principaux partis pouvant être considérés de la « gauche radicale » (hors CUP): le Sinn Féin (SF) irlandais, le RISE Scotland Left Alliance, le EH Bildu (pays basque), et l’Union Démocratique Bretonne. Il faut noter que le Sinn Féin et le RISE Scotland Left Alliance ont du réaffirmer leur engagement européen face à la menace du Brexit, et ont donc polarisé leur position en faveur de l’Union européenne.
Ces partis peuvent être considérés comme pro-européens car ils sont tous pour une idée d’Europe unie et solidaires. Ces partis sont également engagés et présents sur la scène politique européenne : ils sont notamment très actifs au Parlement Européen, qu’ils considèrent comme institution clés pouvant donner aux voix des régions un meilleur écho.
Cependant, ils sont eurosceptiques car leur idée d’Europe n’est pas celle que défend l’Union Européenne : ces partis sont pour un Europe des peuples, une Europe des travailleurs, et non une Europe dite « libérale et élitiste ». Ces contestations se sont renforcées suite à l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht au début des années 1990, puis suite au Traité de Lisbonne de 2007.
Certains de ces partis peuvent avoir recours à des remarques populistes dans leurs discours, et beaucoup dénoncent « l’élite de la bulle bruxelloise » face au « peuple européen » à tort et à travers. Cependant, si quelques simplifications peuvent leur être reprochées, ces critiques sont parfois avérées, et ces partis ne semblent pas plus abuser de discours démagogiques que d’autres.
La fin de l’euphorie européenne : le basculement des partis régionalistes centraux d’europhiles convaincus à eurosceptiques
Les partis régionalistes dits « centraux » ou « traditionnels » sont largement majoritaires en Europe. Ils sont à l’origine de l’Alliance Libre Européenne (ALE) et du groupe des partis régionalistes du Parlement européen. Bien qu’ils apportent plus d’importance à leur aspect « régionaliste » qu’à leur positionnement précis sur l’échiquier politique, il est tout de même possible de distinguer les partis régionalistes centraux de gauche et les partis régionalistes centraux de droite.
Au centre-gauche, on compte six partis régionalistes. Ces partis dénoncent souvent la politique libérale menée par l’Union européenne. La SNP (Ecosse) et le Bloque Nacionalista Galego (Galice) sont traditionnellement les plus critiques vis à vis de l’Union Europénne, mais le SNP est maintenant plus pro-européen depuis la « Leave campaign ». Au Pays de Galles, le Plaid Cymru (PC) est pro européen mais pour plus de prérogatives au niveau local. En Irlande du Nord, le Social Democratic and Labour Party (Parti social-démocrate et travailliste, SDLP) a été influencé par le vote du Brexit est est désormais plus pro-européen. En France, on trouve spécifiquement le Parti Occitan (PO) et le Parti de la Nation Corse (PNC), et en Italie, le Südtiroler Volkspartei (Parti populaire sud-tyrolien, SVP), L’Union Valdôtaine (UV) et le Partito Sardo d’Azione (Parti Sarde d’Action, PSdAZ),
Au centre-droit, on compte trois principaux partis régionalistes : le le Partido Nacionalista Vasco (Parti Nationaliste Basques, PNV), la Convergència Democràtica de Catalunya (Convergence Démocratique de Catalogne, CDC) et la Nieuw-Vlaamse Alliantie (Alliance Neo-Flamande, N-VA).
Les mouvements régionalistes « centraux » sont historiquement fédéralistes et autonomistes: leurs lignes politique prônent l’effacement de l’Etat-nation au profit de l’Union Européenne et des régions. Ces positions ont données naissance à l’idée d’ « Europe des régions », dans laquelle les prérogatives seraient partagées entre l’Union Européenne et les régions autonomes, créant ainsi une communauté à la fois diverse, internationale, et proche de ses citoyens au niveau local. Cette Union Européenne serait ainsi gérée grâce à un modèle de multi-level governance. La possibilité d’un tel modèle a beaucoup été interrogée à travers de nombreuses questions théoriques: la décentralisation est-elle compatible avec l’idée de communauté internationale? Ces régionalismes européens sont-ils véritablement des variantes progressives des nationalismes ou ne sont-ils que des formes atténués de ces nationalismes ?
Cependant, les convictions pro-européennes de ces partis se sont effritées avec les crises que l’Union Européenne a du traversé ces dernières années. Bien que ces partis restent pro-européens, ils sont nettement plus critiques à l’égard de l’Union Européenne, ici aussi parfois à tort et parfois à raison.
Quel avenir pour l’Europe des régions et les régions de l’Europe ?
À l’image des citoyens européens, les régions perdent de plus en foi en l’Union européenne : leur enthousiasme des années 1990 s’est dissipé pour laisser place à des euroscepticismes forts et modérés. Les régionalismes de gauche doutent de la tournure économique libérale empruntée par l’Union européenne. Les régionalismes de droites doutent eux des politiques migratoires et des politiques d’expansion de l’Union européenne.
Ces régionalismes sont tous différents de uns des autres, avec des convictions qui leurs sont propres. Certains tendent à être plus populistes que d’autres, mais les partis les plus eurosceptiques ne sont pas toujours les plus populistes. Ce qui rapproche tous ces mouvements, c’est une critique commune: l’Union Européenne ne s’investit pas assez auprès des régions.
Pourtant, le Comité des régions multiplie ses actions en Union Européenne. Ces actions passent néanmoins souvent inaperçues auprès du public, et restent des actions pour le développement de régions, non pour leur autonomisation directe: elles n’interfèrent pas avec les Etats-nations. Réconcilier les régions indépendantistes avec l’Europe implique de répondre à la question suivante : l’Union Européenne souhaite-t-elle s’orienter vers un modèle dans lequel les régions auraient plus de prérogatives, vers une « Europe des régions », ou souhaite-t-elle simplement rester une union des Etats-membres ? Pour choisir, il est nécessaire qu’elle réponde aux questions suivantes au préalable : une Europe fédéraliste est-elle compatible avec une Europe des régions ? Ces régionalismes sont-ils une forme plus avancées du nationalisme, compatible avec l’idée de communauté internationale, ou ne sont-ils que de simples retours en arrière ?
Camille Guey
Sources :
http://www.absp.be/wp-content/uploads/2016/11/Cirulli-Huysseune-Pala_ABSP2017definitif.pdf
http://www.jstor.org/stable/j.ctt80mgd
http://www.monde-diplomatique.fr/2014/11/DIRKX/50934
http://www.nouvelle-europe.eu/la-ligue-du-nord-ou-le-populisme-l-italienne-0
https://www.cairn.info/la-tentation-populiste-au-coeur-de-l-europe–9782707139870-page-130.htm
[i] Par régionalisme, on entend ici « Mouvement ou doctrine affirmant l’existence d’entités régionales et revendiquant leur reconnaissance » (Définition du Larousse, 2017). Ces mouvements peuvent être totalement indépendantistes ou non, tout en souhaitant systématiquement garantir un certain degrés d’autonomie à leur territoire.