Nouvelle année, le temps de la rétrospective ! Il est grand temps que 2018 s’achève.
Que la page se tourne au plus vite pour un monde meilleur, espère-t-on ; ce souhait est rituellement répété à pareille époque lorsque l’année s’achève mais cette année, ce souhait est largement contrebalancé par la perspective de l’année 2019, année des grands périls ? année de tous les dangers pour l’Europe ?
L’économie ne va-t-elle pas baigner dans un pessimisme mondial permanent ? L’année 2019 devient une année redoutée au point de vouloir la différer au moins dans son subconscient. Rien ne va plus, constate-on avec incrédulité et stupeur. Un regard rapide jeté sur l’Europe et le monde nous révèle que le sentiment d’une conscience commune et la perspective d’une réponse solidaire qui prévalaient plus ou moins jusqu’à maintenant, disparaissent. Un sentiment diffus apparemment détruit. Tout ce qui visait à mettre un peu d’ordre, à donner un peu de sens, est saboté. Une équipe de démolisseurs est à l’œuvre, les chefs de chantiers sont bien connus, tout particulièrement le premier de la liste : Donald Trump. Néanmoins, il n’est pas le seul.
L’année s’achève avec la poursuite de tous les conflits existants. Le terrorisme, contenu avec peine, se poursuit lui aussi, semant la mort et la peur. Concernant l’état de santé de notre planète, les gouvernements semblent bien impuissants pour lutter contre les effets croissants du réchauffement climatique et peinent à promouvoir un mode de vie soucieux de l’avenir de la Terre. Tout ces évènements peuvent sembler désespérants mais l’année a été marquée aussi par des faits positifs et c’est ce parti qu’a notamment choisi de retenir le journal La Croix : il n’a voulu retenir que les faits positifs sans vouloir faire taire les inquiétudes, ces « bonnes nouvelles » qui rendent le monde plus supportable. Et ce même journal de les passer en revue : les succès sportifs qui sont au rendez-vous, les succès de la lutte contre les pesticides et surtout contre le glyphosate si nocif pour les hommes et les abeilles, une victoire judiciaire historique appréciable. Autre succès notable selon La Croix : un Nobel pour deux combattants de la dignité des femmes, Nadia Mura et Mukwege. Et nous continuons notre énumération des faits positifs de l’année 2018 en évoquant l’art africain pour lequel vient le temps des restitutions tout en mentionnant également la Calédonie, qui, hier ensanglantée, a cependant accueilli un référendum se déroulant dans le calme et sans contestations. Concernant le Pakistan, Asia Bibi, une chrétienne, échappe à la mort pour blasphème et sort de prison. Par ailleurs, l’Eglise se met à l’écoute des victimes d’abus multiples depuis 1950, l’heure des décisions en la matière approche. Il a aussi été possible d’assister à des avancées appréciables entre les deux Corées, au développement de relations plus paisibles entre l’Erythrée et l’Ethiopie, l’Arménie quant à elle s’offrant une transition pacifique. Si l’on s’intéresse au domaine médical et aux progrès scientifiques et technologiques, nous pouvons notamment relever qu’un paraplégique remarche grâce à des électrodes.
Quant aux citoyens de l’Union européenne, il semblerait que leur attachement à leur patrimoine se renforce. Enfin, attardons-nous sur un pacte signé à Marrakech pour rendre les migrations « plus sûres, ordonnées et régulières » : le « pacte de Marrakech » de l’ONU. C’est un pacte qui recense une série de principes comme la défense des droits humains et celles des enfants ou encore l’interdiction des détentions arbitraires. Rappelons que, selon l’ONU, plus de 60 000 migrants clandestins sont morts depuis 2000 lors de leurs périples. Relevons un autre progrès notable concernant la question migratoire, cette fois en France où le Conseil constitutionnel censure le « délit de solidarité » en décrétant qu’une aide désintéressée au « séjour irrégulier » ne saurait être passible de poursuites, et cela au nom « du principe de fraternité ».
Dans le domaine du numérique, la loi sur la protection des données personnelles et le respect de la vie privée est adoptée; l’Union européenne quant à elle inflige une amende record à Google pour abus de position dominante. Côté finances et économie, relevons que la Grèce sort de son troisième plan d’austérité.
Dans son énumération, le Journal La Croix aurait pu ajouter que, malgré tout et contre tout, l’Europe tient toujours bon ! Nous devons en faire le constat mais cependant, pour combien de temps encore tiendra-t-elle ? L’Europe s’affaiblit et peut-être convient-il de mentionner, pour ne pas l’oublier, que cet affaiblissement est le fait de gouvernements minoritaires nombreux (quatorze gouvernements sur vingt-huit, soit la moitié). Ces derniers sont en effet le produit de coalitions qui voient leur capacité à gouverner et leur stabilité menacées par le recul des partis traditionnels de droite et de gauche et aussi par la poussée des droites radicales, poussée qui empêche la formation de blocs majoritaires stables. Les systèmes politiques européens sont de plus en plus fragmentés au profit des extrêmes, constate le politologue Pascal Delwit. Ce phénomène constitue désormais un fait majeur structurant la vie politique plus que ne le font les votes dits populistes qui sont en croissance forte dans un très grand nombre de pays.
Une rétrospective de l’Europe pour l’année 2018 ? Elle est difficile car l’année 2018 a été particulièrement chaotique comme nous venons de le rappeler mais s’il y a un enseignement positif à retirer, nous rappelle Cécile Ducourtieux, correspondante du journal le Monde à Bruxelles, c’est qu’en Europe le pire n’est jamais sûr. Elle passe en revue plusieurs pays comme l’Italie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, et elle constate que ces pays connaissent tous des difficultés à des titres divers, ce qui les amène à devoir composer : qu’il s’agisse d’Orban, Salvini, Babis, Kacinski, Liviu Dragnea, ou d’autres encore… et tous ces exemples montrent que l’avancée populiste n’est pas forcément une fatalité. Pour peu que « Bruxelles » adopte une position de fermeté et s’y maintienne, Bruxelles parvient à des compromis servant l’esprit des lois dans l’Union européenne, au point d’arracher à Cécile Ducourtieux, qui fait le bilan, ce cri affirmant que nous sommes très loin d’une victoire absolue sur les idées populistes, « mais [que] c’est toujours cela de pris » !
Alain Frachon, éditorialiste du journal Le Monde, fait un constat voisin : l’Europe est à la peine, en plein désarroi, sur fond de montée de la marée de l’ultra-droite europhobe. Elle est en souffrance politique et sans leadership politique. Le leader de la cause européenne, Emmanuel Macron, vient de subir ce que nous avons constaté, Angela Merkel quant à elle est en transition, la croissance économique inquiète. Mais reine des petits pas et demi-mesures, l’Europe a progressé, constate Alain Frachon : la création d’une autorité européenne du travail, un objectif commun de réduction des émissions de CO2, la protection des frontières extérieures renforcée, la cybersécurité à l’ordre du jour, le contrôle des investissements de la Chine pareillement à l’ordre du jour. Aussi, il souligne que personne n’entend renoncer à l’Euro, désormais plébiscité dans les sondages, qu’il y a une progression de l’Union bancaire, que les règles budgétaires sont appliquées dans l’ensemble et qu’enfin, le Brexit est resté sans effet domino. De grands projets mobilisateurs comme la lutte contre le réchauffement climatique, la taxation des Gafa, l’harmonisation fiscale ou les préparatifs aux migrations de demain, l’Europe sociale, etc. n’ont pas encore apporté leur potentiel de séduction dans l’imaginaire des Européens et partant, n’ont su développer une capacité quelconque de mobilisation des citoyens.
Malgré tout, et pour conclure, Alain Frachon est obligé de reconnaître, comme sa collègue Cécile Ducourtieux, que l’Europe est « résiliente, plus solide qu’on ne croit. »
Une rétrospective, même imparfaite, sur l’année 2018 serait incomplète sans quelques considérations sur le phénomène des « gilets jaunes ». Or il faut bien constater que, dans l’eurosphère, ces considérations furent rares et jamais intégrées dans une problématique européenne réfléchie à quelques semaines des élections européennes du 26 mai prochain. L’évènementiel l’a emporté largement. Fait notamment exception Pierre Defraigne qui, dans la Libre Belgique du 21 décembre 2018 a tenté de réfléchir sur le phénomène « pour aider la France à sortir de la crise par le haut ». Ce qu’il faut retenir en premier lieu, c’est que de telles flambées nous menacent tous et, sous des formes diverses, ont déjà atteint plusieurs d’entre nous. C’est un défi pour les 27 Etats: même si les formes de l’anxiété peuvent être différentes, la mise au point d’une parade européenne s’impose. L’enjeu, nous dit Pierre Defraigne, est de concilier la logique capitaliste et la logique de la soutenabilité environnementale. A nous, recommande Pierre Defraigne, de montrer la voie au monde. Climat, géopolitique et régulation du capitalisme sont intrinsèquement liés souligne-t-il. L’Europe détient la clé de l’endiguement de cette vague populiste qu’elle a contribué à susciter par son inaction. L’Allemagne garde des marges importantes pour relancer l’investissement public et soutenir les exportations de ses voisins. Trois choses sont à faire, poursuit Pierre Defraigne : avant tout, relever les salaires réels et soutenir la demande interne dans un mouvement d’ensemble concerté. Mais aussi l’Allemagne, par l’émission d’eurobonds, doit favoriser un grand programme d’investissements technologiques de réindustrialisation à travers toute l’UE et assurer son financement en levant l’impôt sur les opérateurs qui y échappent, ce qui représente 1% du PIB, rappelle Pierre Defraigne, soit l’équivalent du budget communautaire européen actuel. La conclusion tombe, impérative : « nous sommes tous dans le même bateau, car les gilets jaunes sont présents partout en Europe. A problème européen, solidarité européenne. »
A ce stade, une interrogation persiste concernant le rôle des réseaux : au bout du compte, n’est-il pas un piège pour les gilets jaunes ou bien n’est-ce pas la confirmation de ce qu’avançait en février 2017 Mark Zuckerberg le créateur des réseaux sociaux avec Facebook ? Il affirmait que Facebook pouvait permettre « d’établir un nouveau processus pour que les citoyens du monde entier participent à des prise de décisions collectives ». Euractiv, dans un article intitulé « les gilets jaunes pris au piège des réseaux sociaux », semble opter pour une efficacité réduite des réseaux sociaux : les gilets jaunes ont réussi à mobiliser dans la durée mais ont échoué dans le dialogue, ne parvenant pas à créer une structure délibérative de prise de décisions.
Un chercheur, Thierry Vedel, spécialisé dans les relations entre internet et politique, remarque que le géant des réseaux sociaux « ne contribue pas à la prise à la prise de décisions, à la fabrication de consensus à l’occasion de revendications « communes ». « [Facebook] est un journal intime où tout le monde raconte sa vie, commente David Tan, un gilet jaune nantais. Ce n’est pas le moyen idéal, les gens font des choses uniquement parce que c’est écrit, et cela manque parfois de réflexion ». Ce qui amène à nouveau Thierry Vedel à expliquer : « Les réseaux sociaux favorisent l’individualité, ils ne donnent pas le sens du collectif; et il poursuit: « au milieu de ces conflits d’intérêts très forts, de cet éclatement, il sera très difficile de faire des compromis. Et c’est là qu’on a besoin de l’aide d’organisations comme les syndicats. Ils ne sont pas parfaits non plus, ils ont des problèmes de fonctionnement, mais ce sont des machines à produire des revendications collectives. Ils mettent de l’ordre, hiérarchisent, organisent ».
Pour Thierry Vedel, un des problèmes du mouvement des gilets jeunes est, de fait, le manque de représentativité : « C’est un mouvement de masse, mais on a du mal à identifier sa nature. Dès que des porte-paroles émergent, les gens disent qu’ils ne les représentent pas ».
La situation est certainement sérieuse et inquiète des gens avisés comme Antoine de Tarlé qui, dans Slate, constate que le paysage médiatique est bouleversé « de façon irréversible ». Il dénonce une dérive préoccupante de « l’information instantanée (…) relayant sans le moindre recul les propos les plus outranciers de porte-paroles autoproclamés » (…) les nouvelles circulent sans contrôle sur des plateformes et se substituent aux circuits bien réglés des médias traditionnels au sein desquels les rédactions travaillent dans un cadre juridique fixé depuis plus d’un siècle (…) il apparait clairement que des remèdes efficaces doivent être mis au point pour éviter une désintégration complète des modes d’information des citoyens ». Antoine de Tarlé suggère de donner aux présidents des filiales françaises de Facebook, Twitter, Google, un statut qui les rendent légalement responsables des contenus diffusés et de ce fait pouvant faire l’objet de poursuites devant les tribunaux, créant ainsi une jurisprudence solide.
Il est encore trop tôt pour trancher, c’est un phénomène naissant encore effervescent, il faut donner du temps au temps.
« Il est légitime de s’inquiéter, mais il n’y a aucune raison de désespérer de l’Europe » écrivait dans le Monde le 31 janvier 2018 Jean-Claude Juncker.
Henri-Pierre Legros
Pour en savoir plus
– L’année 2018 au Parlement européen https://twitter.com/PEStrasbourg?cn=ZmxleGlibGVfcmVjc18y&refsrc=email
– Europe : ce qu’il faut retenir de l’année 2018 https://www.touteleurope.eu/
– Euractiv : les gilets jaunes pris au piège des réseaux sociaux https://www.euractiv.fr/section/economie/news/les-gilets-jaunes-pris-au-piege-des-reseaux-sociaux/