L’Europe doit briser certains tabous afin de se réapproprier un certain vocabulaire laissé trop longtemps aux mains de ceux qui en détournent le sens : la fonction originale. En effet, elle doit se réapproprier tout le débat autour des questions de souveraineté nationale, de frontière et de justice sociale. La récupération faite par ceux qui s’en lavent les mains avec n’a que trop duré. La priorité pour les mouvements populistes européens qui pullulent au fur et à mesure que le temps passe, ce n’est pas en priorité une sortie imminente de leur nation du cadre de l’Union européenne. En effet, les récentes négociations entre Theresa May et les dirigeants de l’UE tendent à éclairer les autres “exiteurs” des méfaits d’un tel processus. Tenter d’imiter les Britanniques c’est se risquer à une sortie longue et douloureuse, parsemées par des négociations allant souvent dans l’impasse, sans compter de fortes conséquences économiques dues au changement de marché. D’autre part, la porte de sortie de l’UE n’est pas nécessairement pour les populistes une issue de secours. Effectivement, c’est une option qui est loin d’être majoritaire dans les sondages et qui n’est pas une mesure très populaire. En France, les pro Frexit sont minoritaires et l’ambiguïté autour de l’agenda du procédé et des éventuelles répercussions à l’avenir empêche cette mesure de faire partie d’un programme politique populiste solide, le Rassemblement National aux dernières élections présidentielles de mai 2017 en a grandement fait les frais. Sa position ambiguë autour de la raison et des modalités de sortie de l’UE est associée à une schizophrénie interne sur le fait de sortir de la monnaie Euro ou non (finalement l’éviction de Philippot après le naufrage du FN ramènera Marine Le Pen à se consacrer d’avantage aux vieilles lunes anti immigration de son père).
Donc, la priorité des populistes pour faire tomber l’UE est de commencer par tacler la perméabilité des frontières de l’UE ainsi que la concurrence déloyale entre les différentes régions économiques: en d’autres termes, retrouver la maîtrise des frontières et appliquer un certain protectionnisme. Emmenés à l’étranger par des modèles tels que Donald Trump ou Jair Bolsonaro, la reconquista européenne par le populiste arborant ce même type de discours prolifère de plus en plus entre la France, la Belgique, la Hongrie, la Bulgarie, la Pologne, l’Italie, et même maintenant, de plus en plus en Allemagne au Danemark.
Les forces européennes, doivent se réapproprier la confiance des citoyens à propos de la monnaie unique en cessant de la défendre via le seul argument qu’une sortie de celle-ci provoquerait une catastrophe. Préconiser un drame comme seule ligne de défense ne présage pour autant rien de meilleur pour l’avenir. Il ne faut plus continuer à faire des louanges sur ce que nous ne serions pas sans l’euro, mais bien par fixer un nouvel horizon qui pourrait permettre à l’euro de passer un nouveau cap tout en corrigeant ses anomalies. Le chantage à la menace apocalyptique en cas de dissolution de l’euro a tout son sens. Toutefois, Il devient de plus en plus inaudible par les temps qui courent. En cause, ce discours marque de moins en moins les esprits tourmentés par les ondées populistes qui martèlent perpétuellement que le protectionnisme et le contrôle de sa propre devise relanceraient l’activité économique nationale et feraient baisser le chômage.
Les conséquences du Brexit ne sont pas encore toutes révélées, ce qui empêche de dresser catégoriquement un bilan d’une sortie d’un pays de l’UE. De plus, il n’est pas certain qu’en prenant un cas particulier, les mêmes dispositions s’appliqueront pour les autres pays. En revanche, les discussions autour des solutions vers la sortie du Royaume-Uni peinent à avancer. En témoignent les questions soulevées par l’impact financier et psychologique qu’engendrent les négociations autour de la question de la création d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et l’Irlande. En effet, l’Irlande étant reliée au marché britannique, les règles unilatérales de l’Organisation Mondiale du Commerce impliquent de nouveaux dispositifs douaniers. Le bras de fer s’est intensifié entre l’UE et le Royaume-Uni et c’est pourquoi les derniers pourparlers en date se sont soldés par un échec.
Pour Aodhan Connolly, directeur du Northern Ireland Consortium (NIRC), le risque est de voir apparaître un certain nombre de retards dans les transactions à venir à la suite de cette séparation. Ensuite, après les retards, viennent les coûts. A terme, ce sont les consommateurs nord-irlandais qui seront impactés par une baisse notoire de leur pouvoir d’achat. De même les petites et moyennes entreprises qui emploient pour 90% d’entre elles moins d’une vingtaine d’employés. Sur des entités d’un tel volume, l’impact négatif aurait un effet quasi immédiat sur la pérennité de ces entreprises.
Mais le Brexit ne vient pas fragiliser seulement les échanges commerciaux entre les “deux” Irlande. Il vient également souffler sur les braises exsangues d’un conflit qui opposait il n’y a encore pas si longtemps les républicains catholiques aux loyalistes unionistes protestants. La paix ayant été conclue depuis environ le début des années 1990, une tension existe toujours bel et bien et reste encore fortement imprimée dans les esprits celtes. L’issue du conflit consacrait un accord encore aujourd’hui en vigueur : “l’accord du vendredi Saint”. La Commission européenne reste attentive au maintien de la paix dans la région. Par exemple, le projet “Peace” ou encore le programme “Interreg” qui sont des programmes veillant à soutenir la coopération transfrontalière. Pourtant, la réalité promet de ne pas rendre les choses si aisées. Il nous faut souligner que les complications attendues n’auront jamais la même ampleur que si elles s’exerçaient sur la même population d’il y a quarante ans. En effet, les us et coutumes ont suffisamment changé depuis ce temps. Notamment au niveau des valeurs chrétiennes et des valeurs sociales ainsi que du pouvoir contestataire et conservateur dû à la forte implantation religieuse.
En l’espèce, le référendum qui s’est tenu récemment à propos de la légalisation de l’avortement en Irlande n’aurait pas pu passer il y a encore quelques décennies. Les mentalités de la jeunesse irlandaise d’aujourd’hui sont radicalement différentes de celles de leur propres grands-parents. L’ouverture sur le monde par le biais de la mondialisation et des valeurs humanistes et libérales a transformé nombre de sociétés traditionnelles en Europe et dans le monde. Ce n’est pas une disparition totale car la religion reste malgré tout un point d’appui culturel et identitaire très fort, à défaut d’être cultuel. Culturellement, les actifs catholiques deviennent très minoritaires.
Les programmes européens ont beaucoup aidé les anciens combattants de la guerre en Irlande du Nord, un conflit ayant fait tout de même quelque 3500 morts.
Aujourd’hui, la violence est à son plus faible seuil, mais elle existe toujours et les rivalités entre communautés sont vives. L’Union européenne devra rester attentive à cette zone tant que la mine ne sera pas totalement désamorcée. Les nouvelles conditions économiques fragiles ainsi que les éventuelles frustrations nationales nourrissent le populisme en Europe. Le populisme est l’expression d’une colère, celle de ceux qui sont soit laissés pour compte, soit le fruit d’un échec, le Brexit étant surement l’échec le plus considérable dans l’histoire de l’UE, celui du retour en arrière voulu par les classes dégradées.
Victor Gardet
Pour plus d’information:
Agence Europe : Bulletin Quotidien Europe N°12117/2 et N°12117/3
La Libre Belgique: Le populisme prend sa source à Bruxelles
France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-a-moudre/du-grain-a-moudre-du-mercredi-10-octobre-2018
Libération: https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Brexit-coince-encore-frontiere-irlandaise-2018-09-21-1200970607