Suite au souhait des citoyens britanniques de quitter l’Union européenne exprimé en 2016 et à la montée de l’euroscepticisme partout en Europe, les dirigeants européens se réunissaient à Bratislava dans un contexte difficile mais propice pour combler les lacunes de l’Union européenne.
Un an plus tard, en septembre 2017, le président de la Commission présentait « l’état de l’Union », avec un regard posé sur le futur, balayant ainsi l’ébranlement de l’Union d’un coup de main. Ce revers fût permis par un contexte favorable à l’Union européenne, grâce notamment aux dénouements de nombreuses élections nationales et à la prise de pouvoir de leaders europhiles.
Lors de son discours en septembre, Jean-Claude Juncker présentait un 6ème scénario, cette fois-ci personnel, pour le futur de l’Europe. Ce dernier venait s’ajouter aux cinq scénarios proposés par la Commission dans son « Livre Blanc sur le Futur de l’Europe », publié en mars 2017.
Depuis, la Commission a pris comme feuille de route dix priorités politiques centrées sur un message clair et positif : « Une Europe qui protège, donne les moyens d’agir et défend ». Mais il est nécessaire de revenir un pas en arrière pour comprendre d’où découlent ces priorités.
Les dialogues citoyens, une manière de façonner le futur de l’Europe ?
La Commission présente le livre blanc comme « une étape importante dans le processus permettant aux 27 Etats membres de se prononcer sur l’avenir de leur Union ». Pour encourager l’implication citoyenne, la Commission a organisé une série de débats sur l’avenir de l’Union. Selon elle, « chaque citoyen doit être entendu ».
Au niveau organisationnel, les dialogues citoyens impliquent toujours un commissaire européen, la plupart du temps une personnalité politique nationale. Il y a trois dimensions dans leur déroulement : ce qui se passe effectivement dans la salle, ce qui est diffusé en ligne et ce qui se passe sur les réseaux sociaux. L’objectif est, en théorie, de créer une discussion et d’interagir avec la société civile (N.L.D.R. : définie ici comme toute personne physique ou morale n’ayant pas de lien direct avec les institutions européennes). Les participants sont incités à poser leurs questions. Le modérateur choisit les questions jugées « pertinentes » afin de les poser au commissaire.
Ces dialogues ciblent officiellement les citoyens européens. Et c’est là que le souci se pose, car le public ciblé n’est pas assez précis. À force de vouloir cibler trop de monde, on peut se retrouver à ne cibler personne. Il est aussi intéressant de s’attarder sur les effets et les conséquences de ces dialogues. Tout d’abord, les participants ressortent généralement satisfaits et plus informés de ceux-ci, mais l’aspect “dialogue” n’est pas ce qui ressort le plus.
Il est dès lors facile de conclure que la communication reste unilatérale et trop « top-down », les modérateurs choisissant les questions ; la dialectique entre le « on-site » et « online » se fait assez mal. Cela a pour conséquence de créer des frustrations. Soit parce que les questions des réseaux sociaux prennent trop de temps, soit parce que les réponses aux questions choisies ne sont pas suffisamment transparentes ou parlantes. De plus, les participants sont majoritairement des Européens convaincus, s’intéressant aux affaires européennes, ayant des bases et un intérêt aiguisé, souhaitant en savoir davantage. Les novices ou indécis sont peu nombreux.
Peut-on parler de réel dialogue, dès lors que le déroulement en lui-même est structuré par les institutions ? Le public ciblé se composant de participants appartenant à cette « bulle européenne », l’objectif du dialogue est-il réellement atteint ? Finalement, quelle est la réelle dimension d’honnêteté et de pédagogie de ces dialogues ?
L’Initiative citoyenne européenne (ICE), proposition utopique ?
C’est grâce au Traité de Lisbonne qu’en 2009 le droit d’initiative citoyenne devient un moyen pour la société civile de demander à la Commission de modifier une loi européenne. L’ICE a évolué et est devenue, depuis février 2011, une invitation par la société civile faite à la Commission, de présenter une proposition de loi. Pour ce faire, il faut que la proposition soit soutenue par au moins 1 million de citoyens européens issus de minimum 7 pays membres de l’Union européenne. Un comité est créé par la société civile, composé de 7 citoyens, ressortissants de 7 pays.
Si les conditions sont remplies, la Commission dispose alors de trois mois pour recevoir les organisateurs et comprendre l’initiative. Elle devra ensuite organiser une audition publique devant le Parlement européen et finalement adopter une réponse officielle concernant l’initiative. Cela signifie que la réponse ne sera pas nécessairement positive, car la Commission n’est pas tenue de présenter une proposition législative suite à une ICE. Concrètement, seules 3 initiatives sur 56 présentées ont réussi à remplir toutes ces conditions.
Alors que l’ICE est présentée comme le premier instrument de démocratie participative transnationale, il ressort que l’outil ne fonctionne pas.
Le rapport « À la rencontre des citoyens de l’Union : une nouvelle chance » de Luc Van den Brande, paru en octobre 2017, propose de « modifier le dispositif de l’ICE ». C’est, selon lui, l’occasion « d’éliminer les obstacles et les barrières injustifiées ».
Comment solliciter les citoyens ? : la question du siècle…
Le rapport de Luc Van den Brande, conseiller spécial du président de la Commission, est de loin le rapport le plus important concernant la communication des institutions européennes et la participation citoyenne.
Alors que de nombreux spécialistes pointent du doigt la communication sous Jean-Claude Juncker, certains en la qualifiant de « fiasco total », ce rapport tombe comme une « nouvelle », ou plutôt dernière chance de rectifier le tir. À force de vouloir révolutionner la communication européenne et donc réduire le fossé entre les citoyens et les institutions, il semble que la Commission a fini par faire du surplace.
Van den Brande apporte dix propositions pour le futur de la communication européenne, qui convergent vers une conclusion simple et claire : il faut donner la voix aux citoyens de l’Union européenne, en faisant d’eux des acteurs investis d’une mission commune. Pour cela, les institutions européennes doivent coordonner leur communication mais aussi susciter la créativité et l’émotion, tout en exprimant les choses simplement. En donnant un nouvel élan au projet d’intégration européenne, en expliquant le coût d’une Europe désunie et en étant plus proactives et moins défensives, les institutions pourraient atteindre directement les citoyens.
Mais il reste aussi le « problème » des médias. C’est à travers les médias que les institutions pourront le plus facilement atteindre les citoyens. Le rapport préconise la mise en place d’une nouvelle stratégie médiatique et une meilleure collaboration avec ceux-ci. Alors que, depuis quelques mois, c’est l’inverse qui se produit.
Tout peut se résumer au fameux « keep it simple and stupid ». Le problème actuel est que la Commission cherche à consolider sa communication, alors que la base de celle-ci n’est pas solide. Pour créer le dialogue, il est essentiel de répondre aux questions « terre à terre » des citoyens afin de les convaincre.
Une autre proposition, provenant cette fois de la campagne présidentielle française, est d’organiser des “conventions démocratiques” à travers l’Europe. L’élection du nouveau président français suscita un nouveau souffle pour l’intégration européenne.
À travers l’organisation de conventions démocratiques, Emmanuel Macron souhaite associer l’ensemble des citoyens européens au débat sur la refondation de l’Union européenne. L’organisation de ces conventions, si les chefs d’Etat des pays membres les soutiennent, se calquerait sur le modèle de la campagne « En Marche » avec l’organisation de forums publics, porte-à-porte et sondages sur les réseaux sociaux, qui serait une manière de renouer le dialogue européen.
Comment réduire l’incommunication européenne ?
Le concept d’ “incommunication européenne” apparait dans de nombreux écrits. Il peut être compris comme le manque de communication ou alors le manque de dialogue entre les institutions et les citoyens. Nombreux sont ceux qui ont tenté de répondre à cette question, du moins depuis que l’on accepte l’existence d’une incommunication européenne. De nombreuses pistes ont été proposées, la Commission semble avoir presque tout essayé, en passant de la communication « corporate » jusqu’à la pseudo communication émotionnelle. L’objectif de cette conclusion est de donner des pistes de réflexions, sur des propositions qui suivent les règles basiques de toute communication. Tout d’abord, il semble plus qu’urgent de rétablir un contact avec les médias et de changer de stratégie concernant ce partenariat. Une autre proposition serait d’apprivoiser la diversité en construisant une confiance entre Européens et permettant ainsi de relancer de grands projets. Mais le plus important semble, pour nous, de former les générations futures au projet européen et à la symbolique de celui-ci. L’éducation pourrait devenir la clé de voute de la communication européenne…
Lorik Rexha et Amélie Ancelle