‘’ Voilà donc qu’apparaît dans le paysage de l’UE une institution que certains esprits chagrins avaient baptisé « Le monstre du Loch Ness » : le parquet européen1 ‘’
Le parquet européen est un enjeu qui réunit tous les Etats2. Il vise à lutter contre la criminalité transfrontalière et notamment à réprimer les infractions portant atteinte au budget de l’Union. Il sera composé de magistrats des différents Etats membres et disposera de grands pouvoirs. Cet exemple même de coopération judiciaire européenne n’a toutefois pas toujours semblé évident au sein de l’Union et encore aujourd’hui il est difficile de trouver un consensus à ce sujet. Il s’agira d’expliquer tout d’abord en quoi le parquet européen a été crée via un processus long et complexe. Puis, d’expliquer son fonctionnement et son architecture à double niveau. Pour ensuite montrer en quoi il s’inscrit dans un véritable réseau de coopération judiciaire et ce pour terminer sur les évolutions et autres champs d’action possible.
I) Un long processus de création
L’idée d’un parquet européen a vu le jour il y a quelques décennies en 1988 par la création d’un secrétariat de lutte anti-fraude. S’en est suivi une directive dite ‘’ Convention PIF ‘’ de 1995 pour lutter efficacement contre la criminalité transfrontière, cette volonté commençait ainsi à susciter l’intérêt des Etats membres de l’Union. Mais c’est surtout en 1997 que ce projet de création d’un parquet européen est devenu concret. En effet, la Commission européenne a commandé un ouvrage dit ‘’ Corpus Juris ‘’ dans lequel il s’est agit de présenter un vrai projet de Ministère public européen. Puis, c’est son livre vert de 2001 qui va inscrire ‘’ noire sur blanc ‘’ la création d’un parquet européen.
Quant aux traités, c’est le Traité de Lisbonne qui va inscrire en son article 86 TFUE que ‘’ pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, le Conseil, statuant par voie de règlement conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un Parquet européen à partir d’Eurojust. Le Conseil statue à l’unanimité, après approbation du Parlement européen ‘’.
Mais c’est surtout en 2013, que la Commission va rendre concret le projet et va effectuer un projet de règlement formel portant création d’un parquet européen auprès du Conseil. De nouveau, les discussions vont être difficiles et un consensus sera difficile à trouver. Il faudra donc recourir au mécanisme de la coopération forcée prévue au sein de l’article 20 du Traité sur l’Union européenne, c’est à dire ne pas recourir à l’unanimité mais obtenir l’accord d’au moins 9 Etats membres pour adopter un projet de règlement. Ce sont alors 16 Etats membres puis 20 puis actuellement 22 qui vont adhérer à ce règlement3 et faire partie du parquet européen.
A l’heure actuelle, tous les Etats membres exceptés le Royaume-Uni, l’Irlande, la Suède, le Danemark, la Pologne et la Hongrie qui se joignent au parquet européen.
II) Compétences et champ d’application
A) Une organisation à double niveau
Le parquet européen se caractérise par une organisation à deux niveaux4 :
- Un niveau centralisé : il y aura ainsi le chef du parquet européen avec ses adjoints qui vont constituer le bureau central présent à Luxembourg. De même, il y a aura un collège de procureurs comprenant un procureur par Etat membre ayant adhérer à ce projet. Le chef du parquet européen ainsi que les membres du collège des procureurs vont représenter le volet stratégique. Il y également un volet opérationnel et donc sur le terrain qui se compose des chambres permanentes et des procureurs européens délégués. Ces derniers vont faire le lien entre le niveau central et décentralisé.
- Un niveau décentralisé : ce sont les procureurs européens délégués qui vont agir au plus près des Etats membres, ces derniers vont avoir des pouvoirs similaires aux procureurs nationaux. Par exemple, des pouvoirs d’enquête, de poursuite et de sanction.
B) Un périmètre d’intervention limité
Le parquet européen va être compétent pour plusieurs types d’infractions. Cependant, ces quatre cas sont exhaustifs : fraude, blanchiment d’argent, fraude à la TVA et la corruption. De même, il faut respecter certains seuils et le parquet européen ne sera compétent que si le préjudice dépasse les 10000 euros et s’agissant de la TVA si le préjudice est supérieur à 1 million d’euros.
Cela montre en quelque sorte la prudence des Etats qui ont eu du mal à laisser à l’Union européenne, une partie de leurs prérogatives. Notamment, en ce qui concerne la TVA.
En termes territoriales, le parquet européen sera compétent pour les infractions commises dans un État membre y ayant adhérer. Mais également dans d’autres Etats membres non adhérents, si le ressortissant fait partie d’un des Etats membres faisant partie du Parquet européen et que l’Etat d’origine du ressortissant est compétent pour agir dans l’Etat du lieu de l’infraction.
III) Un véritable réseau de coopération judiciaire européenne
Ce corps de magistrats au niveau de l’Union est donc un exemple même de coopération judiciaire. Ainsi, l’article 86 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne précise que le Parquet européen est crée à partir d’Eurojust. En effet, Eurojust ne dispose que de compétences pour harmoniser, faciliter les échanges d’informations mais pas de pouvoirs contraignants et de sanctions, ainsi il ne peut que transmettre des enquêtes et non pas utiliser des pouvoirs d’injonction.
Ainsi, le parquet européen visera à renforcer l’action d’Eurojust ( que des pouvoirs d’enquêtes ) car il aura lui des pouvoirs contraignants et de sanctions.
De même, le parquet européen agira en étroite collaboration avec Europol, au niveau de la police. Car, Europol et le parquet européen vont s’échanger les informations, instaurer une collaboration plus étroite.
Aussi, tous les systèmes d’informations vont faciliter l’action du SIS, VIS et Eurodac.
Enfin quant aux parquets nationaux. Le parquet européen va communiquer avec ces derniers via les procureurs délégués qui seront des agents européens mais au plus près des Etats membres.
Tout cet ensemble d’organes qui vont graviter les uns avec les autres va créer un véritable réseau judiciaire européen au sens propre. Bien qu’il en existe déjà un organe de ce type. En effet, ce réseau a été créé en 2000 et vise à établir des points de contact dans les différents Etats membres. On le retrouve au niveau du Conseil de l’Union européenne. Il va identifier les personnes compétentes et actives dans le domaine de la coopération judiciaire européenne et leur faciliter les échanges, les contacts afin d’accroître l’efficacité dans ce domaine.
Il y a tout un titre5 consacré à cette coopération du Parquet européen avec ce réseau. Ce dernier dispose que le Parquet européen coopère avec Eurojust, les Etats membres et les institutions européennes.
IV) Vers d’autres champs d’application ?
Le champ d’application du Parquet européen est donc limité pour l’instant aux seules infractions financières. Cependant, un ministère public représentant normalement l’action publique, il paraît nécessaire que le champ d’application soit étendu des seules infractions portant atteinte au budget de l’Union.
Ainsi, cette possibilité a été évoqué par Jean-Claude Juncker en 2017 lors de son discours sur l’État de l’Union : ‘’ même, il me paraît tout à fait indiqué de charger le nouveau parquet européen de poursuivre les auteurs d’infractions terroristes transfrontalières6 ‘’. Egalement, Emmanuel Macron a proposé cette extension de compétences à la matière terroriste7. En effet, le terrorisme revêt une dimension transfrontalière et ainsi il paraît nécessaire pour plus d’efficacité qu’il y ait une action commune des Etats membres et ainsi une action au niveau de l’Union.
On peut même imaginer une extension à toute la matière pénale mais la souveraineté des Etats risque d’être un obstacle et le consensus semble difficile. De même, il n’y a pas de droit européen de la preuve, d’infractions, ainsi cette extension à la matière pénale soulève quelques limites malgré tout.
Actuellement, ce Parquet européen fait beaucoup de ‘’ bruits8 ‘’. En effet, les négociations tournent autour de la nomination du futur dirigeant de cet organe. Ainsi, des controverses existent au sein des institutions : d’un côté le Conseil qui soutiennent Jean-François Bohnert, actuel procureur à Reims et de l’autre le Parlement européen, qui soutient la roumaine Laura Codruta Kövesi. Chacune des institutions ne voulant pas se résigner à lâcher son candidat, ceci bloque les discussions et sans accord et sans dirigeant le Parquet européen risque de ne pas être effectif d’ici 20209.
L’affaire est d’autant plus délicate que la candidate roumaine est actuellement accusée dans son pays de corruption. Ceci étant en parfaite contradiction avec l’objectif visé par le parquet européen.
Agathe Cabaret
Pour en savoir plus:
1 Michel Claise, juge d’instruction financier près le tribunal de première instance de Bruxelles
2 Madame Belloubet à l’issu du Conseil Justice à Luxembourg en octobre 2017
3 Règlement UE 2017/1939 portant création du parquet européen, Parlement et Conseil
4 Qu’est-ce que le Parquet européen ?, Site de l’actualité européenne, Toute l’Europe, Rubrique Justice et droits
5 Titre IV, article 15, décision sur le réseau judiciaire européen
6 Discours sur l’État de l’Union, Jean-Claude Juncker, 2017, Commission européenne
7 Déclaration de Monsieur Emmanuel Macron, Président de la République française, sur l’Union européenne et la lutte contre le terrorisme, Salzbourg, 20 septembre 2018
8 Le Parquet européen; Bucarest pointé du doigt pour l’inculpation d’une magistrate anticorruption, 29 mars 2019, Euronews
9 L’UE cherche son procureur européen sur fond de discorde avec la Roumanie, 9 avril 2019, France 24