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epa04948267 Hungarian Prime Minister Viktor Orban during a press conference in Vienna, Austria, 25 September 2015. Orban and Austrian Vice Chancellor Mitterlehner discussed on dealing with the current mass influx of refugees and migrants into Europe. EPA/GEORG HOCHMUTH

La droite identitaire devient-elle un courant dominant ?

Plutôt que de multiplier des leçons de morale et sagesse politiques à l’égard de « l’autre Europe » la Hongrie devrait balayer devant sa porte.

Au lendemain des élections hongroises, « réveil douloureux », « malaise » sont les premiers mots qui s’imposent à l’annonce des résultats. Un succès très fort pour Viktor Orban : il a reçu les félicitations de ses pairs, félicitations cependant teintées d’avertissements feutrés. Pourquoi ce ménagement à l’égard d’un champion très habile du double jeu, ce qui en fait un protégé permanent de la droite ? Christian Lequesne nous donne la réponse : « Le PPE préfère garder ses brebis galeuses plutôt que de les voir aller grossir les rangs des eurosceptiques » (La Croix)

La droite identitaire devient un courant dominant, elle a évincé la droite classique et pas seulement en Europe centrale. Son leitmotiv : l’Europe est menacée d’occupation, de dissolution. L’offensive est en cours et vise à remplacer la population actuelle de l’Europe, à en changer les fondations morales, humaines, politiques : la rhétorique est délibérément martiale. Cette notion de « remplacement » qui court à travers les discours populistes d’où qu’ils viennent, montre à quel point la trajectoire de la grande révolution européenne de 1989 a fortement dévié par rapport aux  intentions de ses initiateurs ainsi qu’aux attentes de populations enfin libérées du joug soviétique.

Le FIDESZ, la formation de Viktor Orban, a remporté 48,9 % des voix  et 133 sièges sur 199 à l’Assemblée nationale, soit le seuil pour avoir la super majorité pour modifier, une fois de plus, la Constitution, par exemple, et pour son plus grand confort et pour pouvoir réécrire l’histoire. Plus aucune limite à son délire verbal et règlementaire : ainsi, pour fermer les organisations se mêlant de politique, l’avis sera donné par les services de renseignements civils et militaires. Les aides aux réfugiés et migrants seront taxées à hauteur de 25%, même ceux de l’ONU ou de l’Union Européenne. Une vendetta dont les ONG seront les premières victimes. Mais la Commission européenne veille et a déjà saisi la Cour européenne de Justice. Est-ce suffisant ?

Les valeurs de l’UE sont ouvertement défiées et bafouées. Il est grand temps que le PPE, dominateur dans les institutions européennes, condamne des discours d’un autre temps plutôt que d’en être le complice tacite par son silence ou son inertie. Viktor Orban ne veut pas quitter l’Europe, c’est clair, tant il perdrait au change. Alors l’Europe doit lui rappeler fermement les conditions politiques de son appartenance et de son maintien dans la famille européenne ! Ces conditions tiennent en peu de mots compréhensibles de tous et sans excès de juridisme. La vie politique dans l’Union connait de nombreux soubresauts, il n’y a pas qu’en Hongrie ; malheureusement, les institutions sont certainement imparfaites, mais il y a un petit nombre de règles de comportement qui s’imposent : le respect de la règle de droit en tout premier lieu, le sens du compromis démocratique et enfin la conscience historique des origines de l’Union, à savoir : d’où venons-nous ? Nous venons d’une longue succession de guerres, massacres et conflits. Ces trois éléments, tout cela fournit un cadre solide, permanent, sans comparaison dans le monde. La tentation nationaliste est une impasse, souvent tragique, l’histoire en fournit beaucoup d’exemples. Les eurosceptiques de ces pays savent parfaitement, la Hongrie la première, que sortir de l’Union n’est pas une option même s’ils en agitent la menace selon les commodités du moment. Le Brexit est là pour leur rappeler l’inanité d’un tel projet.

Le problème dans l’Union est que des pouvoirs autoritaires sont à la manœuvre ici et là  mais aussi que beaucoup de ces démocraties ne se portent pas bien. Serions-nous entrés dans cette période baptisée par le politologue américain Kenneth Jowitt, le « nouveau désordre mondial » ? Il interprétait la fin de la guerre froide, à l’opposé de ce que pensait Fukuyuma, certainement pas  comme le début d’une ère de paix et de prospérité.

Vu le ton hystérique souvent adopté, et la fièvre obsidionale propre à ceux chez qui domine le sentiment d’être assiégés et un Viktor Orban se présentant comme un résistant, arcbouté contre les pressions de « l’Empire européen », l’empire du mal, peut-on s’attendre à ce qu’une pensée  pluraliste subsiste en Hongrie ? Mais le plus grave reste la contagion auprès des autres pays européens. L’exemplarité est peut-être limitée au point d’être contenue mais cela crée des tensions inutiles et stériles. Grave également ce tropisme à l’égard de Poutine qui fragilise considérablement l’Europe sur le plan de la géopolitique mondiale. Dans sa croisade souverainiste, Orban bénéficie de plusieurs alliés. Sur ce point, à ceux de nos lecteurs qui sont désireux d’approfondir leur réflexion, nous leur conseillons de lire avec attention l’éditorial de Sylvie Kaufmann dans le journal Le Mondedu 4 avril 2018.

D’autres points auraient pu trouver naturellement leur place dans cet article, comme les assassinats, en quelques mois, de trois journalistes en Slovaquie et à Malte, où, depuis plusieurs mois, les enquêtes piétinent mais où la corporation des journalistes vient de se dresser pour que la vérité soit faite : c’est la corruption et la lutte contre elle qui est à l’origine de ces morts et tous les pays où règne un régime de corruption sont menacés par de telles perspectives d’assassinat de ceux qui tentent de s’y opposer. Au premier d’entre eux, la Hongrie, qui, sous les apparences de la respectabilité, cache le fait que la Hongrie de Orban est un État mafieux ce qui le différencie encore du régime polonais uniquement concentré pour l’instant sur la maitrise absolue du pouvoir politique et l’endoctrinement idéologique ;  le régime hongrois ajoute par rapport à son voisin l’accumulation des richesses dans les mains  de la famille des dirigeants, et des oligarques les plus proches.

Dans une communauté de valeurs dirigée par les principes de démocratie libérale (la primauté du droit, la liberté des médias, les droits de l’homme, les standards démocratiques) il est évident que l’UE est en faveur de leur défense et il est normal qu’elle intervienne en ce sens et il est tout aussi évident que les leaders hongrois ou polonais traitent tout cela comme une ingérence illégale interférant dans la souveraineté de leur pays. La corruption galope et mène tout droit à une organisation criminelle clanique ayant la dimension d’un système, bref un Etat mafieux basé sur la corruption généralisée d’où des manifestations monstres de ces dernières semaines contre Orban. Notons qu’elles agissent plus contre la corruption que contre des éléments plus directement politiques.

Face à la corruption, l’Union doit monter en puissance, à l’image du FMI et de sa présidente qui vient d’annoncer un nouveau cadre réglementaire destiné à évaluer de manière plus systématique la corruption dans ses 189 pays. Depuis 1997, le FMI s’est voulu le promoteur des principes du bon gouvernement. La corruption engloutit chaque année 2% de la richesse mondiale, 2 000 milliards de pots de vin, nous dit le FMI.

« Un niveau élevé de corruption  mine toujours la croissance, les investissements nationaux et internationaux ainsi que les revenus fiscaux », a plaidé la présidente du FMI, Christine Lagarde. Nous savons également que la corruption détourne les jeunes de l’apprentissage, de l’éducation parce que réussir dépend de qui l’on connait et non de ce que l’on sait », a-t-elle fortement souligné. « L’accent doit être mis sur la gouvernance de façon globale et pas seulement sur la corruption. Car les faiblesses de gouvernance (…) ouvrent généralement des portes à la corruption », a expliqué le FMI dans son communiqué. Il est grand temps que ces deux grandes et puissantes institutions, FMI et UE, unissent leurs efforts dans une lutte de tous les instants contre la corruption, c’est la reine des batailles dans la lutte contre la criminalité internationale organisée car c’est elle qui génère toutes les criminalités dérivées sous toutes leurs formes. Il n’y a pas de petite ou grande criminalité. FMI et UE doivent conjuguer leurs efforts pour assurer un leadership incontestable dans une véritable croisade contre la corruption à l’échelon mondial. L’ampleur de la corruption lui donne une force telle qu’elle s’insinue partout, même là où on devrait l’attendre le moins. Toutes les activités sont menacées, toutes les institutions privées ou publiques, et aussi longtemps que la corruption n’est pas largement éradiquée et que subsiste la moindre zone de corruption, celle-ci peut renaitre sous de nouvelles formes et se propager plus loin.

La corruption ne connait pas de frontière, elle est en « libre circulation » : de l’Azerbaïdjan à Strasbourg pour reprendre l’exemple du dernier cas concernant l’Assemblé Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE).

Des experts indépendants viennent de rendre leur rapport qui confronte l’APCE à un « fort soupçon de corruption » en son sein au profit de l’Azerbaïdjan. Certains membres actuels et anciens de l’APCE s’étaient livrés à des activités de nature corruptrice ; ils ont bénéficié de largesses en échange de leur mansuétude à l’égard du régime et de leur appui pour les élections interne, notamment comme rapporteur ou présidente de commissions. Le rapport met en cause une douzaine de parlementaires espagnols, allemands, britanniques, polonais, belges, italiens, suédois, norvégien ou azerbaïdjanais issus de tous les groupes politiques. Parmi eux, l’espagnol Pedro Agramunt, ancien président du groupe PEE et de l’APCE, contraint à la démission et dont Eulogos a raconté les turpitudes. Son rôle déterminant dans l’adoption de différentes décisions a été reconnu et souligné. Les experts ont eu accès à de nombreux documents mais pas à des comptes bancaires, ils ont entendu cinquante témoins. Une copie du rapport a été envoyée à chacun des 47 parlements nationaux en les invitant « à prendre des mesures qui s’imposent » à l’égard de leurs députés et de faire rapport avant fin 2018. Il est clair que l’instruction, le jugement et les condamnations éventuelles relèvent de chacun des Etats membres selon leurs procédures propres. Tout au long des débats fut prônée une tolérance zéro. Les sanctions seront décidées à l’issue d’une procédure contradictoire. L’APCE a adopté à une très forte majorité une résolution qui précise des pistes d’action concernant les élections (notamment des rapporteurs) et l’observation des Commissions du suivi et du Règlement. Les règles internes ont été resserrées. Les anciens membres ont été interdits d’accès au Conseil de l’Europe et les actuels ont été priés de s’auto-suspendre. « Car fondamentalement, précise le texte, il s’agit de restaurer l’assemblée dans toute sa crédibilité de sa dimension politique »

Mais l’Europe n’en a pas fini avec ses malheurs en matière de corruption. Et les « affaires » se multiplient et parfois on retrouve les mêmes acteurs comme dans celles concernant à la fois l’APCE et Malte. Peut-on espérer le sursaut des citoyens avec la nouvelle proposition de la Commission pour la protection des lanceurs d’alerte ? La Commission vient en effet de proposer un nouveau projet de directive visant à mieux protéger les lanceurs d’alerte européens. Selon Franz Timmermans les silences représenteraient un manque à gagner énorme pour l’UE entre 5,8 et 9,6 milliards d’euros annuels rien que pour les faits de corruption non dénoncés dans les marchés publics, c’est une première victoire pour les lanceurs d’alerte, une victoire amère après le meurtre de Daphne Caruana Galizia. L’initiative de la Commission coïncide avec celle des journalistes réunis au sein du « Daphne Project » qui poursuivent leurs révélations sur la corruption et le blanchiment d’argent à Malte : 18 médias internationaux européens et américains réunis au sein du « Forbiddden Stories » poursuivent le travail de la journaliste maltaise, assassinée il y a six mois alors qu’elle enquêtait sur ces sujets. Dans une série d’articles, les médias ont dévoilé les premiers résultats de leur travaux : failles dans l’enquête sur l’assassinat de la journaliste, ventes de passeports maltais, entrée en Europe de capitaux azerbaïdjanais par l’intermédiaire de la banque maltaise Pilatus Bank, elle–même appuyée sur des sociétés appartenant aux deux familles les plus puissante de la dictature d’Azerbaïdjan ; au cœur de nouvelles révélations celles concernant le groupe français Accord Hôtel qui investit dans les hôtels dans les pays du golfe et s’est chargé de recueillir les profits du Sofitel de Dubaï. L’enquête a également permis de retrouver trace de nombreux autres actifs rachetés en secret par les dirigeants de l’Azerbaïdjan dans toute l’Union européenne, à partir de sociétés écrans crées à Malte, toutes dotées de comptes à la Pilatus Bank. Faut-il ajouter que l’Azerbaïdjan est régulièrement accusée d’enfreindre les droits de l’homme, d’emprisonner des journalises et de piller une bonne partie des ressources de l’Etat sous la férule du  dictateur Ilham Aliyev ? Le pays est également bien connu via la « diplomatie dite du caviar » pour approcher certains élus européens et acheter leur amitié en échange de lobbying en faveur du régime. De l’Azerbaïdjan à Strasbourg, au Conseil de l’Europe et aux députés de l’APCE, la boucle est bouclée. La commissaire européenne  à la justice, Vera Jourova, va se rendre à Malte pour mesurer les efforts menés contre le blanchiment d’argent, la vente de passeports à de riches particuliers, l’évolution de l’enquête sur l’assassinat de Daphne Caruana Galizia. La lecture du rapport annuel du Gréco (l’organe du Conseil de l’Europe chargé de la lutte contre la corruption) qui vient d’être rendu public, sera très instructif et donne une mesure de l’ampleur des pratiques et des menaces dans l’Union européenne.

Ces turpitudes que nous venons de décrire sommairement concernant seulement  deux cas sont celles qui dominent actuellement dans le régime et l’entourage de Viktor Orban (cf. l’article de Pia Dittmar) qu’un très grand souci de respectabilité n’arrive plus à dissimuler, d’où les manifestations importantes du dimanche 22 avril dernier. Lorsqu’il parle d’Europe que Viktor Orban renonce donc à insulter le futur par ses propos et son comportement. L’Europe c’est nous, l’Europe c’est notre avenir.

Henri-Pierre Legros

Pour en savoir plus :

Documents rendus publics par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe(APCE) http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=7053&lang=1&cat=8

Tolérance zéro à l’égard de la corruption au sein de l’APCE http://assembly.coe.int/nw/Home-fr.asp

La Commission européenne entend protéger les lanceurs d’alerte. Projet Daphne : l’enquête sur le blanchiment d’argent  à Malte se poursuit . https://www.touteleurope.eu/revue-de-presse/la-commission-europeenne-entend-proteger-les-lanceurs-d-alerte-projet-daphne-l-enquete-sur-le.html

Site du Greco https://www.coe.int/fr/web/greco

Rapport du groupe enquête indépendant portant sur les allégations de corruption au sein de l’APCE  http://assembly.coe.int/Communication/IBAC/IBAC-GIAC-Rapport-FR.pdf

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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