Les montées des violences néofascistes inquiètent le Parlement européen et de son côté Emmanuel Macron alerte : « Les démons anciens ressurgissent ».
Le front Macron-Merkel face à Trump saura-t-il résister ? « Serions-nous aujourd’hui capables d’approuver la Déclaration universelle des droits de l’homme ? Je n’en suis pas si sûre » (Angela Merkel). Le passé doit nous permettre de mieux comprendre notre présent et d’en saisir, alors qu’il en est encore temps, tous les dangers.
Le Parlement européen, dans sa dernière session plénière de novembre, vient de condamner vigoureusement « les montées des violences néofascistes ». En faisant une allusion au fascisme et à la période des années 1930, le Parlement européen vient de franchir une ligne que personne n’avait osé franchir, sauf le journaliste Lorenzo Consoli qui, dans « Sauvons l’Europe », avait admis, et en visant l’Italie, qu’il s’agissait bel et bien de fascisme. Propos relevés par personne, malheureusement. Cette fois, le mot « fascisme » a bel et bien été prononcé et la résolution de condamnation a été votée à une très forte majorité par le Parlement européen, une institution que l’on peut critiquer mais dont on ne peut mettre en cause le caractère éminemment démocratique tant par son mode d’élection que par son fonctionnement.
Une élaboration difficile, une adoption mouvementée
Paradoxalement, l’élaboration de la résolution fut laborieuse et son adoption mouvementée, de nombreuses et rudes polémiques surgissant à chaque instant alors que la résolution a été acquise à une très grosse majorité. Le projet de texte initial soumis aux voix était beaucoup plus général que la version initiale des groupes S&D, ADLE, VERTS/ALE, GUE ; les trois groupes ont soumis 13 amendements pour rétablir certaines références à des agressions spécifiques du seul fait de certains groupuscules, clairement désignés. Ces amendements ont tous été adoptés. En revanche, l’amendement visant à faire la liste des causes profondes de la montée de l’idéologie et des groupes néofascistes a été rejeté à deux voix près. Dommage, c’est une défaite importante qui donne une tonalité velléitaire à une résolution méritant mieux. Le suivi qui sera concrètement donné à cette résolution n’en prendra que plus d’importance.
La principale différence par rapport au texte initial des groupes S&D, GUE/NGL, VERTS/ALE, est qu’il listait tous les actes concrets de ces dernières années afin de montrer l’ampleur du phénomène. Cependant, le texte d’une dizaine de pages contient un peu moins de 40 considérants mentionnant des cas concrets d’agressions commis par des mouvements néonazis, fascistes ou d’extrême droite partout dans l’UE. Des difficultés de rédaction et des incidents de séance ont surgi lorsque le collaborateur nazi et chef d’Etat hongrois, Miklos Horty (1868-1957), a été qualifié, notamment par Viktor Orban, « d’homme d’Etat exceptionnel ». D’une façon générale, le texte condamne et s’alarme de la normalisation de ces idéologies et des autres formes d’intolérance au sein de l’Union européenne ; il en dénonce l’impunité et réclame que justice soit rendue dans plusieurs affaires. Est reprise toute une série de recommandations : une législation consolidée de l’anti-discrimination, des plans nationaux d’action contre les menées fascisantes, racistes et xénophobes ou encore la mise en place de programmes de sortie pour aider les personnes à quitter les groupes néofascistes et néonazis violents.
Par rapport aux groupes en pointe (S&D, Verts/ALE, GUE/NGL), d’autres ont voulu faire entrer dans le texte leur réserve et leurs hésitations : le PPE ne voulait pas trop de références à des faits précis ; le CR (droite conservatrice) voulait un texte ultra court et une définition de « néofascisme » et proposait que le terme de « néofasciste » désigne des opinions d’extrême droite qui incluent le nationalisme extrême, les opinions racistes et « opinions semblables à celles défendues par le partie national fasciste en Italie entre les années 1920 et 1943 ». Le groupe ENL (alliés de Marine le Pen) voulait que le texte mette en garde contre le fait que le terme « fascisme » est trop souvent utilisé pour discréditer l’opposition quelle qu’elle soit. Ce groupe a tenu à ce qu’on souligne que la critique d’institutions politiques, d’idéologies ou de religions n’est pas en soi une manifestation de fascisme, de xénophobie ou de discours de haine. Evidemment, l’extrême droite a eu beau jeu de jouer sur le fait que la frontière entre l’expression d’une opinion et la condamnation d’une blâmable opinion condamnable peut être difficile à établir et justifier ainsi de refuser toute tentative de cerner le problème. Et d’en approfondir, par le débat, les racines.
Il est à noter que le texte met en garde contre l’assimilation du patriotisme au nationalisme extrême : le premier traduisant la fierté d’appartenir à une nation, « tandis que le second véhicule un sentiment de haine envers tous les autres ». Il rejoint ainsi les propos que le président Macron n’a cessé de marteler dans tous ses discours récents, notamment à l’occasion de la commémoration du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale.
L’important : la mise en œuvre future de la résolution
Dans l’ensemble, les intentions des trois groupes (S&D, VERTS/ALE, GUE/NGL) ont été respectées et l’on ne peut que renvoyer à la lecture du texte de la résolution (cf. Pour en savoir plus). Ce qui compte sera la mise en œuvre concrète de la résolution et plus particulièrement la mise en œuvre des mesures qui préviennent, anticipent et sanctionnent les actes dénoncés.
Vers un retour des années 30 ?
Cette montée de violences d’un autre âge, sa dénonciation et la référence à une période précise de notre histoire, les années 30, sont depuis quelques années un rituel, même s’il est contesté, au point de devenir une controverse érudite entre spécialistes de cette funeste période. Cette évocation des années 1930 comme le vote du Parlement européen appelle à être lucide et à résister, un appel que le président Emmanuel Macron vient de reprendre à son compte, suivi par d’autres.
En effet, dans un entretien au journal Ouest-France publié le 31 octobre, Emmanuel Macron s’est dit frappé par la ressemblance entre la situation d’aujourd’hui et celle des années 1930 : « Dans une Europe qui est divisée par les peurs, les replis nationalistes, les conséquences de la crise économique, on voit presque méthodiquement se réarticuler tout ce qui a rythmé la vie de l’Europe de l’après-Première Guerre mondiale à la crise de 1929 ( …) Il faut l’avoir en tête, être lucide, savoir comment on y résiste (…) en portant la vigueur démocratique et républicaine (…) Aujourd’hui, l’Europe est face à un risque : celui de se démembrer par la lèpre nationaliste et d’être bousculée par des puissances extérieures et donc de perdre sa souveraineté . C’est-à-dire d’avoir sa sécurité qui dépende des choix américains et de ses changements, d’avoir une Chine de plus en plus présente sur les infrastructures essentielles, une Russie qui est parfois tentée par la manipulation, des grands intérêts financiers et des marchés qui parfois dépassent la place que les Etats peuvent prendre ».
La gravité de la mise en garde est évidente. Cela ne relève pas de la pure stratégie politique de reconquête par Emmanuel Macron des voix françaises ou de celles d’autres pays dont il aurait besoin et qui feraient défaut pour asseoir son leadership en Europe, l’appui d’Angela Merkel faisant désormais défaut. Ce thème a été repris et amplifié dans le discours de l’Arc de Triomphe du 11 novembre.
Faut-il se méfier de cette approche ? Des esprits réfléchis comme le politologue Dominique Reynié invite à prendre ses distances avec la vision d’Emmanuel Macron selon laquelle les prochaines élections européennes opposeraient les « progressistes » aux « conservateurs nationalistes ». Jamais, argumente-t-il dans le Figaro du 26 octobre, les ennemis de l’Union européenne n’ont eu à ce point « le sentiment de toucher au but de mettre à bas la construction européenne ; et cependant, jamais, je le crois, les peuples d’Europe n’ont été plus sérieusement, plus gravement attachés à l’Union (…) L’hypothèse d’un repli nationaliste procède d’une erreur d’interprétation. Il n’y a pas de demande de repli nationaliste, mais une demande de protection, de régulation politique, de contrôle du cours des choses. C’est une demande qui en appelle à la puissance publique et qui ne heurte pas l’idée européenne. C’est en refusant de répondre à cette demande éminemment légitime et recevable que l’Union finira par conduire les Européens à revenir, la mort dans l’âme, au dogme nationaliste »
L’Europe fait toujours recette dans l’opinion publique européenne. Plus que jamais sans doute.
Ces propos rejoignent les expressions plusieurs fois renouvelées de l’Institut Jacques Delors ou les données des sondages de l’Eurobaromètre. La dernière enquête, en septembre 2018, révèle une claire et croissante appréciation de l’adhésion de leur pays à l’UE avec un taux record, depuis 25 ans, de 68%. L’Eurobaromètre reconnait que pour une majorité de citoyens il reste encore beaucoup à faire, surtout en matière de solidarité et de coopération. On n’y perçoit pas de vraie colère contre l’Europe mais des attentes exigeantes et certainement pas moins d’Europe, mais plus.
Le bon sens a conduit une grosse majorité d’Européens à être consciente de la faiblesse de ses moyens, à repousser l’idée d’agir seul, séparément, et de ce fait, l’opinion publique européenne reste attachée dans une assez forte proportion à l’Union, considérée comme notre ultime condition pour survivre dans la grande bataille des politiques de puissances (Etats-Unis, Chine, Russie, etc.).
L’objet de notre propos est autre : c’est celui du fonctionnement de nos démocraties et de leurs dérives. L’argumentation de Dominique Reynié ne tient pas si des forces populistes, voire fascistes, bloquaient le fonctionnement normal des institutions ou prenaient le pouvoir ou l’influençaient durablement dans une majorité de pays (nous en sommes à sept pays identifiés comme tels, à ce jour, en Europe). Sur ce point l’avertissement d’Emmanuel Macron est donc à prendre au pied de la lettre avec la plus grande détermination. Penser le contraire, c’est faire preuve de légèreté, comme les oppositions en France lorsqu’elles voient dans ces propos une exagération, une dramatisation lourdement chargée d’arrière-pensées politiques.
Après Emmanuel Macron, c’est au tour de l’ancien Président, François Hollande, de dénoncer la vague populiste qui gagne dans de nombreux pays. Il a mis en garde contre « le moment très grave pour la démocratie que constitue la vague populiste actuelle. Il faut qu’il y ait conscience que la France n’est pas à l’abri de ce phénomène, de cette vague, de ce mouvement où des personnages qui veulent être dans le dégagisme, qui veulent être dans un rapport direct au peuple, peuvent arriver aux responsabilités suprêmes du pays (…) Il ne faut jamais croire que la démocratie peut être irréversible (…) Qui aurait pu penser qu’un milliardaire américain n’ayant jamais exercé la moindre fonction publique, le moindre mandat au Congrès, puisse devenir le président des Etats-Unis ? (…) Il faut qu’il y ait conscience que nos institutions ne nous immunisent pas contre ce type de personnage. »
A son tour, Jean-Louis Debré, ancien Président du Conseil constitutionnel, a attiré l’attention en déplorant « le fait qu’aujourd’hui, ni la gauche, ni la droite républicaines n’incarnent une espérance pour les Français (…) Pour empêcher l’arrivée d’un homme providentiel, il faut que les partis politiques aient quelque chose à dire (…) Comme ils n’ont plus rien à dire (…), alors on se tourne vers un personnage qui vient de nulle part ou d’ailleurs et qui va se frayer un chemin sur les décombres des partis traditionnels. »
Ce n’est pas par hasard ou par accident que Donald Trump ou Jair Bolsonaro sont arrivés au pouvoir ! Ces élections ont été préparées par des évolutions qui se sont étalées sur plusieurs décennies et dans tous les domaines : politique, social, culturel et économique. L’accroissement des inégalités joue son rôle, tout comme le fait que les classes moyennes se sont senties trahies, que l’égalité des chances est bafouée, les possibilités d’ascension sociale sont réduites, le rôle de distributeur et de régulateur de l’Etat est amoindri, etc. Cette simple énumération, incomplète, donne la mesure du problème qui ne doit pas permettre que le débat se réduise à une polémique réductrice, pour ne pas dire une polémique politicienne. L’heure est grave, y faire face ne consiste pas à ignorer ou minimiser le danger.
« On est en train de jouer à 50 nuances de brun en Europe ! »
C’est l’avertissement de Nathalie Loiseau, la ministre française des affaires européennes. Elle s’interroge : « Faut-il continuer de regarder ailleurs et d’affirmer que ce n’est pas grave ? Ce ne sera pas mon cas. Ce ne sera pas celui d’Emmanuel Macron, (…) il faut assumer le clivage entre progressistes et nationalistes (…) Les valeurs de liberté, de démocratie et d’Etat de droit sont en train de s’abîmer, donc il faut se battre (…) Considérer qu’il n’y a pas de problème avec Viktor Orban, qu’il peut continuer à siéger au sein du PPE alors qu’il contredit les valeurs européennes (…), les enjeux européens sont plus forts que jamais. Or il y a une déconnexion entre les populations européennes et les décisions prises par les institutions européennes ». Or, face au boycottage des consultations citoyennes, doit-on estimer qu’interroger les citoyens est dangereux ? Pour les populistes, parler au nom du peuple mais ne pas l’interroger, est-ce tenable à la longue ? Pour clôturer un débat qui risque de se prolonger inutilement, oui ou non, sommes-nous revenus aux années 1930 ? Répondons avec mesure avec l’historien Justin Vaïsse, actuellement et depuis cinq ans président du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du Quai d’Orsay et président du Forum sur la paix (11-12 novembre) de Paris : « il existe des résonances troublantes avec les années 1930 ». Cela ne veut pas dire que les deux périodes se ressemblent mais que tous les ingrédients d’une montée des périls sont bien là et, dans les deux cas, hier comme aujourd’hui, les Etats-Unis sont absents.
Les démons anciens ressurgissent
Sous le regard en apparence impassible de Trump et Poutine, Emmanuel Macron a mis en garde contre « les démons anciens qui ressurgissent » et s’est affirmé fervent partisan de la coopération qui est bonne pour tout le monde, à la différence d’une approche unilatérale et de la loi du plus fort, « probablement notre plus grande différence » avec Trump, a poursuivi en sous-entendu Emmanuel Macron. Et de façon très explicite il a placé « la paix plus haut que tout ». Peut-être qu’avec ce Forum international pour la paix qu’il a voulu et organisé et qui doit se renouveler chaque année, aurons-nous un forum idéal pour parler du multilatéralisme et des intérêts collectifs, de la gouvernance mondiale et des projets retenus qui pourront bénéficier d’un accompagnement spécial de la communauté internationale, peut-être… Mais malheureusement on est restés muets sur les conflits actuellement en cours, certains particulièrement tragiques. Dommage, alors qu’on a réussi à rassembler autant de chefs d’Etat dans une période d’une aussi grande tension !
L’Union européenne en chef de file du camp de la paix ?
« Les démons anciens ressurgissent, prêts à accomplir leur œuvre de chaos et de mort. Des idéologies nouvelles manipulent des religions, prônent un obscurantisme contagieux, l’Histoire menace parfois de reprendre son cours tragique et de compromettre notre héritage de paix que nous croyions avoir définitivement scellé du sang de nos ancêtres. » (Discours de l’Arc de Triomphe du 11 novembre 2018).
Faut-il dire que le mieux que nous ayons à espérer est que les choses ne vont pas empirer, tant il est vrai qu’au cours de ces dernières années nous avons espéré que les choses allaient s’améliorer après un passage difficile, espoir finalement déçu ?
Conclusion : « La démocratie doit être protégée » (Parlement européen)
Lors de sa dernière session, le 14 novembre, le Parlement européen a réitéré sa demande d’un mécanisme de suivi « global, permanent et objectif » pour protéger les piliers démocratiques dans l’Union. Ce mécanisme ambitieux de contrôle sur l’Etat de droit est « plus urgent que jamais ». L’UE en a besoin. Le Parlement européen appelle donc le Conseil à « vraiment assumer son rôle institutionnel », qu’il s’agisse des procédures en cours (Pologne, Hongrie) ou qu’il s’agisse des procédures d’infraction en nombre très élevé engagées contre plusieurs Etats membres dans le domaine de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté. Ajoutons que, très récemment, des préoccupations sont apparues et vont croissant, concernant Malte, la Slovaquie et la Roumanie. Cet appel du Parlement européen, il est difficile d’en imaginer un qui serait plus clairvoyant et plus engageant.
Pour en savoir plus :
Résolution du Parlement européen sur la montée des violences néofascistes
FR http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2018-0428+0+DOC+XML+V0//FR
Enquête Eurobaromètre
http://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20181016IPR16213/effet-brexit-l-eurobarometre-revele-que-l-ue-est-plus-appreciee-que-jamais
Déclaration conjointe du Forum de Paris sur la paix
http://www.elysee.fr/declarations/article/declaration-conjointe-forum-de-paris-sur-la-paix/
Transcription du discours d’Emmanuel Macron au Forum de la Paix de Paris
http://www.elysee.fr/declarations/article/transcription-du-discours-du-president-de-la-republique-au-forum-gouvernance-internet-a-l-unesco/
Transcription du Discours du Président de la République lors de la Commémoration du Centenaire de l’Armistice
http://www.elysee.fr/declarations/article/transcription-du-discours-du-president-de-la-republique-lors-de-la-commemoration-du-centenaire-de-l-armistice/