Résumé : Initiative de l’Union européenne pour les Balkans occidentaux
- Création d’un Fonds connectivité substantiel sur budget européen. A titre temporaire en 2019-2020, puis intégré dans le cadre financier pluriannuel 2020-2027 avec une dotation à la mesure des besoins et des enjeux tant géostratégiques qu’économiques;
- Avec une conditionnalité adaptée: tirage sur le fonds sous réserve de progrès dans les chapitres 23 et 24. Ces financements conditionnels encourageraient les réformes essentielles et stimuleraient la concurrence entre les pays; de plus, les fonds européens seraient conditionnés au respect des valeurs de l’Union et des principes de l’État de droit après l’adhésion;
- Priorité à l’économie:par la mise en place accélérée de la zone économique régionale; et par l’intégration au marché intérieur, comme première étape, des pays à la perspective d’adhésion lointaine, à l’exemple de l’accord avec l’Ukraine;
- Médiation active sur les litiges bilatéraux – y compris dans le dialogue Serbie-Kosovo – que les pays doivent régler avant leur adhésion; au besoin par arbitrage, dont le respect serait lié aux fonds post-adhésion;
- Rôle accru des organisations de la société civile dans le processus d’adhésion et la ‘réconciliation’, avec financement de l’Union. Actions déterminées des pays pour l’intégration des communautés Roms en matière de logement, éducation et formation professionnelle.
Le 23 juin 1993, alors que le Conseil européen définit à Copenhague les critères d’adhésion à l’Union européenne des États candidats d’Europe centrale, la guerre fait rage en Yougoslavie et le siège de Sarajevo défie l’Europe. Ironie de l’histoire: à la chute du mur de Berlin, c’est pourtant la Yougoslavie qui pouvait prétendre à un rapprochement rapide avec l’Union dont l’accord de coopération était entré en vigueur en 1983. Mais, contrairement à l’Europe centrale, ‘le nationalisme, stade suprême du communisme’, selon la formule d’Adam Michnik, allait détruire le fédéralisme yougoslave et ravager ce que l’on allait bientôt nommer les Balkans occidentaux. Dix ans plus tard, le 16 avril 2003, huit pays postcommunistes, ainsi que Chypre et Malte, signaient à Athènes leur traité d’adhésion à l’Union européenne et le 1er mai 2004, ils en devenaient membres. Ce cinquième élargissement fut la réponse de l’Union à la fin de la division de l’Europe et à ses risques potentiels.
Cette stratégie ayant si bien réussi, pourquoi ne pas l’appliquer aux voisins de l’Union afin de promouvoir stabilité et prospérité ? C’est ce que propose la Commission en mars 2003 avec la politique européenne de voisinage et, trois mois plus tard, au Sommet de Thessalonique, l’Union européenne confirme aux Balkans occidentaux leur perspective d’adhésion. Et en décembre 2004, le Conseil décide d’ouvrir les négociations d’adhésion avec la Turquie et la Croatie. L’Union fait de son soft power la clé de ses politiques avec ses voisins, forte du succès de son cinquième élargissement. Irénisme post-guerre froide de l’Union dont le ‘modèle’ devait transformer ses voisinages? C’est son âge d’or dans cette période d’optimisme où elle devait développer ‘l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde’, selon Romano Prodi en mars 2000. Quinze ans plus tard, le ‘cercle d’amis’ du voisinage est devenu ‘cercle de feu’. La Turquie a renoué avec ses vieux démons, coup d’Etat et autoritarisme. Et le processus d’adhésion des Balkans occidentaux reste lent, alors que leur stabilisation demeure fragile et inachevée.
Les politiques de l’Union avec ses voisinages s’inscrivent aussi dans un contexte européen bouleversé. Crise économique qui affaiblit le ‘modèle européen’ et limite sa capacité d’assistance. Mise en cause de son leadership par les pays ré-émergents, Russie, Turquie et Chine. Crise migratoire qui rompt les liens de solidarité selon Jean-Claude Juncker. Contestation des valeurs par des gouvernements ‘il-libéraux’ de Budapest à Varsovie. Crise de légitimité même du ‘système européen’ en rupture avec une partie de son opinion publique, dont celle du Royaume-Uni qui a décidé, le 23 juin 2016, de quitter l’Union. Ces crises affaiblissent assurément le soft power de l’Union dans les Balkans occidentaux.
La Stabilisation et l’Association à l’épreuve
Le Conseil européen de Cologne (3-4 juin 1999) adopte le Processus de Stabilisation et d’Association (PSA), ‘nouveau type de relation contractuelle offrant une perspective d’adhésion à l’Union européenne lorsque les critères définis à Copenhague seront remplis’. Au Conseil européen de Feira, en juin 2000, tous les Etats reçoivent le statut de ‘candidats potentiels à l’adhésion’. Cette perspective est confirmée au Sommet de Zagreb le 24 novembre 2000 et surtout à celui de Thessalonique le 21 juin 2003 qui définit ‘l’agenda pour les Balkans occidentaux’.
Sommet fondateur, il formalise le processus d’adhésion sur la base d’une double conditionnalité. Aux critères de Copenhague s’ajoutent en effet des conditions spécifiques qui découlent du lourd héritage des guerres récentes: pleine coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), coopération régionale et relations de bon voisinage entre les Etats et avec leurs voisins. Les outils du 5ème élargissement sont transposés aux Balkans: dialogue politique et zone de libre-échange dans des accords de stabilisation et d’association (ASA), assistance technique et financière, priorités de réformes dans des ‘partenariats européens’ et préparation par les pays concernés de ‘programmes nationaux pour l’adoption de l’acquis communautaire’. En parallèle, l’Union a obtenu la création du Pacte de Stabilité à Cologne, en juin 1999, pour faciliter la démocratisation, le développement, la coopération et la sécurité dans les Balkans, à l’instar de la Charte d’Helsinki. Officiellement lancé les 29-30 juillet à Sarajevo, il sera à l’origine de nombreux accords et réseaux de coopération en matière de police, justice, transports ou commerce. Un accord de libre-échange entre les pays est signé en décembre 2006, qui reprend le nom de celui qui liait les Etats d’Europe centrale dans les années 90, l’accord Centre européen de Libre-échange (CEFTA). Le Pacte de Stabilité sera lui-même remplacé par le Conseil de Coopération régionale (CCR) le 11 mai 2007, créé par les dix pays du Processus de Coopération en Europe du Sud Est: les cinq pays alors des Balkans occidentaux et cinq pays du voisinage: Bulgarie, Grèce, Moldavie, Roumanie et Turquie. Basé à Sarajevo et largement financé par l’Union européenne, le CCR est devenu un acteur important de la coopération régionale.
Les Balkans occidentaux ont été aussi le laboratoire de la politique étrangère et de sécurité commune. Suite aux Accords d’Ohrid (8 août 2001) mettant fin au début de guerre civile entre la majorité slave et la minorité albanaise en Macédoine, l’Union européenne a assuré leur supervision par la mission Concordia. En Bosnie Herzégovine (BiH), la Mission de Police de l’Union a remplacé celle des Nations unies et la mission militaire EUFOR/Althea a pris le relais de la mission de l’OTAN prévue par les accords de Dayton.
Conformément au PSA, des accords de stabilisation et d’association ont été signés avec tous les pays. Mais leur entrée en vigueur -après ratification des Etats membres- est intervenue longtemps après pour la Serbie et la Bosnie Herzégovine. Pour la Serbie, l’absence de coopération avec le TPIY a bloqué la signature de l’accord jusqu’à l’arrestation de Radovan Karadzic le 21 juillet 2008, puis sa ratification jusqu’à l’arrestation de Radko Mladic le 26 mai 2011. Pour la Bosnie-Herzégovine, la discrimination dans sa loi électorale a longtemps empêché l’accord. Bien que celle-ci perdurât, le Conseil a avalisé la proposition de l’Allemagne et du Royaume-Uni de le signer contre l’engagement de réformes essentielles. Quant au Kosovo, qui a déclaré unilatéralement son indépendance le 17 février 2008, son accord a été expurgé des éléments de compétence des Etats membres pour éviter la ratification par ces derniers, puisque cinq d’entre eux ne le reconnaissent pas, d’où une ratification par le seul Parlement européen.
C’est en matière commerciale que les accords ont donné la pleine mesure de leur efficacité. Les exportations des Balkans ont augmenté de 89% entre 2007 et 2016 vers l’Union (17,7 milliards €) quand les exportations de celle-ci se sont accrues de 42% (26 milliards €). Le solde négatif traduit en partie le fait d’investissements productifs pour la modernisation économique. Ces accords sont donc essentiels pour les échanges et pour l’intégration au marché de l’Union, laquelle représente 76% de leur commerce total.
Quant à l’aide financière, volet important du PSA, ce sont au total plus de 20 milliards € que l’Union aura alloué entre 1995 et 2020, outre l’aide humanitaire. En juillet 1996, le programme OBNOVA (Reconstruction) engagea 400 millions €. Le programme CARDS (Assistance communautaire pour la Reconstruction, le Développement et la Stabilité) prit le relais avec 4,65 milliards € sur 2000-2006. L’IAP (Instrument d’Aide de Pré-adhésion) rassemble les différentes formes d’assistance depuis 2007. Doté de 3,74 milliards € pour l’assistance bilatérale sur 2014-2020, auxquels s’ajoutent 2,96 milliards € pour des programmes régionaux, il offre une assistance technique et financière, notamment avec les institutions financières internationales. Il soutient aussi la société civile, la coopération transfrontalière, la justice transitionnelle et la réconciliation; le retour et l’habitat des réfugiés; l’intégration des communautés Roms.
En parallèle, l’obligation de visas pour des séjours de 90 jours dans l’espace Schengen a été levée en 2009 pour la Macédoine, le Monténégro et la Serbie, et en 2010 pour l’Albanie et la Bosnie Herzégovine, à l’issue de réformes exigeantes qui faisaient suite à la mise en œuvre des accords couplés de facilitation et de réadmission. Le Kosovo n’en a toujours pas rempli les conditions, en particulier la ratification de l’accord sur la frontière avec le Monténégro.
Seule la Croatie est devenue membre de l’Union le 1er juillet 2013. Le Monténégro et la Serbie sont engagés dans les négociations d’adhésion respectivement depuis 2012 et 2014. L’Albanie et la Macédoine sont des pays ‘candidats’. La Bosnie-Herzégovine et le Kosovo sont toujours ‘candidats potentiels’. Le PSA n’aurait-il pas été à la hauteur des attentes du Sommet de Thessalonique puisque la stabilisation n’est pas achevée et que l’intégration reste un long parcours ? La ‘perspective européenne’ serait-elle inopérante ? C’est oublier que le démantèlement sanglant de la Yougoslavie (100.000 morts et 2 millions de réfugiés) a conduit à des ‘États inachevés’, à des litiges frontaliers, à une réconciliation et une cohabitation ethnique difficiles. C’est oublier surtout que règle de droit et bonne gouvernance sont souvent ignorées par des élites politiques plus désireuses de garder le pouvoir que de réformer.
L’Union européenne et les États-Unis ‘médiateurs’ en Macédoine et en Albanie
République la plus pauvre de la Yougoslavie, longtemps disputée par la Bulgarie, la Grèce et la Serbie, la Macédoine connaît une évolution difficile depuis son indépendance. Le Premier ministre NiKola Gruevski (2006-2016), chef du parti VMRO- DPMNE, y a établi un pouvoir autoritaire, avec la mise en place d’un système d’écoute des opposants, notamment du SDSM, dont la révélation a ouvert une période d’instabilité après les élections d’avril 2014 que l’opposition. La crise macédonienne révèle à l’excès bien des maux balkaniques: corruption et autoritarisme, mépris de la Constitution et boycott du Parlement, polarisation politique extrême, revendications des minorités, diatribes outrancières et nationalisme dur, interférences extérieures et appel à l’Union européenne.
Il faudra justement la médiation de la Commission européenne, avec les Etats-Unis, pour sortir de l’impasse. L’accord de Przno du 2 juin 2015 prévoyait, entre autres, un procureur spécial pour enquêter sur les fraudes et la corruption, une couverture médiatique équilibrée et un gouvernement mixte de transition jusqu’à de nouvelles élections. Une nouvelle crise éclata lorsque le président décida le ‘pardon’ des 60 personnes sous enquêtes, dont Nikola Gruevski. La courte victoire du VMRO-DPMNE le 13 décembre 2016 ne lui permet pourtant pas de former un gouvernement avec le parti albanais DUI (Union démocratique pour l’Intégration) car il refuse que l’albanais devienne langue officielle dans l’ensemble du pays, alors que les Accords d’Ohrid ne le prévoyaient que pour les municipalités à majorité albanaise, estimée à 25% de la population.
Le président refusa d’en confier la formation aux SDSM pour la même raison, au mépris de la Constitution. La querelle était en fait plus profonde car la demande de la communauté albanaise faisait partie d’une plateforme élaborée par les partis albanais macédoniens avec l’appui du gouvernement de Tirana. Et le blocage était d’autant plus grand que l’indépendance du procureur spécial perturbait les jeux occultes. La Russie profita de la crise pour soutenir le VMRO-DPMNE par la voie de son ambassadeur à Skopje: » La perspective euro-atlantique de la Macédoine n’est pas la seule disponible. Il y a toujours une alternative … « . Après l’élection du président du Parlement, le 27 avril 2017, par le SDSM et DUI, et face à la violence dans la rue et à l’Assemblée, le président de la République Gjorge Ivanov accepta de confier le gouvernement au chef du SDSM, Zoran Zaev, comme le lui demandaient l’Union européenne et les Etats-Unis. Le SDSM a créé la surprise aux élections locales d’octobre 2017 en remportant 57 des 81 municipalités. Et la loi établissant un double régime linguistique a été adoptée le 10 janvier 2018. La situation reste pourtant fragile, comme la condamnation par la Cour suprême le 1er novembre 2017 de 8 Albanais à la prison à vie pour avoir attaqué un poste de police à Kumanovo en mai 2015 l’a montré (attaque qui avait fait 12 morts et des dizaines de blessés) : » Vous venez de condamner 7 millions d’Albanais » s’écrira l’un des condamnés et des incidents ont aussitôt éclaté au Kosovo, preuve que des activistes albanais sont toujours prêts à lutter contre ce qu’ils considèrent comme une discrimination historique à leur encontre dans les Balkans. Le blocage des négociations d’adhésion par la Grèce, dont la Commission a proposé l’ouverture depuis 2005, ne peut seul expliquer les dérives du pays. Mais plutôt la politique de N. Gruevski, surtout lorsqu’elle s’est accompagnée de la recherche d’une identité nationale dans une réécriture de l’histoire et une débauche de statues de ‘héros’ aussi dispendieuse que pathétique. Les critiques de Gruevski contre les ‘forces étrangères’, relayées par Moscou, auguraient mal de l’avenir européen de la Macédoine. Les nouvelles discussions avec la Grèce devraient déboucher sur un accord sur le nom en 2018. Mais le changement, salutaire, n’a pas encore éloigné totalement les incertitudes d’un pays qui reste fragile par sa courte histoire, sa composition ethnique et son faible développement.
Sortant du régime dictatorial d’Enver Hoxha – comparable à celui de la Corée du Nord – l’Albanie connaît depuis lors une transition difficile marquée par une polarisation extrême entre le Parti démocrate (DP) et le Parti socialiste (SP), le boycott de l’Assemblée par l’un ou l’autre et de puissants groupes du crime organisé. Une rupture positive s’est toutefois produite en 2016 avec l’adoption unanime en juillet par l’Assemblée d’amendements constitutionnels pour la réforme judiciaire, incluant notamment une procédure historique de vérification (veting) des magistrats avant re-nomination ou mise à l’écart. Cette réforme avait en effet été demandée par l’Union européenne pour l’obtention du statut de candidat dans son avis négatif sur sa demande d’adhésion en novembre 2010. Ce statut lui sera accordé par le Conseil européen en juin 2014. D’autant que sa population soutient largement le processus. La vieille garde du DP a tenté un ultime blocage de la réforme judiciaire en février 2017 par une féroce campagne contre la vérification des magistrats et par son boycott du Parlement pour exiger un gouvernement de technocrates jusqu’aux élections de juin 2017. Un accord entre son jeune leader, Lulzim Basha, et le Premier ministre Edi Rama, a mis fin au boycott. Les élections ont donné une très nette majorité au SP et le processus de vérification a été lancé. Mais la polarisation politique a repris, ce qui rend d’autant plus difficile la poursuite des réformes majeures avec le risque de ralentir l’ouverture des négociations d’adhésion. L’extraordinaire influence que l’Union européenne et les Etats Unis ont dû exercer pour sortir de l’impasse traduit là-aussi les résistances puissantes à l’établissement de la règle de droit.
Ethno-nationalisme et protectorats en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo
En Bosnie-Herzégovine, cœur du conflit qui a déchiré les Balkans, les trois groupes ethniques n’ont pu dépasser les accords de Dayton pour établir un État fonctionnel parlant d’une seule voix. Les Bosniaques acceptent mal que Dayton ait consacré la République des Serbes (Republika Srpska, RS) sur sa ligne de front et caressent encore l’idée d’un Etat unitaire. La RS tient au contraire à Dayton dont la Constitution lui permet d’invoquer son ‘intérêt vital’ pour s’opposer à tout projet qui réduirait ses compétences, voire menace de faire sécession par la voix de son président, Milorad Dodik. Quant aux Croates, ils expriment ouvertement leur souhait de sortir de la Fédération pour créer leur propre entité. Une ‘ethno-démocratie’ y bloque tout progrès. Depuis la fin de la guerre, un million d’habitants ont quitté la BiH, où les Bosniaques sont devenus majoritaires pour la première fois. Sarajevo n’est plus la cité multiculturelle qu’elle fut pendant longtemps et l’influence d’un Islam rigoriste s’y fait sentir alors que les catholiques estiment leurs droits parfois difficiles à exercer. Mais c’est surtout la justice transitionnelle qui cristallise les oppositions. A deux reprises, le président Dodik a menacé d’organiser un référendum contre la Cour d’Etat créée en 2000 – puis révisée en 2005 – pour juger notamment des crimes de guerre. Une première fois en 2011 contre la ‘partialité’ de cette Cour et pour dénoncer des points de droit. Il a abandonné cette intention après que la Commission européenne se fut engagée à conduire un ‘dialogue structuré sur le fonctionnement de la justice’, lequel a conclu à la nécessité de réformes dans le sens des points invoqués par la RS, mais auxquelles des Bosniaques se sont opposés; d’où une seconde menace de référendum en juillet 2015, finalement abandonnée deux ans plus tard. La RS a, par contre, organisé un référendum jugé inconstitutionnel le 25 septembre 2016 pour instituer le 9 janvier 1992, jour de sa déclaration d’indépendance, comme fête nationale. Lors de cette célébration le 9 janvier 2017, Milorad Dodik déclara: » La Bosnie est un Etat inutile, un monstre, un échec de la communauté internationale « . Il est allé plus loin le 9 janvier 2018: « Les Serbes ont deux Etats, la Serbie et la RS, et nous voulons n’en former qu’un « , n’excluant pas de tenir un référendum lorsque les conditions s’y prêteraient. Ces déclarations publiques – généralement avant des élections – suscitent aussitôt la réaction des leaders bosniaques. Il s’ensuit un climat délétère mais qui » est excellent pour les élites politiques car elles peuvent facilement manipuler la population « . En avril 2016, Milorad Dodik exprima pourtant son engagement pour l’intégration européenne et affirma que ‘la RS ne veut pas faire sécession et est prête au dialogue’ – ce qu’il réitéra le 10 septembre 2017 – mais ces déclarations contradictoires créent la confusion et maintiennent le doute: on oublie l’engagement et on retient la menace. C’est en fait la Serbie qui tempère les velléités de sécession de la RS.
Il est vrai qu’avec ses 14 gouvernements et quelque 180 ministres pour 3.530.000 habitants, la BiH est une aberration institutionnelle très dispendieuse. A Mostar, les élections locales n’ont pu avoir lieu depuis 2008 et la ville reste profondément divisée. Dayton a arrêté la guerre mais rien n’est venu organiser la paix. Une nouvelle Constitution a failli voir le jour en avril 2008, mais le SDA s’y est opposé. Et les tentatives de réforme avec la médiation de l’Union européenne et des Etats-Unis n’ont pas non plus abouti. La communauté internationale maintient pourtant depuis 20 ans un protectorat, devenu anachronique, par le Bureau du Haut Représentant (OHR) prévu par les accords de Dayton. Nommé par le Conseil de mise en œuvre des accords de paix (Peace implementation Council, PIC), le HR rend compte chaque semestre au Conseil de Sécurité des Nations unies dans des rapports vite oubliés. Utilisé ou blâmé, freinant souvent les initiatives de l’Union, il ne facilite pas la ‘transition de Dayton à Bruxelles’, alors que son rôle avait été essentiel dans l’immédiat après-guerre.
Malgré l’absence d’une réforme constitutionnelle pour supprimer la discrimination ethnique, l’Union européenne a pourtant accepté de signer l’ASA en échange de réformes longtemps bloquées. Choc salutaire: un mécanisme de coordination pour les relations avec l’Union – négocié depuis 2011 – a été agréé en août 2016, un nouveau prêt du FMI accepté, assorti de réformes radicales, et l’ASA a été adapté suite à l’adhésion de la Croatie. Dans ce vent d’optimisme, le Conseil a accepté que la BiH présente sa candidature à l’adhésion le 15 février 2016 et demandé à la Commission de préparer son avis, conformément à l’article 49 du Traité. L’Union espérait ainsi que la BiH dépasserait ses clivages ethniques, mais le sursaut n’a jusqu’alors pas eu lieu.
Les tensions persistent, d’autant que le co-président Bakir Izetbegovic, sans l’accord du triumvirat et contre la volonté du gouvernement fédéral, a demandé à la Cour Internationale de Justice de réexaminer la responsabilité de la Serbie dans la guerre. Elles vont s’accroître encore par suite du blocage de la réforme de la loi électorale pourtant nécessaire en vue des élections d’octobre 2018. Face au risque d’instabilité, le Conseil a renouvelé le mandat de la mission EUFOR/Althea, le 16 octobre 2017, avec ses pouvoirs exécutifs. Les progrès de la BiH vers l’Union devront passer par des réformes drastiques prouvant que les trois ethnies ont la volonté de vivre ‘dans un seul pays, uni et souverain’, comme l’a rappelé le Conseil. La Russie profite de cette situation pour renforcer ses liens avec la RS et la Turquie avec la partie bosniaque de la Fédération. Contrairement aux six républiques yougoslaves, le Kosovo était une province serbe, à laquelle Tito avait accordé l’autonomie en 1974. Sa suppression par Milosevic en 1990 entraînera d’abord une résistance non violente par Ibrahim Rugova, puis celle d’une armée de libération en 1996 (UCK) après ‘l’oubli’ du Kosovo par la communauté internationale. La violente répression par l’armée serbe qui chassera des centaines de milliers d’Albanais conduira aux bombardements par l’OTAN jusqu’au retrait serbe du 10 juin 1999. Les négociations de Rambouillet avaient échoué en mars 1999, par refus de la Serbie d’accorder une large autonomie au Kosovo. La Résolution 1244 des Nations unies du 10 juin lui accorde une ‘autonomie substantielle’ et le place sous mandat international de la MINUK, mission d’administration intérimaire des Nations unies, celle de l’OTAN, la KFOR, assurant la sécurité. A nouveau ‘oublié’ par la communauté internationale, le Kosovo se rappelle à elle lors de heurts violents en mars 2004. Le plan qu’elle a chargé l’ancien président Ahtisaari de préparer est rejeté par la Serbie car prônant une ‘indépendance supervisée’. L’initiative de la dernière chance de l’Union conduite par l’ambassadeur Ischinger avec les Etats-Unis et la Russie échoua de même. Prenant acte de l’impasse, le Kosovo déclara unilatéralement son indépendance le 17 février 2008, avec le plein accord des Etats-Unis et de la grande majorité des Etats membres de l’Union. Non reconnu toutefois par 5 d’entre eux – Grèce, Espagne, Slovaquie, Roumanie et Chypre – ni par la Russie et la Chine – il demeure un Etat à la souveraineté limitée, soumis à 3 ‘protectorats’: de l’OTAN par la KFOR, de l’ONU par la MINUK, mais de facto sans pouvoir depuis qu’EULEX a pris le relais.
EULEX – EU Rule of Law Mission, de police, justice et douane – créée en 2008, est la plus grande mission civile jamais déployée par l’Union, avec plus de 3.000 agents détachés des Etats membres au plus fort de son intervention. Entérinée par une loi kosovare, elle a été reconduite jusqu’en juin 2018 pour la seule justice, dans un format réduit, avec ses pouvoirs exécutifs. Si les composantes police et douane ont été un succès, celle de la justice a perdu une grande part de sa légitimité. Elle avait pourtant suscité une très forte attente après l’échec de la MINUK contre la corruption. Mais opérant dans un environnement et sur des affaires complexes, avec des magistrats non permanents étrangers au pays, EULEX – tout comme l’OHR en BiH – est devenue l’instrument d’un protectorat au mandat exécutif inefficace et qui déresponsabilise les autorités locales, en suscitant la défiance des populations. Défiance qui apparaît déjà à l’encontre de la Cour spéciale pour statuer sur les allégations de trafic d’organes et autres crimes de guerre commis entre 1998 et 2000 par des éléments de l’UCK. Instituée dans le cadre du système judicaire kosovar par une loi du 3 août 2015 mais composée de magistrats étrangers, financée par l’Union européenne, et siégeant à La Haye pour protéger les témoins, cette Cour a été acceptée par Pristina pour éviter que ce soient les Nations unies qui créent un tribunal spécial, comme la Russie et la Serbie l’auraient souhaité. Alors que la Cour se prépare à lancer ses premières inculpations, l’Assemblée du Kosovo, forte d’une pétition de l’UCK, a tenté le 22 décembre 2017 d’abroger la loi par laquelle elle l’avait elle-même créée. Le Quintet a rappelé le 8 janvier 2018 que la Cour spéciale était » le seul moyen pour le Kosovo de démontrer son engagement en faveur de la justice et de l’Etat de droit et à continuer à recevoir un soutien international « , en agitant la menace qui pèserait, dans le cas contraire, sur le rapprochement du pays avec l’UE et l’Alliance atlantique.
C’est une épreuve de force qui s’est engagée, d’autant que 76% des Kosovo-Albanais estiment cette Cour injuste et qu’une majorité de Kosovars sont convaincus qu’elle ne servira pas la justice, dont le président Thaci qui en avait pourtant soutenu la création comme Premier ministre. Il est vrai qu’après la grâce présidentielle qu’il a signée le 29 décembre 2017 pour 3 anciens militaires de l’UCK condamnés à 30 ans de prison pour le meurtre de toute une famille, la justice semble s’effacer devant la cause de cette organisation. C’est l’opposition classique, comme après toute guerre d’indépendance, entre ceux qui estiment le ‘libérateur’ intouchable et ceux qui plaident, au contraire, pour la vérité et la justice. Le Kosovo est entré dans une zone de turbulences, ce qu’atteste l’assassinat du leader serbe modéré du nord, Oliver Ivanovic, le 16 janvier 2018.
Avec un chômage réel de plus de 40%, une émigration estimée à 15% de sa population depuis 2008, une corruption endémique et un puissant crime organisé, l’Etat kosovar s’avère incapable de développer le pays. Il se maintient par les transferts financiers de sa diaspora et l’aide internationale. Il est le seul pays des Balkans à n’avoir toujours pas rempli les conditions pour la libéralisation des visas par l’Union européenne. Sa classe politique, aux conflits claniques et à l’enrichissement rapide, pratique une fuite en avant permanente. Devenu président, l’ancien Premier ministre Hacim Thaci critique maintenant ses mentors, comme sur la Cour spéciale. Son successeur, Ramush Haradinaj, s’en prend aussi à l’Union, masquant ainsi son incapacité à relever les défis, alors que son népotisme a conduit au chiffre record d’un gouvernement de 100 membres. A Pristina comme à Sarajevo, de victime à la victimisation il n’y a parfois qu’un discours. Et les défis sont nombreux s’agissant d’un Etat à la souveraineté limitée et reconnu seulement par 114 pays. La Turquie essaie d’y prendre pied, mais le Kosovo reste jusqu’alors lié à l’Union européenne et surtout aux Etats-Unis, lesquels sont en fait son grand protecteur.
‘Captation d’Etat’, souveraineté et bon voisinage
On ne retrouve assurément pas dans les Balkans occidentaux le large consensus pour l’adhésion qui existait en Europe centrale. Outre l’affaiblissement de l’Union, les raisons en sont multiples: partie de la classe politique plus préoccupée par le pouvoir et ses gains à court terme, qui ne hâte pas les réformes et laisse en déshérence certaines régions dans une transition lente qui limite les investissements et profite à la corruption et au crime organisé; chômage très élevé qui pousse les jeunes à partir alors qu’une chute drastique de la population est possible; Roms vivant dans des conditions misérables et qui sont souvent demandeurs d’asile; retour d’un ethno-nationalisme dur qui freine souveraineté et construction de l’Etat. Or, le transfert volontaire d’éléments de souveraineté nationale que l’adhésion implique, impose que le candidat soit souverain et parle d’une seule voix. Paradoxe dans ce processus: les candidats doivent construire leur Etat et établir leur souveraineté dont ils transféreront une partie à l’Union européenne ! Et paradoxe pour l’Union elle-même, qui aide à la construction d’États dont elle recevra des compétences !
La tentation y est grande de garder le pouvoir par le clientélisme, un contrôle des médias et l’abus des valeurs ‘ethniques’ et des minorités en agitant la peur de l’autre. Or, les Balkans sont une mosaïque de minorités. L’Albanie en a reconnu 9, et la Serbie 20 qui ont chacune un Conseil national pour défendre leurs droits. L’équilibre reste délicat entre droits des minorités et cohésion nationale. Gouvernance singulière aussi face à une corruption qui reste très prégnante[35] et à la ‘captation d’Etat’, notamment en BiH, alors que les parlements, faibles et parfois boycottés, et les médias bridés, ne jouent leur rôle de contrepoids que de façon limitée. Le fossé entre les engagements formels des leaders et les pratiques informelles reste un défi pour les Balkans et pour l’Union.
La tentation y est grande aussi de faire des voisins autant de boucs émissaires en dépit de déclarations de bon voisinage dont l’encre est encore fraîche. La double plainte de la Croatie et de la Serbie pour génocide de l’autre partie devant la CIJ, la réhabilitation de criminels de guerre du second conflit mondial par Zagreb ou encore son refus d’appliquer la sentence arbitrale sur les eaux maritimes avec la Slovénie, fragilisent la stabilité. Celle-ci passe pourtant par l’intégration à l’Union comme le déclarait Ivica Dacic, ministre serbe des Affaires étrangères: » Nous n’avons pas eu de stabilité dans les Balkans depuis 100 ans, mais nous avons maintenant le même objectif: devenir membres de l’Union européenne « , confortant ainsi l’exigence des ‘relations de bon voisinage’ du PSA. De nombreux gestes ont fait avancer la réconciliation: spectaculaire rapprochement Albanie-Serbie par les Premiers ministres Vucic et Rama, notamment avec la visite historique de ce dernier à Belgrade le 11 novembre 2014; visite des trois co-présidents de la BiH à Belgrade en 2014, puis présence d’Aleksandar Vucic à Srebrenica en juillet 2015; regrets du président Izetbegovic sur un lieu de martyre serbe à Kazami sur les hauteurs de Sarajevo en juin 2016; engagement au Forum de Vienne en 2015 de régler leurs différends par la négociation; signature historique par la Bulgarie et la Macédoine d’un ‘Traité d’amitié, de relations de bon voisinage et de coopération’ le 2 août 2017.
Quant au TPIY, s’il a contribué à établir la vérité, il le doit plus à l’action déterminée de ses procureurs et à leur collecte méthodique des faits, alors que certaines de ses décisions ont nui à sa crédibilité. Et surtout, derrière la coopération formelle des Etats par l’arrestation et le transfert des criminels, leur non-coopération informelle a continué à en faire des héros défendant la patrie. Or, » la contribution au rétablissement de la paix et à la réconciliation appartient au champ du politique. Pas de paix avec une décision de justice « . La confrontation au passé est donc restée limitée et le nationalisme persistant. La réconciliation ne progressera vraiment que par la société civile, à travers des actions comme Youth Initiative for Human rights ou RECOM.
La faiblesse de la règle de droit a conduit l’Union européenne à renforcer ses critères d’adhésion par l’adoption d’une ‘nouvelle approche’ par le Conseil en décembre 2011: traitement des chapitres 23-24 dévolus à la justice, aux droits fondamentaux, à la corruption et à la sécurité très tôt dans le processus; plans d’action détaillés; résultats concrets (track records) indispensables et avancement des négociations liés aux progrès dans ces chapitres. C’est une adaptation majeure avec un benchmarking efficace qui vient s’ajouter aux deux autres piliers de base pour l’adhésion que sont la gouvernance économique et la réforme de l’administration publique. Le processus s’en trouvera crédibilisé avec les États membres et la société civile, à condition toutefois que la recherche de la stabilité par l’Union ne l’emporte pas sur la nécessité de la démocratie. Le défi est pourtant tel qu’il ne pourra être relevé sans que la société civile ne devienne le ‘quatrième pilier’ du processus avec l’Union.
Le soft power de l’Union européenne, même soutenu par une perspective d’adhésion, ne peut en effet réussir que si les élites politiques sont déterminées et avec des groupes de pression forts. Tant que la transition d’une démocratie institutionnelle à une démocratie fonctionnelle restera le défi majeur des Balkans occidentaux, leur processus d’intégration à l’Union restera difficile.
Serbie et Monténégro : vers l’adhésion en 2025 ?
Dans son discours d’investiture au Parlement européen en 2014, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, avait jeté le trouble dans les Balkans en affirmant qu’aucune adhésion n’aurait lieu durant son mandat. Il ne faisait pourtant qu’énoncer une évidence tant le processus était peu avancé. Aussi surprit-il fort lors d’une conférence de presse, le 9 novembre 2017, en déclarant: » Je pense vraiment que la Serbie et le Monténégro seront membres de l’Union avant 2025 « .
Malgré son tropisme russe, le Monténégro a rapidement compris que son avenir était tout à la fois hors de l’union avec la Serbie et dans l’Union européenne. Après référendum, il a proclamé son indépendance le 3 juin 2006, ce que la minorité serbe n’a jamais accepté. Il s’ensuit des tensions internes et il arrive aussi que l’opposition boycott le Parlement. Ouvertes en 2012, les négociations d’adhésion ont progressé jusqu’à l’ouverture de 30 chapitres, dont 3 ont été provisoirement clos. D’aucuns s’interrogent toutefois sur la capacité du ‘clan Djukanovic’, au pouvoir depuis 27 ans, à mettre en œuvre sur le terrain les réformes inscrites dans les plans pour les chapitres 23 et 24. Il est des branches difficiles à scier.
C’est la Serbie qui est plutôt la preuve même de la force d’attraction de l’Union. Après l’avis consultatif de la CIJ le 22 juillet 2010 disant que la déclaration d’indépendance du Kosovo n’était pas contraire au droit international ni à la Résolution 1244 de l’ONU, le président Tadić a accepté que l’Union européenne ‘facilite’ un dialogue avec le Kosovo. Dialogue indispensable pour établir des relations de bon voisinage et condition pour l’ouverture des négociations d’adhésion. C’est la résolution des Nations unies 64/298 du 10 septembre 2010 qui l’a entériné pour » la réalisation de progrès sur le chemin de l’UE et pour améliorer la vie des populations « . Dit ‘technique’ et lancé en mars 2011, le dialogue a été suivi d’un dialogue ‘politique’ entamé par ses successeurs.
Or, les successeurs de Boris Tadić sont les leaders des partis jusqu’alors les plus nationalistes: le président Nikolić et son Premier ministre Vučić du Parti progressiste (SNS) et le ministre Dačić du Parti socialiste (SPS). Comme le HDZ en Croatie, ces partis ont fait leur ‘conversion à l’Europe’. Conversion de raison plutôt que de cœur puisque le président Nikolic justifiait l’adhésion de la Serbie comme ‘un mal nécessaire’ car ‘nous sommes en Europe, entourés par l’Europe et les conditions posées par l’Union européenne sont normales’. Les élections de 2014 et d’avril 2016, ont confirmé le choix du pouvoir. La conditionnalité s’est trouvée validée par la détermination de la Serbie à l’utiliser pour changer le cours de l’histoire, trouvant ainsi dans l’intégration européenne une solution au contentieux territorial. L’appui de l’opinion publique serbe en est d’ailleurs la preuve, même s’il reste limité.
De nombreux accords ont été signés lors des multiples rencontres à Bruxelles facilitées par la Haute Représentante pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité (Catherine Ashton puis Federica Mogherini) sur la circulation des véhicules, la reconnaissance mutuelle des diplômes, l’énergie ou les télécommunication, notamment en avril 2013 et août 2015. Fait remarquable : 43 juges et 13 procureurs serbes ont prêté serment devant le président Thaci le 24 octobre 2017, consacrant ainsi la pleine intégration du nord dans le Kosovo indépendant, tout en respectant les droits de la minorité serbe.
Pour autant, leur mise en œuvre est souvent freinée par Belgrade et plusieurs accords sont restés lettre morte, en particulier celui, emblématique, sur l’association des municipalités du nord par incapacité de Pristina à l’établir. Le dialogue est en effet à un tournant. Pour le Kosovo, il vise à une normalisation complète de ses relations avec la Serbie, y compris sa reconnaissance. Alors que l’objectif de la Serbie est d’obtenir des droits spécifiques pour sa minorité, concentrée pour l’essentiel au nord, et de progresser vers l’Union par la satisfaction de la conditionnalité, mais en refusant toute reconnaissance du Kosovo. C’est bien ce que constate Pristina alors que le pays, reconnu seulement par 23 États membres et toujours hors de l’ONU, n’exerce qu’une souveraineté limitée, dont la crédibilité est d’ailleurs déclinante à mesure que le gouvernement se révèle incapable d’honorer les engagements pris.
L’ouverture des chapitres 23 et 24 dans les négociations d’adhésion en juin 2016 est venue conforter la politique de Belgrade. Mais les faibles progrès sur ces chapitres ont limité à deux l’ouverture de nouveaux chapitres en décembre 2017 – conformément à la nouvelle approche – portant le total à 12, dont 2 provisoirement clos. L’autoritarisme croissant du président Vucic, son contrôle total du pouvoir et son emprise sur les médias suscitent en effet l’inquiétude, ce que les manifestations à Belgrade contre lui, contre la corruption et pour la liberté des médias après les élections en avril 2017 ont dénoncé. Des think tanks serbes estiment que l’Union européenne a jusqu’alors privilégié la stabilité sur la démocratie, prenant ainsi le risque d’intégrer un nouveau régime autoritaire. Il est vrai que Belgrade a bénéficié jusqu’alors d’une ‘rente’ du dialogue et de son engagement régional, s’attirant ainsi la bienveillance de Bruxelles.
L’issue du dialogue reste toutefois incertaine. » Il est temps que notre nation soit réaliste… Nous ne devons pas nous autoriser à perdre ou à donner à quelqu’un ce que nous avons, mais nous ne devons pas non plus nous attendre à ce que nous revienne ce que nous avons perdu depuis longtemps… La nation serbe doit cesser de se cacher la tête dans le sable « , écrivait le président Vucic dans Blic le 23 janvier 2017, laissant entrevoir une décision courageuse sur le Kosovo. Pourtant, du président aux ministres, chacun continue à affirmer que ‘la Serbie ne reconnaîtra jamais le Kosovo’. Crainte de perdre une partie de l’électorat ou volonté de garder cette carte maîtresse jusqu’à la fin des négociations ? L’Union n’a pas demandé cette reconnaissance mais un ‘accord juridiquement contraignant’ pour garantir l’existence de l’Etat du Kosovo et assurer que la Serbie ne bloque pas la coopération régionale après son adhésion.
La mansuétude dont l’Union européenne ferait preuve envers les gouvernements des Balkans en général et de la Serbie en particulier est aussi à rechercher dans l’influence que de grandes puissances cherchent à y exercer.
Le nouveau jeu des puissances ré-émergentes
L’appétit des puissances ré-émergentes dans les Balkans est à la mesure de leurs visions stratégiques et économiques. En 2014, le 3ème sommet Chine-Europe centrale et orientale (16 Etats) s’est tenu à Belgrade et le 6ème à Budapest en octobre 2017. Et la visite du président Xi Jinping en juin 2016 a concrétisé l’achat de l’aciérie de Smederovo et 22 accords de coopération. La Chine voit la Serbie comme une porte d’entrée pour sa Route de la Soie, où la ligne de chemin de fer Belgrade-Budapest lui permettra de transporter ses produits du port du Pirée (qu’elle a acheté) au cœur de l’Europe. Les travaux ont débuté en novembre 2017 pour un premier tronçon sur un prêt à la Serbie de près de 300 millions $. Mais c’est évidemment l’héritage des anciens empires qui pèse le plus dans le nouveau jeu de la Russie et de la Turquie. La Russie joue sur l’histoire, sur les liens slave et orthodoxe, sur le ‘péché originel’ des bombardements de l’OTAN en 1999, sur l’énergie et sur son opposition à l’indépendance du Kosovo, pour développer ses relations avec la Serbie; mais aussi avec la RS, les partis conservateurs de Macédoine et les partis serbes du Monténégro. Toute crise est prétexte à l’affirmation d’une alternative à l’alliance ‘euro-transatlantique’ des Balkans occidentaux. Car c’est bien d’abord l’obsession de la Russie d’empêcher que d’autres pays n’adhèrent à l’OTAN qui la motive. C’est ainsi que le Monténégro a vu la Russie derrière la supposée tentative de coup d’Etat à Podgorica en octobre 2016, soit quatre mois après que le pays a eu signé son adhésion pour en devenir le 29ème membre, le 5 juin 2017, faisant de la Méditerranée nord une zone OTAN de l’Espagne à la Turquie, à l’exception des 20 km de la côte bosniaque On comprend pourquoi Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, a parlé à Belgrade le 12 décembre 2016 de ‘la trahison de Djukanovic’, longtemps proche de Moscou. En représailles, la Russie a interdit l’importation des vins monténégrins pour des motifs sanitaires. Par contre, les relations de la Russie avec la RS sont étroites, à l’image des liens entre Vladimir Poutine et Milorad Dodik, au point que son Assemblée a adopté une résolution (non contraignante) contre l’adhésion de la BiH à l’OTAN.
Quant à la Serbie, le pouvoir répète à satiété que sa priorité reste l’adhésion à l’Union européenne, mais sans sacrifier son amitié avec la Russie. Son refus d’appliquer les sanctions européennes envers Moscou, son achat récent de 6 Mig 29 d’occasion ou les visites régulières à Moscou du président Vucic ou de son ministre Dacic, traduisent les liens étroits qui lient les deux pays. Moscou a fourni un prêt d’urgence à la Serbie en 2013 et un autre pour la rénovation du rail, et Gazprom a acheté la raffinerie de Nis. On note aussi la nette recrudescence des activités d’organisations plaidant pour renforcer les relations avec la Russie et pour abandonner l’objectif de l’adhésion. Mais le faible impact de leur accord de libre-échange, le refus de Belgrade d’accorder la protection diplomatique au ‘Centre humanitaire russo-serbe’ établi à Nis en 2012 et sa participation à huit fois plus d’exercices militaires et de missions avec l’OTAN et l’Union qu’avec la Russie, sont autant d’éléments qui tempèrent quelque peu cette relation. Pour Belgrade, au-delà des liens traditionnels forts, il s’agit plutôt de garder le contrepoids de Moscou sur le Kosovo aux Nations unies et de jouer sur cette relation ambiguë, tout à la fois pour préserver son électorat nationaliste et faire avancer sa cause avec Bruxelles. La politique de la Russie est claire: diviser ‘l’Ouest’, renforcer sa présence économique dans ce futur membre de l’Union et surtout éviter que la Serbie ne devienne membre de l’OTAN. Si la Serbie a la volonté de » ne pas devenir membre de l’OTAN mais de rester militairement neutre « , comme le déclarait Ana Brnabic au Parlement européen le 10 octobre 2017, elle participe pourtant à son Partenariat pour la Paix depuis 2006 et s’est engagée dans une coopération étroite à travers un Plan d’action individuel en janvier 2015. La propagande et l’ambiguïté du pouvoir contribuent aux tiraillements de la société serbe. Mais si le cœur de la Serbie est slave, sa raison semble bien être avec l’Union européenne.
Quant à la Turquie, elle renoue avec les territoires de l’empire ottoman, conformément au plan de l’ancien Premier ministre Davutoglu, en misant sur l’histoire, l’économie et la solidarité musulmane. Missions économiques, aide culturelle et appui politique, Ankara multiplie les actions dans les Balkans, et en particulier en BiH et au Kosovo. Le président Erdogan est allé jusqu’à déclarer à Pristina le 23 octobre 2013: » La Turquie c’est le Kosovo et le Kosovo c’est la Turquie. Nous sommes tous enfants du même pays, forts et unis comme des frères « , suscitant l’ire de Belgrade. En octobre 2017, sa visite officielle en Serbie s’est achevée par un séjour triomphal à Novi Pazar au Sandjak, ancien carrefour ottoman. Pourtant, son influence est restée limitée, d’autant plus que la rupture avec le mouvement güleniste a créé la confusion, notamment en condamnant à la demande d’Ankara le réseau d’écoles qu’il avait créé dans la région.
Si l’influence de la Russie et de la Turquie s’exerce de façon relativement ouverte, il existe une influence plus secrète et ambigüe, celle des mouvements intégristes musulmans qui ont pris pied avec les Mudjahidins lors de la guerre en BiH. Alors qu’une désislamisation a eu lieu dans la Yougoslavie durant l’ère titiste, l’islam s’y reconstruit de façon difficile entre tradition et modernité, » ce qui ouvre un boulevard aux prédicateurs radicaux « . Depuis la guerre, des dizaines d’écoles coraniques, d’associations humanitaires et de mosquées parallèles ont vu le jour en BiH, sur financement des monarchies pétrolières. Le pays abriterait quelque 64 communautés ‘sous charia’, avec 4.000 personnes, qui pourraient devenir autant de bases de repli pour les combattants de retour du Moyen-Orient. La BiH et le Kosovo sont parmi les pays qui ont fourni le plus de combattants à Daech, comparativement à leur population : respectivement 250 et 314, suivis par la Macédoine avec 140 et l’Albanie avec 30. 19 organisations ont été interdites au Kosovo pour ‘incitation à la haine ou le recrutement de terroristes’ et 14 imams arrêtés, dont celui de la grande mosquée de Pristina. Si nombre de combattants rentrés de Syrie et d’Irak ont été condamnés à des peines de prison, le contrôle reste difficile, notamment dans les régions montagneuses de BiH.
C’est aussi l’ancienne ‘question albanaise’ qui affleure avec le mythe d’une ‘grande Albanie’ relancé par Sali Berisha célébrant le centenaire de l’indépendance du pays en 2012, ou par Edi Rama en juin 2016 déclarant à Pristina: « L’Albanie et le Kosovo sont un seul pays, un seul peuple, un rêve commun « . Ce qu’Hashim Thaci reprenait le 20 avril 2017: » Si l’Union européenne ferme sa porte au Kosovo, alors une union de tous les Albanais de la région (se fera) dans un seul pays, unifié « . De son côté, Bakir Izetbegovic lançait à Novi Pazar en juillet 2016 une ‘coalition régionale’ de son parti SDA pour fédérer tous les Bosniaques. L’idée persiste en effet chez certains leaders de redécouper les frontières pour créer des Etats plus mono-ethniques: nord Kosovo et RS avec la Serbie, terres albanaises avec l’Albanie et le Kosovo, ce qui a toujours été refusé dans les négociations internationales en raison des risques évidents de violence. Au-delà des excès de langage dont les Balkans sont coutumiers, ces thèses et déclarations nourrissent les groupes activistes des différentes minorités, ce qui est aventureux dans une région où de tels rêves se sont terminés dans le sang, comme ceux de la ‘grande Serbie’. Elles créent un climat dangereux, surtout si les revendications ethniques devaient un jour se parer des habits de l’islam.
» Si l’adhésion à l’Union européenne n’est plus à l’ordre du jour, la région deviendra une zone grise dans laquelle d’autres acteurs deviendront plus influents » déclarait Edi Rama à Politico le 17 avril 2017. Ce sont bien ces influences extérieures et les risques qu’elles représentent, tout autant que la crise migratoire, qui ont poussé Angela Merkel à lancer le 28 août 2014 le Processus de Berlin pour un réengagement de l’Union dans les Balkans occidentaux.
Vers un réengagement de l’Union européenne
A la conférence de Berlin, les leaders des Balkans se sont engagés à intensifier les réformes pour la bonne gouvernance et la règle de droit et à faciliter une participation active de la société civile et un pluralisme des médias. Ils se sont aussi prononcés pour résoudre les questions bilatérales, promouvoir la réconciliation et développer la coopération régionale, notamment en matière de transports et d’énergie. Rien de bien nouveau donc par rapport aux nombreuses conférences du même type depuis Thessalonique, si ce n’est que celle-ci se tient à Berlin, au cœur de la première puissance européenne, et convoquée par sa Chancelière. Vienne prendra le relais le 27 août 2015 en mettant l’accent sur les réseaux de transports et d’énergie dans ce que l’on va appeler ‘l’agenda connectivité’, et en obtenant la signature des leaders sur une charte pour la solution des litiges bilatéraux.
Le processus s’est poursuivi à Paris le 4 juillet 2016, où un Office pour la coopération des Jeunes des Balkans (RYCO, Regional Youth Cooperation Office) fut lancé, sur le modèle franco-allemand. Le Sommet de Trieste le 12 juillet 2017 va ancrer le processus de Berlin dans des initiatives concrètes très attendues: ‘agenda connectivité’ enrichi de 7 projets pour 500 millions € dont 194 en appui budgétaire de l’Union et le reste en prêts d’institutions financières, ce qui porte le total à 20 projets pour 1,4 milliard €; signature du Traité de la Communauté des Transports, qui prévoit la reprise de l’acquis communautaire par les Balkans occidentaux, à l’instar de celui de l’Energie signé en 2006; Zone économique régionale – à l’initiative de l’Albanie et de la Serbie – pour faciliter la libre circulation des biens, des services, des investissements et des travailleurs qualifiés, avec un plan d’action détaillé; Facilité pour le développement des PME et l’Innovation, avec 48 millions € de l’Union, sous la responsabilité des chambres de commerce et d’industrie; Fondation pour la Recherche, pour accorder des aides aux jeunes chercheurs.
L’Union s’est donc réengagée par des projets régionaux concrets puisque le PSA seul ne garantit plus la stabilité des Balkans occidentaux et que la perspective d’adhésion reste très lointaine pour certains. Or, leur stabilité est essentielle, alors que la ‘route des Balkans’ place ces pays au cœur des migrations vers l’Europe. Pour Federica Mogherini, qui a réuni leurs six leaders à Bruxelles le 19 décembre 2017, » 2018 offrira une occasion unique pour des progrès irréversibles vers l’intégration à l’UE, à condition que la plus grande importance soit donnée aux réformes nécessaires, en particulier la règle de droit, la justice et les droits fondamentaux « , ce à quoi les leaders se sont bien évidemment engagés, ainsi qu’à » renforcer leurs relations de bon voisinage et à promouvoir la compréhension régionale « .
Dans sa stratégie d’élargissement attendue pour février, la Commission explicitera comment 2018 sera cette ‘occasion unique’ par une feuille de route pour la Serbie et le Monténégro pour poursuivre leur processus d’adhésion et par des propositions d’ouverture sous conditions des négociations avec la Macédoine et avec l’Albanie dont les réformes courageuses ne peuvent être ignorées. La stabilité dans les Balkans occidentaux sera en effet grandement assurée par l’adhésion de la Serbie et de l’Albanie, la Croatie étant devenue membre; l’Albanie entendue ici non seulement pour ses mérites propres mais aussi comme Etat influent et écouté au Kosovo et dans les minorités albanaises et comme preuve que l’Union n’exclut pas d’Etat à majorité musulmane.
Le réveil de l’Union européenne avec les Balkans est-il suffisant pour que les réformes attendues depuis si longtemps soient engagées et irréversibles ? Il ne semble pas, car les financements sont bien trop faibles au regard des besoins et des attentes. La Bulgarie et la Serbie ont la même population. Or, 11,7 milliards € sont prévus pour la première pour 2014-2020 contre 1,5 sous l’IAP pour la seconde, soit un rapport de 1 à 8. La Serbie recevra sans doute un jour huit fois plus. Mais c’est maintenant où elle a besoin de fonds accrus. Il est temps de rompre cette division entre nouveaux pays membres sur lesquels sont déversés des fonds bien trop importants pour être même absorbés et pays candidats qui en manquent cruellement pour réussir leur transition. Il y va de la crédibilité de l’Union vis-à-vis des citoyens, des investisseurs et face aux pays ré-émergents. L’instabilité coûte toujours très cher. La stabilité s’achète aussi par des financements accrus.
Il n’est que temps pour l’Union de créer un ‘Fonds connectivité’ substantiel sur budget européen – ouvert aussi à l’éducation et à la santé – à titre temporaire en 2019-2020, avant de devenir partie intégrante du cadre financier pluriannuel 2020-2027, avec un montant à la mesure des besoins et des enjeux autant géostratégiques qu’économiques; c’est-à-dire d’ouvrir aux pays candidats les programmes post-adhésion et notamment le Fonds de cohésion. Les financements se feraient toutefois sous condition: les Etats auraient un droit de tirage sous réserve de progrès réels dans les chapitres 23 et 24 pour lesquels tous devraient préparer des plans d’action. Cette conditionnalité stimulerait les réformes et entraînerait une concurrence vertueuse entre les Etats pour bénéficier du fonds. De plus, après l’adhésion, les fonds européens devraient être conditionnés au respect des valeurs européennes et des principes de l’Etat de droit.
En second lieu, la priorité devrait être donnée à l’économie par la mise en place accélérée de la zone économique régionale. Quant aux pays dont la perspective d’adhésion reste lointaine, entretenir l’illusion d’un processus proche ne peut qu’accroître les frustrations. Aussi, une feuille de route devrait être élaborée pour qu’ils intègrent le marché intérieur, comme première étape, à l’exemple de l’accord avec l’Ukraine.
En troisième lieu, l’Union européenne devrait engager une médiation active sur les nombreux litiges bilatéraux » car tous ces problèmes doivent avoir trouvé une réponse avant l’adhésion de ces pays « , comme le déclarait Jean-Claude Juncker le 9 janvier 2018, en prônant leur recours à l’arbitrage de la CIJ si nécessaire. Mais pour éviter que la sentence arbitrale ne soit ensuite refusée – comme l’a fait la Croatie avec la Slovénie – les fonds européens seraient là-encore conditionnés à son respect. Quant au dialogue Serbie-Kosovo, il est devenu un dialogue de dupes selon les deux parties, chacune s’estimant victime de la mauvaise volonté de l’autre. La facilitation ne suffisant plus, un engagement actif de la Haute représentante est devenu nécessaire, avec suivi des décisions prises.
En quatrième lieu, la ‘société civile’ devrait être invitée à jouer le 4ème pilier de la pré-adhésion aux différents niveaux où son rôle est indispensable, notamment pour la mise en œuvre des chapitres 23-24 et par les actions civiles pour la réconciliation que l’Union devrait financer. Enfin, l’intégration des communautés Roms devrait devenir une priorité nationale des gouvernements par des mesures d’envergure, notamment pour l’habitat, l’éducation et la formation professionnelle, d’autant que la plupart des Balkans vont connaître une baisse dramatique de leur démographie.
Si la classe politique en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo considère que l’Union européenne leur doit un traitement préférentiel, des leaders des Balkans mesurent bien que l’intérêt que celle-ci leur porte est dû pour beaucoup à leur situation géostratégique et aux risques que l’échec de leur transition lui ferait courir. Et ils savent jouer de cette situation. Ils savent aussi que l’Union et son opinion publique, face aux multiples problèmes internes, ne sont pas pressées de les accueillir. Il serait pourtant dangereux que ce soutien timide l’emporte sur l’intérêt stratégique de l’Union tant la stabilité des Balkans occidentaux est garante de notre sécurité. L’Union européenne devra en effet » s’ouvrir aux pays des Balkans… c’est une condition pour qu’ils ne tournent pas le dos à l’Europe pour aller ou vers la Russie, ou vers la Turquie, ou vers des puissances autoritaires qui ne défendent pas nos valeurs « , comme le déclarait le président Macron dans un discours qui marquait enfin le retour de la France sur la scène européenne.
Le processus d’intégration y est un investissement pour la sécurité de l’Europe, que l’opinion publique pourrait plus facilement accepter si un ‘partenariat’ se substituait au projet d’adhésion de la Turquie, comme vient de le proposer Emmanuel Macron lors de la visite de Recep Tayyip Erdogan à Paris le 5 janvier 2018. Il est temps que l’Union lance une initiative forte pour concrétiser plus encore son réengagement dans les Balkans occidentaux en honorant la promesse faite il y a 15 ans à Thessalonique, afin d’y réduire l’attrait des sirènes extérieures et d’éviter de nouvelles crises violentes. Comme le déclarait Federica Mogherini à Sarajevo le 4 mars 2017, à l’issue d’une visite difficile dans les Balkans: « Ce qui est en jeu ici, c’est la paix, c’est la stabilité, la sécurité, les opportunités économiques pour tous, la coopération régionale et ce que j’appellerais la réunification de notre continent « .
Pierre MIREL
Publication de la Fondation Robert Schuman.
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