Une tragédie nationale. Un psychodrame sans fin qui a laissé l’opinion publique britannique stupéfaite, confuse et sans les outils nécessaires pour comprendre ce qui se passe réellement. Ou – particulièrement pour les observateurs continentaux – une délicieuse comédie grotesque, avec ses rebondissements, son scénario de glissement imprévisible, le paysage parfait du parlement de Westminster et une distribution de protagonistes excentriques.
Cette description est en quelque sorte emblématique du pays qui a voté le 23 juin 2016 pour quitter l’Union européenne, en imaginant un avenir de gloire, de richesse et de souveraineté retrouvée. Et qui, au contraire, suscite encore aujourd’hui l’incertitude du monde à cause d’une négociation très compliquée.
Le Brexit promis dans la campagne électorale par Boris Johnson, Michael Gove et Rees-Mogg – celui des 350 millions d’euros économisés par semaine et investis dans la santé publique, celui du pays redevenu une puissance mondiale – s’est révélé être un brutal mensonge. La complexité du processus entamé par l’article 50 du Traité de Lisbonne, qui régit la sortie volontaire des pays membres de l’Union européenne, a révélé l’inadéquation d’une classe politique qui, après le triomphe du vote, s’est retrouvée sans stratégie, sans plan de négociation ni d’idées pour l’avenir du pays. Le manque de préparation des brexiters n’est certainement pas une surprise. Au lieu de mener les négociations, les Britanniques se sont toujours retrouvés à poursuivre la diplomatie européenne, qui avait préparé le scénario du divorce britannique avec beaucoup plus de soin.
La complexité de la sortie de l’UE
Avec plusieurs solutions encore possibles, il n’est pas exagéré de soutenir que, jusqu’à présent, le Brexit a été pour les Britanniques un échec embarrassant, une défaite politique historique, le dévoilement de l’illusion de rester un acteur mondial mais en même temps isolé du continent. Sortir d’un projet multinational tel que l’Union européenne est beaucoup plus compliqué que ne le pensaient les brexiters, et il est évident que la défaite britannique sera un avertissement très efficace pour ces forces politiques – en réalité de moins en moins nombreuses – qui dans d’autres parties d’Europe rêvent de se libérer de l’étreinte de Bruxelles.
Reconstruire brièvement les décisions du gouvernement prises au 29 mars, date butoir pour marquer la sortie de l’Angleterre de l’Europe, peut servir à illustrer l’improvisation avec laquelle Londres a géré et gère encore l’ensemble du processus.
Après deux échecs de son accord en parlement, en janvier et en mars, le 29 mars la Première ministre Theresa May a interpellé le Président de la Chambre des communes et réitéré le même texte devant le parlement pour la troisième fois, privé de la partie sur l’avenir des relations entre Londres et Bruxelles. Et elle a encore perdu. Ainsi, les députés ont pris la situation en main en présentant et en mettant aux voix des propositions (les votes indicatifs – indicative votes) visant à trouver une alternative à soumettre à l’Union européenne et à négocier une nouvelle prolongation du délai fixé pour le Brexit – déjà reporté au 12 avril. Cependant, les huit amendements ont été rejetés.
Trois jours plus tard, quatre autres propositions d’autant de députés ont subi le même sort. Le 2 avril, après une réunion de sept heures avec ses ministres, Theresa May a ouvert au parti travailliste. En substance, elle a proposé au dirigeant Jeremy Corbyn de discuter d’un plan alternatif à proposer à Bruxelles, afin de disposer de plus de temps et d’éviter une sortie sans accord. Le soir même, la Chambre des communes a rejeté l’hypothèse de la tenue de nouveaux votes indicatifs et a approuvé rapidement un projet de loi bipartisan afin d’éviter le scénario que beaucoup craignent mais qui devient de plus en plus probable : le Brexit sans accord, le fameux no deal.
Entretemps, à cause de l’incapacité à passer son accord au parlement, Theresa May a envoyé une lettre au President du Conseil européen Donald Tusk en demandant une extension de la date prévue pour la sortie définitive du Royaume-Uni de l’UE (à reporter au 30 juin). Le 11 avril les leaders de l’UE ont convenu d’une « extension flexible » du Brexit jusqu’au 31 octobre 2019 – un délai plus long que celui demandé par la Première ministre britannique. « Je sais que beaucoup de gens ont été frustrés de ma demande de prolongation », a-t-elle déclaré à la presse. Cependant, la nouvelle date de départ ne signifie pas qu’elle ne poussera pas à faire sortir la Grande-Bretagne de l’UE plus tôt.
L’échiquier politique
Le choix de Theresa May – l’ouverture aux travaillistes – semble enfin capable de sortir de l’impasse mais il présente également des risques politiques évidents. Le premier est la scission du parti conservateur. De nombreux représentants conservateurs n’acceptent pas le dialogue avec le parti travailliste et considèrent l’idée d’un « Brexit doux » comme une trahison de la volonté populaire (un autre concept évoqué avec trop de légèreté et fortement défendu dans le débat sur le Brexit, en particulier parmi les brexiters les plus scrupuleux). En effet, ce n’est pas une perspective facile à digérer dans un pays qui est peut-être le seul où les grands partis traditionnels bénéficient toujours du soutien de la majorité de la population.
Jeremy Corbyn est exposé à un type de risque différent. En cas d’échec de la négociation, l’ouverture de Theresa May pourrait effectivement servir à charger le leader travailliste de sa responsabilité, notamment parce que le point de départ des négociations reste l’accord déjà rejeté par le Parlement à trois reprises. Cette situation constitue également une excellente opportunité pour Corbyn : jusqu’à présent le dirigeant travailliste, un brexiter réticent qui dirige un parti divisé entre ceux qui veulent rester en Europe et ceux qui sont prêts à accepter une sortie en douceur, a toujours hésité à prendre position, condamnant le parti à une position secondaire dans toute l’affaire Brexit. Si, cette fois, il saura bien jouer ses cartes, s’il montrera un sens des responsabilités et sera prêt à faire des compromis dans l’intérêt du pays, peut-être en exigeant un nouveau vote populaire, il pourra se sortir de cette situation complexe en tant que dirigeant qui a fait sortir le Royaume-Uni de sa plus grave crise politique d’après-guerre.
Qu’un pays européen veuille rester en dehors de l’Union européenne est parfaitement légitime. Qu’il se questionne sur son rôle en Europe et dans le monde est approprié. Et qu’il insiste pour cultiver des rêves de grandeur néo-impériale peut être compréhensible. Mais pour répondre à des questions essentielles, il faut des réflexions honnêtes et des débats calmes, et non les mensonges et les mystifications avec lesquelles le Brexit a été vendu aux Britanniques.
Flavio Mastrorillo
REFERENCES
Euronews. EU leaders give Theresa May a Brexit until October 31 https://www.euronews.com/2019/04/10/eu-summit-brexit-showdown-as-may-seeks-article-50-delay
Reuters. May’s letter to EU on Brexit extension to be sent on Wednesday – BBC https://uk.reuters.com/article/uk-britain-eu-may-letter/mays-letter-to-eu-on-brexit-extension-to-be-sent-wednesday-bbc-idUKKCN1R02PQ
Internazionale. Il Regno Unito nel tunnel della Brexit https://www.internazionale.it/bloc-notes/andrea-pipino/2019/04/04/regno-unito-tunnel-brexit?fbclid=IwAR3OFCB0W554GZfaBO5pAgS9RW1FuDOltRYn4wV_RoccxZQcu3mTL496a50
Politico. How the UK lost the Brexit battle https://www.politico.eu/article/how-uk-lost-brexit-eu-negotiation/
Peterson Institute for International Economics. Brexit : Everyone Loses, but Britain Loses the Most https://piie.com/publications/working-papers/brexit-everyone-loses-britain-loses-most?fbclid=IwAR3HPAqfgC-Db21FS1RT3loU6EqVLrjQtFUqipp0LzTOidHeNdYwgkvZeGU
TPI. Brexit, il parlamento britannico boccia per la seconda volta l’accordo di Theresa May: ecco cosa succede adesso https://www.tpi.it/2019/03/12/brexit-parlamento-boccia-secondo-accordo/?fbclid=IwAR08FkpZChCd7PsDVa59Z-0VT-OU0iTVzsHpDzUCPtRWC7MA-dgcGXL7V0w