La crise financière de 2008 a touché d’abord et notamment les pays européens du sud. Deux exemples caractéristiques où les gouvernements ont dû adopter des mesures d’austérité sont ceux de la Grèce et de l’Italie. Mais à quel prix?
Les conséquences de l’austérité en Grèce
Il est sans contestation que le cas le plus poussé est celui de la Grèce. Le pays présentait une dette publique très élevée. En 2010, il sollicite l’aide de l’UE et bénéficie d’un plan de sauvetage. Néanmoins, cette aide a un prix à payer. Les créanciers de la Grèce exigent que le gouvernement adopte une série de mesures d’austérité et de réformes administratives et fiscales. Ces mesures, votées par le gouvernement grec sous un état d’urgence ne font qu’aggraver la situation du pays et du peuple grec, au détriment des droits fondamentaux.
Les mesures adoptées dans leur ensemble ont provoqué une violation des droits sociaux et syndicaux des citoyens grecs. Plus précisément, le domaine de la fonction publique est le premier touché par des réformes et diminutions budgétaires assez strictes, comme la baisse des salaires de fonctionnaires et la suppression de leur 13ème et 14ème mois de salaire. Les fonctionnaires ont vu leurs salaires d’abord geler puis baisser chaque année pendant ces dix années de la crise. Mais le secteur privé est également touché. De modifications de la loi syndicale et notamment l’abolition du recours à l’arbitrage et la médiation quant à la conclusion des conventions collectives ont exposé les salariés aux risques concernant les relations et conditions de travail. De plus, les entreprises se sont retrouvées de plus en plus en difficulté à payer leurs salariés, vu la situation financière du pays et l’augmentation de leurs dépenses. Ils procèdent ainsi aux diminutions drastiques du personnel et baissent les salaires. Le taux du chômage du pays, s’élevant à 19%, reste parmi les plus élevés dans l’UE et crée un important risque d’exclusion sociale, surtout pour les jeunes. L’impact des mesures d’austérité sur les droits du travail était radicale. Afin de faire face à lesdites réformes et exprimer leur mécontentement, de milliers de travailleurs du secteur public et privé ont eu recours au grève et aux manifestations, étant leur seul et dernier moyen contre la violation de leurs droits, mais en vain. Le gouvernement, en invoquant l’état d’urgence et l’instabilité financière du pays, ne fait que continuer à imposer de mesures de plus en plus strictes.
De modifications de la loi syndicale et notamment l’abolition du recours à l’arbitrage et la médiation quant à la conclusion des conventions collectives ont exposé les salariés aux risques concernant les relations et conditions de travail.
Certes, toutes ces mesures ne laissent pas indifférentes les institutions européennes de la sauvegarde et de la protection des droits fondamentaux. Par exemple, le Comité des droits sociaux du Conseil de l’Europe a constaté des violations de la Charte Sociale Européenne par des mesures prises par le gouvernement grec. D’autre côté, la Cour Européenne des Droits de l’Homme reste plus réticente dans l’affaire Koufaki et ADEDY contre Grèce. En particulier, dans cette affaire, portant sur la diminution des salaires des fonctionnaires grecs et la suspension du 13ème et 14ème mois de pension, la CEDH a considéré les requêtes introduites irrecevables en jugeant que les mesures adoptées par le législateur grec ne portent pas atteinte au principe de proportionnalité parce qu’elles répondent à un but légitime et sont nécessaires et appropriées pour que ce but soit atteint.
Toutefois, ce ne sont pas seulement les conditions de travail qui sont menacées. Le domaine de la sécurité sociale est le deuxième à être touché. En particulier, d’un part, les cotisations de sécurité sociale ont augmenté, et, d’autre part, les retraites sont réduites. Dès lors, les salariés ont dû faire face aussi à cette charge, malgré le fait que l’état grec diminuait de plus en plus les prestations de sécurité sociale ainsi que celles liées aux soins de santé. Le budget étatique consacré aux soins de santé est diminué plus que la moitié. Les conditions dans les hôpitaux se sont détériorées et l’accès aux soins de santé est considérablement limité parce que les citoyens grecs, après toutes ces mesures qu’ont dû subi, sont arrivés à considérer leurs soins comme un privilège. De l’autre côté, les retraités, malheureusement aussi victimes de l’austérité, se sont retrouvés en grande difficulté de couvrir leurs besoins et de continuer leur vie en dignité. Dans une période de leur vie où les problèmes ne manquent pas, ils sont sortis dans les rues et manifester contre la violation de leurs droits de sécurité sociale et l’insécurité pour le lendemain.
Le budget étatique consacré aux soins de santé est diminué plus que la moitié.
Au delà des conséquences au niveau juridique et financier, l’impact le plus important se situe au niveau de la qualité de vie et du moral du peuple grec. Tant les jeunes que les personnes âgées vivent sous un état d’incertitude et de stress concernant l’avenir financier du pays. La Grèce est devenu un pays bipolarisé et démoralisé après toutes ces réformes et mesures adoptées en urgence. Cet état de dépression et de risque d’exclusion sociale à amené de plus en plus de jeunes à quitter leur pays à la recherche d’un avenir meilleur à l’étranger. Bien pire, la dépression et le désespoir ont augmenté le nombre de suicides. De plus, le pays fait face à un grave problème démographique. Malgré le retour du pays en 2014 sur les marchés financiers, il a toujours des difficultés à obtenir son autonomie et l’austérité est passé d’une étape urgente et temporaire à une situation constante.
Malheureusement, lesdites mesures d’austérité, au lieu d’améliorer la situation économique du pays, ont fait exploser la crise et ont épuisé le peuple grec. Le peuple n’a plus ni les capacités financières ni le moral pour faire face aux mesures d’austérité d’urgence portant atteinte aux droits fondamentaux. La Grèce est l’exemple caractéristique que la solution à la crise ne doit pas être cherchée à l’austérité, mais ailleurs.
Le lien de cause à effet entre l’austérité et le populisme italien
Quant à l’Italie, elle aussi a été confrontée à une série de mesures d’austérité suite à la crise financière de 2008. Celles-ci ont été adoptées par Mario Monti, devenu Premier Ministre par la volonté de l’ex Président de la République italienne Giorgio Napolitano. Monti est arrivé aux commandes du pays il y a sept ans : le but que le « Professeur » voulait atteindre était de récupérer la confiance des marchés internationaux. Pour y arriver, il a durci les normes à propos des conditions de départ à la retraite, par la célèbre et contestée loi « Fornero », et a augmenté les impôts, affectant de manière considérable la population. Face aux protestations virulentes de la part des citoyens, Monti et son équipe d’experts invoquaient, à partir de 2012, l’article 81 de la Constitution italienne. Selon le premier alinéa, l’État italien doit assurer son équilibre budgétaire, tenu compte des différentes phases du cycle économique.
L’obligation d’atteindre l’équilibre budgétaire découle du « Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire », entré en vigueur en janvier 2013, dont l’objectif primaire est de stabiliser la zone euro . En mettant en relation l’Union européenne et l’austérité de son gouvernement, Mario Monti a suscité, en Italie, un sentiment de rébellion et de méfiance à l’égard de l’Europe, ce qui a été très bien exploité par certaines nouvelles forces politiques. C’est ainsi que le Mouvement 5 Étoiles a commencé à gagner du pouvoir : ses membres ont souvent accusé les institutions de l’UE de soutenir les intérêts des banques et de la finance internationale, au détriment des citoyens européens. En 2018, suite à l’échec de Matteo Renzi, ils se sont imposés sur la scène politique nationale. Soutenus par un parti complémentaire (la « Lega Nord »), les 5 Étoiles ont inséré dans un document officiel, la « Note de mise à jour du Document d’économie et finance », des mesures opposées à celles adoptées par le gouvernement de Monti. Le Document d’économie et finance (ou DEF) est un instrument de programmation économique, utilisé par l’État italien pour planifier ses dépenses et investissements futurs. En ce qui concerne la partie du DEF qui décrit la programmation budgétaire, elle mentionne notamment l’introduction : du « Revenue de citoyenneté » (un revenu minimum garanti aux citoyens italiens remplissant certaines conditions) ; de règles sur la retraite anticipée ; de bénéfices fiscaux, prévus dans le but de réaliser la « flat tax » (fondée sur l’existence d’un taux unique). Ces mesures constituent la base d’une législation visant à détruire l’ancien régime de l’austérité, pour renforcer l’État-providence.
C’est ainsi que le Mouvement 5 Étoiles a commencé à gagner du pouvoir : ses membres ont souvent accusé les institutions de l’UE de soutenir les intérêts des banques et de la finance internationale, au détriment des citoyens européens.
Du point de vue juridique, s’il est vrai qu’un tel document s’oppose à l’article 81 de la Constitution italienne, précité, il en est de même vrai qu’il mette en œuvre son article 3, selon lequel tous les italiens ont la même dignité sociale et ils sont égaux devant la loi ; de plus, l’État italien est obligé d’éliminer tout facteur économique et social limitant l’épanouissement de la personne humaine. D’ailleurs, le problème principal qui se pose au sujet de l’austérité est précisément sa compatibilité avec le droit fondamental de l’homme de mener une existence digne. En d’autres mots, les mesures découlant du Traité sur la stabilité adhèrent à une partie de la charte constitutionnelle italienne, mais elles en violent une autre, c’est-à-dire, celle qui se réfère au principe d’égalité substantielle comme garantie de dignité : les partis populistes nationaux tirent avantage d’un tel paradoxe juridique, pour obtenir encore plus de voix. Il reste à savoir si l’État-providence deviendra une réalité, ou plutôt un simple manifeste électoral. Cela dit, l’Europe devrait peut-être s’interroger plus sur la possibilité de mettre en balance le droit de vivre dignement et l’obligation des États de réaliser l’équilibre budgétaire. Il serait ainsi possible d’offrir aux citoyens, italiens et européens, d’autres options à côté de la solution populiste.
Conclusions
En définitive, il convient d’affirmer que soit en Grèce soit en Italie l’austérité a mis en danger les droits fondamentaux des citoyens; en outre, de telles mesures ont constitué, notamment en Italie, la base de mouvements populistes et anti-européens. La crise économique et l’austérité qu’elle provoque épuisent les citoyens et risquent, ainsi, de déstabiliser la cohésion dans les États membres.
Roberta Bendinelli et Marina Tsikintikou
Marina Tsikintikou est diplômée d’un Master en Droit Pénal de l’UE de l’Université de Strasbourg. Roberta Bendinelli est doctorante en Sciences juridiques auprès de l’Université de Strasbourg et de l’Université de Sassari.