Le débat au Parlement européen a été d’une rare intensité et la majorité recueillie exceptionnellement forte, en conclusion d’une demande de lancer contre la Hongrie une procédure, celle de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne, pour violation de l’Etat de droit.
Les valeurs européennes ne sont pas négociables .L’Union européenne est fondée sur la liberté, la démocratie, l’égalité, l’Etat de droit, le respect des droits de l’homme, y compris des personnes appartenant à des minorités et une société civile libre, a-t-il été répété à de multiples reprises au cours des débats. Ce vote est la marque d’un refus de continuer à être constamment humiliée par des déclarations à l’emporte pièce, la marque du refus d’encaisser des provocations incessantes sans réagir, des diatribes incessantes et sans élever la voix pour faire face à une agressivité sans cesse renouvelée, sans le moindre fondement. Des déclarations extravagantes restées jusqu’à ce jour sans réplique comme celle de Krassimir Karakachanov, vice premier ministre bulgare et ministre de la défense: « la procédure de l’article 7 équivaut à l’invasion de la Tchécoslovaquie par le pacte de Varsovie en 1968». Pour moins que cela les Etats rappellent en consultation leur ambassadeur en signe de protestation.
Ce vote est un soulagement incontestable, un vote historique selon plusieurs observateurs, dont Cécile Ducourtieux du Journal le Monde. Enfin le vote de Strasbourg est un puissant sursaut qu’il convient de confirmer à la veille des élections européennes de mai 2019 qui s’approchent à grands pas.
Rappelons que le 12 septembre 2018 le Parlement européen a voté à la majorité qualifiée (448 votes pour, 197contre, et 48 abstentions) la résolution selon laquelle il « invite le Conseil à constater s’il existe un risque clair de violation grave, par la Hongrie, des valeurs visées à l’article 2 du traité sur l’Union européenne et à adresser à la Hongrie des recommandations appropriées. » Il approuvait ainsi le rapport de l’Eurodéputée Judith Sargentini qui énumère les préoccupations du Parlement européen : le fonctionnement du système constitutionnel, notamment en matière électorale, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, la corruption et les conflits d’intérêts, observés à la fois par l’Olaf, l’OSCE et le Greco, les libertés individuelles, les droits des réfugiés. Ajoutons à cela la liberté de la presse, les libertés universitaires, le droit de grève, les libertés en matière d’exercice de la religion, les droits de l’enfant, le respect de la dignité humaine, y compris des personnes appartenant à des minorités comme les roms par exemple. La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a jugé que le pays « avait violé la liberté d’association, lue à la lumière de la liberté de conscience et de religion ».Mais l’exécution de cet arrêt en Hongrie est toujours en attente, etc. etc. La liste est longue (17 pages). La simple lecture du rapport démontre que la nature des griefs va bien au-delà d’un différend sur la politique en matière migratoire.
Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité, et l’égalité entre les femmes et les hommes, la liberté, la démocratie. Sans compter les relents d’antisémitisme dans la campagne contre Georges Soros. Tout ce qui vient d’être rappelé, ce ne sont pas des options, mais des obligations. Viktor Orban utilise le problème migratoire, mineur dans son pays, pour masquer sa politique de destruction de la démocratie, dans ses racines et dans son expression. Et c’est là l’essentiel qui justifie pleinement le recours à l’article 7.
Jamais les représentants de plusieurs centaines de millions de citoyens n’ont exprimé avec autant de force leur ras-le-bol face à un gouvernement qui a franchi la ligne rouge à de multiples reprises. C’est un puissant sursaut, marquant l’abandon du profil bas jusque là adopté car supposé calmer Viktor Orban. Pour autant, doit-on parler d’un coup de semonce ? C’est difficile à retenir l’expression : face à tant d’accusations de corruption, de dénonciations de campagnes législatives indignes, de multiples et diverses protestations (dont celle de l’OSCE),peu ou pas de réaction et la seule réaction enregistrée face à la mise en œuvre de l’article 7 est venue du côté bulgare, c’est celle de Krassimir Karakachov, déjà citée, qui assimilait le déclenchement de la procédure à l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie en 1968 ! D’ordinaire, pour moins que cela un Etat souverain, en signe de protestation, aurait rappelé son ambassadeur en consultation selon des pratiques internationales régulièrement mises en œuvre par la communauté internationale. L’Union européenne doit se faire respecter comme l’a fait très récemment par exemple l’Union africaine, qui a pressé Salvini de retirer ses propos, « effarée » qu’était l’Union africaine par les commentaires du vice-premier ministre italien lors d’une conférence à Vienne dans laquelle il venait de comparer « les immigrés africains à des esclaves ». Propos tenus alors que Jean-Claude Juncker, dans son discours sur l’état de l’Union, venait de son côté d’annoncer une nouvelle Alliance Afrique-Europe pour les investissements et l’emploi.
Répétons-le: tout ce qui vient d’être rappelé, ce ne sont pas des options parmi lesquelles on peut choisir en fonction de ses propres convenances, mais des obligations !
Ce n’est pas une petite vengeance, comme l’a déclaré le ministre des affaires étrangères ou un chantage, comme l’a dénoncé Viktor Orban. Quel chantage? Par ce vote hautement symbolique, que va-t-il se passer au terme d’une procédure longue difficile, au scénario très hypothétique ? Une sanction hautement improbable. Derrière tout cela, il y a dix ans de cécité et de silence coupable sur ce qui se passe en Hongrie, notamment de la part de ceux qui pensent que « s’opposer au populisme, c’est le nourrir », et qui ont préféré s’accommoder du populisme et le laisser grandir, comme l’a déclaré Nathalie Loiseau, ministre française des affaires européennes. Pour une fois, Orban n’a pas pu passer au travers des mailles du filet démocratique, comme il l’espérait. Bien au contraire, il s’est vu opposer un magnifique message pour ceux qui croient encore non à l’utopie européenne mais plus encore qui croit à son rôle de garante suprême des libertés fondamentales européenne. Même si ce vote a une portée symbolique, il demeure nécessaire . Le Parlement européen est parvenu à pleinement assumer sa fonction politique, en surmontant ses divisions internes (particulièrement au sein du PPE) pour affirmer ses principes et ses valeurs. L’inaction ou le rejet du vote auraient seulement permis de conclure au manque de crédibilité du Parlement européen, tout en accordant à Victor Orban le consentement démocratique pour continuer à démanteler l’Etat de droit et la cohésion de l’Union. Le vote n’est pas purement symbolique puisqu’il révèle une profonde unité du Parlement pour défendre les valeurs de l’Union.
C’est un bon résultat « transpartisan » et sans appel, mais avec un rappel insistant : au niveau européen, c’est toute la structure de l’Union européenne, la coopération entre les Etats membres, la confiance des citoyens envers leurs institutions qui reposent sur le respect de l’Etat de droit. Le rapport Sargentini a détaillé de manière factuelle et accablante les différentes atteintes à l’Etat de droit commises au cours de ces dix dernières années par la coalition de droite du gouvernement hongrois.
Et maintenant ? inutile d’attendre quelque chose de l’activation improbable de l’article 7, mais plaider sans relâche en faveur d’une réaction forte des citoyens pour arrêter une évolution qui peut mener à des formes dangereuses de despotisme aigu, mieux informer les jeunes générations qui, à la différence de leurs ainés, n’ont plus aucun souvenir ou repère concernant les périodes sombres du XXe siècle dominées par les totalitarismes. Il faut en appeler à une prise de conscience générale pour sauver la démocratie. Ce sauvetage des instituions démocratiques n’est pas garanti. Comme l’écrit Antoine de Tarlé dans Télos, « les démocraties sont mortelles ». Rares sont ceux qui osent évoquer le fascisme. Parmi eux, le célèbre journaliste européen en poste à Bruxelles, Lorenzo Consoli qui, interrogé sur la vague populiste répond dans « Sauvons l’Europe » : « Ne jouons pas sur les mots, nous assistons bien en Italie à l’émergence d’un fascisme primaire, un fascisme à son état brut (…)Nous sommes face à la formule bien connue depuis les années 30 qui consiste à utiliser les médias pour créer une opinion publique plébiscitaire pour donner une impression de démocratie à une prise de pouvoir autoritaire. Aujourd’hui nous n’avons pas fini d’explorer les côtés sombres de la révolution digitale ». L’extraordinaire développement des réseaux sociaux comporte un sérieux revers: Facebook, Youtube, Twitter accompagnent involontairement un courant populiste et antisystème qui bénéficie d’une désorganisation durable des circuits traditionnels de l’information, de sa conception à sa diffusion. Cet appel de Lorenzo Consoli intervient au moment où le militantisme européen est au plus bas. Le mouvement pro-européen, écologiste et citoyen en général avance en ordre divisé, prompt à se déchirer au moindre désaccord, soucieux de protéger les intérêts de chaque petite chapelle plutôt que d’accepter une forme d’union sacrée , telle que nous en avons connue dans quelques grands rendez-vous de l’histoire, dont la dernière guerre mondiale. Ce qui nous attend est de cette nature. Y faire face demandera des responsables politiques courageux portés par un vaste mouvement populaire eux-mêmes animés par une indéfectible capacité à coopérer. Les «consultations citoyennes » auraient pu constituer cette chance incroyable. Il est trop tôt pour faire le bilan de cette opération imaginée par Emmanuel Macron : le Conseil tirera les conclusions lors de sa dernière session de l’année2018, mais il apparait déjà que le résultat sera médiocre et incertain. Espérons que la campagne pour l’élection du Parlement européen sera une deuxième chance. La dernière ?
Henri-Pierre Legros
Pour en savoir plus :
Texte de la Résolution adoptée http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2018-0340+0+DOC+XML+V0//FR (EN) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2018-0340+0+DOC+XML+V0//EN&language=EN#BKMD-11
Annexe http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2018-0340+0+DOC+XML+V0//EN&language=EN#BKMD-11 (EN) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2018-0340+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR#BKMD-11 (FR)