L’expression cyberespace est issue de la science-fiction. William Gibson, considéré comme le père fondateur du «cyber punk», un style de science-fiction très particulier, a utilisé pour la première fois l’expression dans son roman Neuromancer (1984). Il y décrit un monde gouverné par des ordinateurs où les humains sont contrôlés via une puce neurale implantée dans leur cerveau. Le cyberespace plonge ses racines dans la science-fiction. Aussi, il n’est pas surprenant qu’il ait baigné dans une idéologie libertaire et protestataire. C’est probablement la raison pour laquelle Internet a commencé à évoluer vers un idéal de démocratie sans gouvernement, tel que décrit dans le Cyberspace Manifesto de 1996. L’auteur de la déclaration, John Perry Barlow, distingue le cyberespace de l’espace physique où il n’est plus de monopole de la violence légitime et, par conséquent, n’est plus de pouvoir de l’État. Bien qu’il ait eu raison en 1996, ce n’est plus le cas.
Il semble en effet évident qu’Internet ne pouvait pas rester sans réglementation pour toujours. A dire vrai, aucun champ d’activité humaine n’échappe jamais complètement à la loi. La densité du cadre législatif peut varier considérablement, peut être limitée au minimum quand cela est nécessaire, ou peut être extrêmement abondante lorsqu’il s’agit de domaines sensibles (armes, technologies sensibles, activités dangereuses, etc.). Néanmoins, jamais la loi n’est absente.
Etant donné qu’Internet occupe désormais une place centrale, il est inévitable qu’il soit déjà réglementé, quoique de manière fragmentée. De ce point de vue, l’idéal libertaire reste une utopie. Pourtant, l’existence d’une gouvernance du web est aussi la garantie d’une protection contre l’instrumentalisation de la liberté de commettre le mal. Comme Grotius, le «père» du droit international, l’a écrit : « Là où l’art du droit échoue, là commence la guerre ».
L’émergence de l’implication des Etats sur le web ne signifie pas qu’il devrait nécessairement perdre ses caractéristiques d’ouverture, de liberté et de circulation sans entraves. Par exemple, l’accès à Internet est considéré par toutes les nations démocratiques comme un droit fondamental à la vie privée. De ce point de vue, l’idéal libertaire n’est pas mort. L’Internet reste de certaines façons, une sorte de haute mer, dont il est scandaleux de chercher la clôture avec des barrières ou des censures. En tant que tel, l’histoire ne fait que se répéter. Tandis que Grotius défendait la réglementation, il défendait également le principe de la loi qui, selon lui, ne pouvait être saisie par personne.
Il en est de même pour Internet qui inclut une composante libertaire sui generis et une composante régulée nécessaire. Le problème reste qu’aucun schéma connu de la théorie de l’Etat n’est applicable à Internet. Ce n’est pas un territoire comme les autres, il n’a pas de frontières fixes. C’est essentiellement un flux constant de données. Néanmoins, il existe trois approches pour appréhender le cyberespace.
Premièrement, il peut être conçu comme une partie artificielle du territoire d’un État. Ce dernier aurait donc un territoire géographique et un territoire numérique spécifique. C’est l’approche isotopique.
Deuxièmement, il peut être considéré comme un territoire totalement indépendant et séparé des territoires physiques. C’est alors la virtualité de l’Internet qui la caractérise, ses racines et ses effets dans la vie réelle. C’est la conception utopique.
Enfin, troisièmement, il peut être considéré comme un territoire distinct qui englobe les territoires physiques. Il existe à travers eux mais les transcende à bien des égards. Dans ce cas, c’est la conception hétérotopique.
Le cyberespace est, par nature, international, ce qui exclut automatiquement la réglementation nationale, et appelle nécessairement une réglementation absolue et complète au niveau international. Aussi, la troisième conception semble la plus adaptée à la réalité. Il est évident qu’Internet a une dimension intrinsèquement internationale. Le cyberespace ne peut pas être contrôlé à partir d’un Etat, et il est illusoire de prétendre le contrôler complètement. L’internationalité et la liberté sont son essence. Cependant, il traverse le territoire des États. Ce n’est pas éthéré car les données sont composées de signaux électriques. Les activités sur le web peuvent avoir un effet direct sur le territoire des États. De plus, la cyberattaque n’a de sens que du fait des dégâts causés et de l’affaiblissement de la cible. Par exemple, l’attaque de la centrale nucléaire de Natanz, en Iran, avant la conclusion de l’accord sur le nucléaire iranien, le justifie facilement. L’objectif était, pour les services américains et israéliens, d’endommager un réacteur qui pourrait être utilisé pour fabriquer des bombes à hydrogène. Sans effets physiques in situ, la cyberattaque n’aurait eu aucun intérêt. C’est la même chose avec l’activité économique en ligne. Sans revenu réel, il n’y aurait aucune raison d’exister. L’activité de Facebook est la collecte de données et l’analyse sur Internet : cependant, les milliards de dollars de son chiffre d’affaires par an sont réels.