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#LaRéplique: Comment protège-t-on les lanceurs d’alerte, ces justiciers des temps modernes?

Le terme « lanceur d’alerte » est sur toutes les lèvres depuis quelques années. Ils risquent tout afin d’informer le grand public mais sont-ils protégés juridiquement ? Que prévoit l’Union européenne pour les défendre et/ou les indemniser ? Et qu’en est-il aux Etats-Unis, berceau de ce phénomène ? Cet article se penche sur ces citoyens lambda devenus des « super-héros » de la société moderne et sur la manière dont la justice les protège.

 

De simple citoyen à star médiatique

Surnommés par la presse « lanceurs d’alerte » (ou whistleblowers en anglais), les intéressés ne sont que de simples citoyens sans distinction particulière dénonçant un fait illégal qui porte atteinte à l’intérêt public. Ils n’hésitent pas à mettre en péril leur vie au nom de la défense de la vérité et de l’intégrité. Ces personnes veulent avant tout informer le grand public et faire la lumière sur certaines pratiques frauduleuses. Ils ne veulent en aucun cas satisfaire des intérêts personnels mais bien celui de la société et des citoyens. Quelques noms nous viennent immédiatement à l’esprit quand on évoque les lanceurs d’alerte comme celui, par exemple, d’Antoine Deltour.

L’affaire LuxLeaks, scandale financier dans une firme du Luxembourg, révélée grâce à des informations divulguées par Antoine Deltour, avait fait grand bruit en 2014. À l’époque, l’ancien employé de la firme PricewaterhouseCoopers avait partagé des informations classées confidentielles avec un journaliste de la chaîne publique française, France 2. Antoine Deltour avait été condamné à 6 mois de prison avec sursis et à 1500 euros d’amende.

Le 11 janvier dernier, sa condamnation a été révisée par la cour de cassation du Luxembourg, qui l’a officiellement reconnu comme étant un lanceur d’alerte. La condamnation avait choqué l’opinion publique. Cela nous amène à nous poser une question précise : que fait la justice et plus principalement l’Union européenne pour protéger et défendre ces lanceurs d’alerte ?

 

Les lanceurs d’alerte dans l’Union européenne

Depuis plusieurs années, le Parlement européen insiste auprès de la Commission pour que les lanceurs d’alerte soient correctement et entièrement protégés d’un point de vue légal. Fin octobre 2017, les eurodéputés ont voté pour une meilleure protection des lanceurs d’alerte au niveau européen. Ce vote appelle donc sans équivoque la Commission à proposer une loi visant à protéger au mieux les personnes étant considérées comme des lanceurs d’alerte. Leur statut doit être précisé afin qu’ils puissent bénéficier de cette protection.

Un an avant ce vote décisif, la députée Virginie Rozière, membre du groupe socialiste et démocrate du Parlement européen, tirait déjà la sonnette d’alarme quant au manque de protection de ces lanceurs d’alerte. La députée insistait sur le fait qu’ils agissent pour l’intérêt du grand public, qu’ils doivent donc être protégés et surtout que cette protection se doit d’être homogène au niveau européen. Les lanceurs d’alerte doivent être secondés financièrement et soutenus quand ils s’adressent à des journalistes. Ils doivent également être protégés contre d’éventuelles représailles.

Le mardi 24 octobre 2017, à 399 voix pour et 101 contre avec 166 abstentions, le Parlement européen a adopté un texte visant à protéger les lanceurs d’alerte dans l’Union européenne. Les principaux points de ce texte sont : une définition large du lanceur d’alerte et de l’alerte éthique, un soutien financier au lanceur d’alerte en cas de besoin ou encore la garantie de la confidentialité et la possibilité d’anonymat pour l’intéressé.

Beaucoup de députés du PPE (Parti Populaire Européen) se sont abstenus de manière significative. Ils sont d’avis de gérer ce problème au niveau national plutôt qu’au niveau européen car l’Union européenne ne prévoit pas de législation de la presse, ce qui serait un frein à une loi définissant les relations entre journalistes et lanceurs d’alerte.

La protection au niveau national en Europe

Comme précisé dans le paragraphe précédent, le PPE soutenait qu’une législation de protection des lanceurs d’alerte au niveau national serait plus efficace. Il est dès lors intéressant de se pencher sur ce qui existe déjà au niveau national dans l’Union européenne en ce qui concerne la défense des droits des lanceurs d’alerte. Prenons l’exemple de la France. La loi « Sapin 2 » régit la transparence et l’anti-corruption en France depuis le 9 décembre 2016. Cette loi prévoit notamment que les lanceurs d’alerte aient un statut et que pour l’obtenir, ils doivent respecter trois étapes dans la dénonciation. Ils doivent tout d’abord alerter un supérieur en interne ensuite, si cela n’a pas été concluant, ils doivent avertir les autorités compétentes pour terminer par une alerte publique. Si ces étapes sont respectées, ils auront droit à quatre types de protection, une fois les informations révélées. Nullité des représailles, irresponsabilité pénale, garantie de confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte et sanctions pénales et civiles sont au programme de cette loi.

La Suède est également un « bon élève » au niveau européen puisque depuis le mois de janvier 2017, le pays scandinave a adopté une loi qui vise à protéger quiconque deviendrait un lanceur d’alerte et ayant tout d’abord essayé de régler le problème en interne. La loi suédoise ressemble donc beaucoup à la loi française « Sapin 2 » même si elle concerne davantage les entreprises privées.

Grâce à cette loi et avec le respect des conditions énumérées ci-dessus, les lanceurs d’alerte potentiels se sentiront plus confiants afin d’agir pour l’intégrité de la société. Le Parlement a également voté en faveur de la proposition décrite précédemment pour encourager la Commission européenne à prendre des mesures et à enfin légaliser le statut de lanceur d’alerte. Le statut ne sera pas seulement défini au niveau national mais au niveau européen. Cette loi sera donc effective pour les 28 pays membres de l’Union (27 si le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’Union) si elle est acceptée. Les négociations devraient débuter début 2018 à la Commission européenne.

Les USA, de meilleurs élèves ?  

Le « Whistleblower Protection Act » a été voté en 1989 aux Etats-Unis et avait pour vocation de protéger les lanceurs d’alerte mais sous certaines restrictions, ce qui explique que plusieurs d’entre eux ont tout de même été emprisonnés. Les Etats-Unis ne sont donc pas novices en matière de législation concernant les lanceurs d’alerte. Depuis 2014, le Congrès américain a voté une loi interdisant les représailles contre ceux-ci.  Cette loi a davantage été instaurée pour prévenir les moyens illégaux de dénonciation d’informations. Le lanceur d’alerte se doit de divulguer en premier lieu les informations délicates à des professionnels qualifiés plutôt qu’à des journalistes, ce qui garantit un scandale immédiat.

Cette loi est donc plus contraignante pour l’intéressé car bien souvent, le lanceur d’alerte est congédié par son supérieur et n’a pas d’espoir d’être pris au sérieux ou encore d’être écouté. De plus, certaines fonctions au sein d’organismes de l’Etat comme le FBI, la NASA ou encore l’armée américaine ne sont pas concernées par cette loi ce qui rend leurs employés attaquables par la justice s’ils se décidaient à dénoncer une pratique frauduleuse. Cependant, contrairement aux pays européens, le FISC américain promet des récompenses aux citoyens s’ils deviennent lanceurs d’alerte et qu’ils dénoncent un scandale financier. Le FISC voit bien évidemment son propre intérêt dans cette pratique et cela pourrait pousser certaines personnes à déclarer des pratiques frauduleuses uniquement dans un but personnel et financier, ce qui ne ferait plus d’elles des lanceurs d’alerte.

 

En bref…

Les droits des lanceurs d’alerte sont loin d’être totalement acquis. Ils sont loin de pouvoir échapper à toutes poursuites judiciaires. La loi n’est pas encore efficace pour leur venir en aide une fois qu’ils dénoncent une pratique frauduleuse. Les multinationales peuvent encore les intimider et ne pas craindre de poursuites. Une lueur d’espoir persiste néanmoins dans l’Union européenne grâce à la décision du Parlement européen de protéger les lanceurs d’alerte coûte que coûte. La Commission devra se mettre d’accord dans le courant de l’année 2018 pour élaborer une directive qui, espérons-le, apportera une homogénéité dans le traitement des lanceurs d’alerte européens.

Déborah Miller

 

Pour en savoir plus :

Interview de Virginie Rozière dans « Toute l’Europe », 2016, https://www.youtube.com/watch?v=otVKsFQNKUU&ab_channel=Toutel%27Europe, vidéo consultée sur Youtube le 20/01/2018

Interview de Virginie Rozière, 2017, http://www.europarl.europa.eu/france/fr/espace-presse/ «on-a-besoin-d-une-protection-européenne-des-lanceurs-d-alerte », consulté le 24/01/2018

La Libre Belgique. Les eurodéputés veulent mieux protéger les lanceurs d’alerte. http://www.lalibre.be/actu/international/les-eurodeputes-veulent-mieux-proteger-les-lanceurs-d-alerte-59ef7b31cd70ccab36b1c823, Maria Udrescu, 2017, consulté le 20/01/2018

Economie.gouv.fr. Tout savoir sur la loi #Sapin2.  https://www.economie.gouv.fr/transparence-lutte-contre-corruption-modernisation, 2016, consulté le 24/01/2018

Transparency International France. Lanceurs d’alerte. https://transparency-france.org/aider-victimes-de-corruption/lanceurs-dalerte/, consulté le 20/01/2018

Passeurs d’alerte. La Suède introduit une loi favorable aux lanceurs d’alerte. https://passeurdalertes.org/2017/01/04/la-suede-introduit-une-loi-favorable-aux-lanceurs-dalerte/, 2017, consulté le 23 janvier 2018

Le Monde. Les États-Unis adoptent une loi qui protège les lanceurs d’alerte des agences de renseignement. http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/06/26/les-etats-unis-adoptent-une-loi-qui-protege-les-lanceurs-d-alertes-des-agences-de-renseignement_4445434_3222.html, 2014, consulté le 24 janvier 2018

Whistleblower Protection Enhancement. https://www.whistleblower.org/whistleblower-protection-enhancement-act-wpea, consulté le 24/01/2018

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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