Article initialement publié sur http://eyes-on-europe.eu/ le 23 octobre 2017
J’ai effectué mon stage de fin d’études au Secrétariat Général du Conseil de l’Union européenne et du Conseil européen (SGC). Si j’emploie cette (trop) longue dénomination, c’est pour replacer correctement mon stage dans le paysage institutionnel européen. Non pas que je souhaite insulter la vaste connaissance des Européens aguerris qui liront cet article, mais pendant ces cinq mois au SGC, j’ai réalisé que la représentation que l’on se fait du Conseil est souvent erronée, voire fantasmée. Quant au SGC, cette administration est sûrement la plus méconnue de toutes, tout simplement parce que personne ne l’envisage. Passons sur les multiples fois où vous comme moi avons dû réexpliquer à notre entourage la différence entre : Conseil de l’Union européenne, Conseil européen et Conseil de l’Europe. A ceux qui ont encore des doutes, sachez qu’ils sont légitimes et assurément dus au manque de clarté du système institutionnel européen.
Ce manque de clarté que j’aime souligner n’est pas seulement un prétexte à la digression, mais l’introduction de mon propos. Ce manque de clarté donc, qui vire à l’opacité, contribue à nourrir beaucoup de fantasmes autour des travaux du Conseil. Ces fantasmes ne sont pas infondés : qui n’a pas travaillé au sein du Conseil n’a jamais assisté ne serait-ce qu’à la réunion d’un groupe de travail. Le huis clôt apparaît comme le mot d’ordre, et seul un sésame – octroyé à quelques élus – permet d’assister aux réunions. Ainsi, personne ne sait comment se déroule une session d’un groupe de travail, d’un Comité des Représentants Permanents et d’un Conseil (encore des dénominations farfelues que vous ne prenez pas/plus la peine d’expliquer à vos proches). Quelques courageux connaîtront le détail des règles de vote, de la Présidence tournante, des différentes formations, mais il demeure que le public n’a pas de droit de regard sur ces réunions.
Ce manque de transparence est souvent mal connoté, ce qui participe à la représentation que l’on se fait du Conseil. D’autant plus que l’autre institution co-décisionnaire, le Parlement, ne jure que par la transparence. Ce parallélisme est, je vous l’accorde, très et trop simpliste. Mais, allez vagabonder sur le site du Parlement et vous découvrirez quantité d’archives de documents de travail et de rediffusions des travaux en commission et des débats en plénière. La chaîne du Parlement diffuse même en live !
De plus, alors que le Parlement est composé d’élus au suffrage direct dont la responsabilité se borne aux respects de leurs engagements, les réunions des différentes formations du Conseil sont composées de ministres habilités à engager la responsabilité de leurs Etats respectifs. Il y a donc d’un côté, une institution qui prône l’ouverture et la transparence et se veut le porte drapeau de réformes ambitieuses ; de l’autre, une institution à la représentation floue, dont les membres portent la charge d’une responsabilité de la taille d’un Etat, et donc, décident de réformes bien moins ambitieuses. J’emploie le verbe « décider » étant donné qu’en dépit des règles de vote, les décisions se prennent majoritairement par consensus, un argument supplémentaire à la charge du Conseil ; sauf dossier emblématique (ex : les travailleurs détachés), il y a peu de chance de savoir quel(s) Etat(s) fait/font blocage pour voter un texte. Ce recours au consensus permet au Conseil de donner une certaine légitimité à ses décisions, et surtout beaucoup de poids dans les négociations avec le Parlement. A l’inverse, le consensus ne brouille que davantage la représentation que l’on se fait du Conseil car on ne peut pas le personnaliser, et encore moins l’incarner, contrairement au Parlement que l’on peut assimiler à son Président (quand on connaît son existence) et certains de ses membres emblématiques.
Ces quelques exemples, s’ils ont pu vous conforter dans votre opinion ou vous expliquer davantage pourquoi le système institutionnel de l’Union européenne est compliqué et peu empreint de lisibilité, n’ont rien de révolutionnaire. C’est ici que mon témoignage se veut original. A travers ma maigre expérience, j’aimerais vous faire découvrir l’envers du décor, le Secrétariat Général du Conseil.
Premièrement, quelques explications liminaires. Le rôle du SGC est d’assurer la continuité de l’institution, présidée successivement par les Etats membres, à raison d’une rotation tous les six mois. Le SGC assiste également le Conseil européen. Au sein du SGC, je travaillais à la Direction des Relations Interinstitutionnelles (DRI), plus précisément au sein de l’unité politique – la seconde étant l’unité législative qui s’occupe du suivi des dossiers législatifs. La DRI est la source d’informations sur l’évolution des dossiers au sein du Parlement européen (PE). Elle établit des rapports écrits qui sont diffusés à la présidence du Conseil, aux délégations et en interne. Elle rédige une note mensuelle au Conseil des affaires générales, participe à la Conférence des Présidents (organe du Parlement européen décidant de l’agenda de ce dernier) et aux conférences de presse des groupes politiques du PE. Enfin, elle apporte son soutien à la Présidence du Conseil par la préparation de briefings et de scene-setters lorsque le Conseil prend part aux débats parlementaires en séance plénière. Les deux unités qui composent la DRI forment une équipe d’une vingtaine de personnes, qui se répartissent les dossiers et le suivi des commissions.
Pour vous donner quelque perspective, le SGC est la plus petite administration européenne avec seulement 800 fonctionnaires (contre 33 000 pour la Commission) dont 300 ont le niveau « AD ». Le SGC est donc particulièrement restreint, d’autant plus qu’il sert deux institutions, le Conseil et le Conseil européen. Le rôle du Secrétariat est injustement restreint à l’organisation des réunions des différents niveaux du Conseil. Avant tout, le Secrétariat est un soutien logistique certes, mais surtout administratif pour la Présidence du Conseil. Ce « soutien » se traduit davantage dans une formation aux us et coutumes du processus décisionnel de l’UE, aux briefings des différents dossiers, bref par un accompagnement sans faille. Le travail du SGC est donc fonction du calendrier législatif auquel s’ajoute celui mis en avant par la Présidence.
Lorsque je travaillais au Conseil et que j’expliquais à mon entourage le rôle du SGC, j’avais l’impression que l’énumération de ses quelques attributs ne représentait pas grand chose de concret chez mes interlocuteurs (peine perdue s’ils n’étaient pas familiers de l’UE). Cette absence d’incarnation du SGC est intimement liée à celle du Conseil : comment se projeter l’administration d’une institution qui ne s’incarne pas ? Pour ce faire, quelques exemples concrets.
Rappelons que certains Etats, tel que l’Estonie, assurent en ce moment leur première Présidence. Or, la Présidence du Conseil représente beaucoup d’enjeux pour les Etats membres : c’est une vitrine et un moyen de favoriser la mise à l’agenda de certains dossiers. Au-delà de la considération stato-centrée, la manière dont se déroule la Présidence d’un Etat a un impact clair sur les interactions du Conseil en tant qu’institution. Premièrement parce que cela demande au préalable un travail de négociations avec les autres Etats membres pour parvenir à un consensus. Ce travail est coordonné par le SGC. Ensuite, parce que la Présidence porte la responsabilité politique du Conseil (et avec, celle des autres Etats membres) lorsqu’elle le représente, soit un total de 28 responsabilités politiques condensées dans un seul ministre. Ces actes de représentation sont préparés par le SGC : rédaction de discours, de questions/réponses, mise au point sur les dossiers, briefings… Enfin, car les interactions du Conseil représenté par la Présidence avec les autres institutions vont influer sur l’évolution des dossiers et in fine, ces relations vont cristalliser des habitudes, des comportements, et faire évoluer les processus décisionnels de l’UE.
Ainsi, derrière cette institution aux traits indéterminés qu’est le Conseil, demeure une administration tapie dans l’ombre, son Secrétariat. Bien que dépourvue de responsabilité politique, l’exécution de la mission qui incombe aux fonctionnaires du SGC a des conséquences immenses, et à travers mon stage, j’ai voulu vous en faire part. En vous ouvrant les portes du Secrétariat, je voulais vous donner une autre vision du Conseil, ou peut être des clefs d’explication différentes de d’habitude. Le Conseil demeure une institution qui ne s’incarne pas, ou alors demeure assez floue. Ce manque de repère et de transparence confère beaucoup de fantasmes sur cette institution, à tort. En donnant un aperçu de ses rouages, c’est-à-dire le travail quotidien du SGC, j’ai voulu confronter à la réalité pratique nos connaissances théoriques du fonctionnement des institutions européennes.
Mon témoignage reflète mon expérience personnelle et n’engage que moi. Il a tout d’abord été influencé par mon background en Etudes Européennes et donc à certaines croyances, dont une, indéfectible, dans le projet européen. Il a également été marqué par l’excellent souvenir et les innombrables acquis que je dois à mon stage et à ceux qui en ont fait partie.
Tania Chemtob est diplômée à l’Institut d’études européennes de l’ULB