La démission de Nicolas Hulot au poste de ministre de la transition écologique et solidaire, annoncée le 28 août dernier sur France Inter, n’aura pas été une démission comme les autres. Outre son caractère fortuit, elle n’aura pas manqué de stupéfier les esprits, à commencer par celui de Léa Salamé, la journaliste au micro face à Nicolas Hulot (“Stupéfiant!”, l’autre émission présentée par Léa Salamé, vient désormais de trouver son visage attitré). L’ex-ministre ne souhaitant plus se mentir, part sans claquer la porte, et pourtant, il s’en est dégagé un bruit retentissant dans toute la France. Il part en laissant aux auditeurs de France Inter quelques pistes permettant de diagnostiquer le problème. Des clefs données spontanément à l’antenne mais qui concentrent en réalité plusieurs mois de réflexions sur les antagonismes indépassables qui constituaient son agenda politique quotidien : un agenda avançant au rythme des “petits pas”. Son bilan à l’issu de ce court mandat est mitigé, équilibré entre les mesures prises en faveur de l’écologie et ses renoncements. La balance penche tout de même en sa défaveur lorsque l’on comptabilise les mesures prises par le gouvernement contre l’écologie dont Hulot partage une partie de la responsabilité. C’est en tout cas ce que révèle le “HulotScope” proposé par le quotidien Reporterre. L’appel d’une bonne partie de la presse y va sans détours : le néolibéralisme vert ne fonctionne pas. Cet aveu ne remet pas seulement en question la France seule, mais toute l’Europe. Concernant cette question touchant l’Union européenne (UE), il est primordial de distinguer ce qui relève de l’enseignement permettant aux Etats membres de tirer les bonnes leçons, de ce qui pourrait être récupéré à mauvais escient par les nombreux détracteurs de l’UE pour tenter de la mettre à terre.
Quelle figure de style se cache derrière l’expression “néolibéralisme vert”? Cette association s’est vue fortement employée ces dernières semaines dans les médias depuis le départ du ministre de l’écologie. Ex-ministre ayant lui–même proposé cette connexité comme principal responsable de son départ, notamment lorsqu’il affirme qu’ “il y a une incompatibilité organique entre libéralisme économique et politique environnementale ambitieuse”. La défaite de l’écologie néolibérale s’invite dans plusieurs consciences, lançant le débat sur ce mariage arrangé entre écologisme et néolibéralisme qui s’est soldé, encore récemment, par un échec après la demande de divorce faite par Nicolas Hulot. Quelle figure de style donc caractérise ce duo qui peine à cohabiter ? Quand l’un, impassible, ne voit pas d’inconvénient à traîner du pied l’autre, le boulet vert qui donne figure. Est-ce un euphémisme, une litote, une antiphrase, une atténuation ou tout simplement un paradoxe ?
Pour tenter de comprendre, revenons d’abord plus en profondeur sur le rôle et l’identité du principal concerné, celui qui s’était lancé un pari tout en sachant que le vent avait de très fortes chances de tourner en sa défaveur. Partant de là, par quelle analogie peut-on relier ce cas particulier avec l’économie de marché néolibérale ?
Monsieur Hulot a indiqué il y a peu qu’il conservait en permanence dans sa poche depuis le mois de février 2018 (date de sa mise en accusation pour viol), une lettre de démission prête à être déposée sur le bureau du président Emmanuel Macron à tout moment. Une anecdote peu anodine qui annonçait avant l’heure que la place du ministre de l’environnement au sein du gouvernement Philippe II reposait sur un équilibre fragile. Équilibre fragile qui n’est pas sans rappeler un autre ministre européen ayant eu recours à la même stratégie de la lettre dans la poche : Yanis Varoufakis, ex-ministre des finances grec. Y. Varoufakis ayant lui pris soin de rédiger sa lettre de démission dès le premier jour d’investiture du gouvernement d’Alexis Tsipras en 2015. L’ex-ministre Varoufakis raconte dans ses mémoires “Conversation entre adultes” qu’il considérait cette lettre, toujours avec lui, comme le symbole d’une promesse de faire au pouvoir uniquement ce pourquoi il a été élu. Symbole donc d’une feuille de route bien précise à laquelle se tenir, sinon tenu de s’auto-éjecter du gouvernement. La comparaison entre Mr. Hulot et Mr. Varoufakis est flagrante en ce point qu’ils n’avaient tous deux pas vocation à faire carrière politique avant d’avoir été appelés au pouvoir, et que leurs motivations étaient très personnelles, figées, et qu’en cas de trop forte déception ils partiraient à la recherche d’une plus solide estrade sur laquelle prêcher pour leurs paroisses respectives. Mr. Hulot aura tenu un peu plus d’un an. C’est déjà bien pour tous ceux qui retenaient leur souffle tous les mois. Craignant que N. Hulot ne quitte le navire chaque fois qu’il subissait un nouvel échec, qu’il se heurtait à la dure réalité de l’impuissance de son action et de la passivité de son propre gouvernement lui exprimant pourtant toute sa sympathie, hélas, insuffisante. Cette démission était donc quasi inéluctable pour celui qui avait longtemps hésité avant de donner une portée ministérielle à son combat. On se souvient que Nicolas Sarkozy avait déjà tenté une approche lors de son mandat présidentiel. Sa nomination à ce poste par Emmanuel Macron était donc en soi déjà une bonne opération, d’autant qu’il figurait parmi les rares à disposer déjà d’une forte notoriété publique. Emmanuel Macron à la recherche d’un ministre de l’environnement n’aurait pas pu trouver meilleur pot de fleur pour son programme écologique et pour l’Elysée que l’ancienne vedette d’Ushuaia.
Un autre parallélisme est possible lorsque l’on met en exergue les deux ex-ministres (Hulot et Varoufakis). Ils ont tendu tous deux vers ce que Larry Summers (économiste américain, professeur à Harvard et ex conseiller économique sous Obama) aime appeler des “outsiders”. Summers fait une distinction entre deux types d’hommes politiques, les “insiders” : ceux qui qui tentent de conserver leur pouvoir en faisant circuler leurs idées sans critiquer le système en place ni les autres insiders, des “outsiders” : ceux qui ne se refréneront pas d’exprimer leurs idéaux et prêts à tout pour conserver leur liberté de parole. Les outsiders sont populaires mais facilement discrédités par le pouvoir en place. Tandis que les insiders eux, ont plus de chance de parvenir à réaliser leurs idées à condition de respecter les règles du jeu. Il est le porte–parole d’une idéologie écologique qui prêtait difficilement à se conformer aux lois du marché et de la politique libérale de la France macronienne, mais également d’une large partie de l’Europe. Hulot entretenait une antinomie avec le gouvernement libéral auquel il participait malgré la sincère amitié qu’il éprouve pour ses anciens collègues. L’inefficacité de son action au gouvernement repose sur la fracture qui divise deux structures portant à bout de bras deux doctrines différentes. C’est ce que nous allons tenter d’observer ensuite.
La posture que représente Nicolas Hulot nous indique que, si la France et l’UE veulent rencontrer leurs objectifs environnementaux et énergétiques, il va falloir composer avec ceux qui sont pour davantage d’Europe, mais qui l’expriment à travers une grille de lecture et une personnalité différente. Différence avec les insiders technocrates qui ont l’habitude de concilier : impératifs économiques, volonté du privé (lobbys et privatisations) et impératif écologique. Dans ce triptyque, la plupart des concessions sont faites sur le dos des objectifs environnementaux. Cela se traduit par une politique battant la mesure au rythme des petits pas. Les propositions de Nicolas Hulot s’accompagnent toujours d’une perspective incluant l’économie circulaire comme modèle à perfectionner et à mettre en place dès maintenant. L’économie et les politiques néolibérales entretiennent un cercle exclusif privilégiant toujours les mêmes structures, sans tenir compte du fait que ce schéma repousse sans cesse les tentatives d’inclusion lancées par ceux qui entendent corriger au plus vite l’urgence climatique par des biais inédits. Le constat d’échec des politiques environnementales au niveau national est bel et bien dû à une incompatibilité entre la transformation (alternatives, réduction, adaptation et croissance différente) et les structures actuelles de production et de consommation.
Actuellement, l’économie de marché de l’Union européenne ressemble beaucoup au modèle ordolibéral allemand, c’est à dire la tradition économique d’encourager une abstraction du rôle de l’Etat dans les affaires du marché, censé s’auto-ajuster de lui-même. La faute du départ de Nicolas Hulot est souvent imputée par les médias au fondamentalisme néolibéral. Le passage de l’homo oeconomicus libéral à néolibéral, nous enseigne Michel Foucault, consiste simplement à augmenter le degré de gouvernance d’un individu sous plus de formes possibles. Cette doctrine néolibérale ne repose en réalité sur aucune théorie économique, c’est simplement la poursuite politique des intérêts privés. D’ailleurs, paradoxalement, lorsque l’économie de marché est en échec, c’est en réalité le gouvernement et donc le politicien qui va être remis en question. J. Stiglitz va plus loin à ce sujet en précisant que le marché neutre tend à être parfait et ne peut pas être à l’origine d’une défaillance. C’est l’homme qu’il faudrait optimaliser et non l’encadrement du marché. Nicolas Hulot a vu sa lettre de démission précipitée hors de sa poche par un événement fâcheux en particulier: l’ingérence du lobby des chasseurs en France dans les dossiers en cours luttant pour la préservation de la biodiversité. Il avait également eu affaire aux lobbys du nucléaire lorsqu’il avait été contraint d’abandonner l’objectif de 50% de nucléaire d’ici 2025.
La politique néolibérale de Macron tend à découpler les intérêts privés des bénéfices sociaux, et donc des intérêts environnementaux. Pour que l’économie de marché fonctionne correctement, il faudrait que tous les intérêts privés bénéficient aux objectifs écologiques ou du moins qu’il y ait un équilibre entre intérêts privés et bénéfices environnementaux. Or c’est plutôt l’inverse qui est en train de se produire.
Monsieur Hulot n’est pas celui qui a le mieux compris la manière d’initier les politiques environnementales. Il est d’ailleurs loin de fédérer autour de lui tous les écologistes. Mais il a compris, et par sa démission fait comprendre à la France et à l’Europe, que la transition écologique, environnementale et énergétique passera indubitablement par un glissement, une adaptation des canaux de l’économie fondée sur un temps de rendement plutôt à court terme vers une économie nouvelle, s’adaptant au temps long que nécessite la transition sur le durable et le résilient. Une économie moins productive mais permettant de recentrer les enjeux des bénéfices publics au cœur de l’action privée. L’Europe se doit de profiter de ce sursaut apporté par Nicolas Hulot afin de collectivement continuer autour d’un projet qui lui est cher, malgré des circonvolutions qui bloquent la progression pleine et entière du défi majeur de notre siècle.
Victor Gardet
En savoir plus:
Reporterre: https://reporterre.net/Nicolas-Hulot-vu-par-le-HulotScope-un-tres-leger-mieux
Lvsl: http://lvsl.fr/demission-de-hulot-la-faillite-de-lecologie-neoliberale
LesEchos:https://www.lesechos.fr/21/07/2008/LesEchos/20218-053-ECH_la-fin-du-neoliberalisme.htm
Reporterre: https://reporterre.net/M-Hulot-n-est-pas-l-ecologie