Du 23 au 26 mai aura lieu l’élection des députés du Parlement européen dans tous les pays membres de l’Union Européenne. Les dates varient d’un pays à l’autre, commençant par le Royaume-Uni et les Pays-Bas le 23 mai jusqu’au 26 mai pour la plus grande majorité des Etats membres.
Le nombre de députés européens est différent en fonction du nombre d’habitants par pays. Les sièges sont alors alloués en fonction du pourcentage de votes reçu : c’est un scrutin à la représentation proportionnelle avec un minimum de 5% des votes pour l’obtention de sièges.
Les citoyens votent pour un parti politique au niveau national et les candidats élus à travers les différents pays sont ensuite regroupés par affinité politique au sein du Parlement européen. Ce dernier joue un rôle fondamental dans processus législatif européen et élabore les lois en codécision avec le Conseil sur proposition de la Commission européenne.
Dans cet article nous allons aborder les différents impacts que le Brexit aurait sur l’équilibre des institutions européennes et l’équilibre interinstitutionnel entre le Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil.
1. Contexte européen
Le contexte actuel bouleverse le schéma électoral. Avec le report du Brexit jusqu’au 31 octobre, le Royaume-Uni, n’ayant pas trouvé d’accord et étant encore membre à part entière de l’Union Européenne (UE), se voit donc obligé de participer aux élections.
La volonté d’éviter un « divorce brutal », un No Deal, s’explique par le désir d’engendrer le moins possible d’effets négatifs sur le fonctionnement des institutions européennes.
Le Brexit montre alors la « fatigue » des populations et une logique générale de défiance[1] avec une percée de l’euroscepticisme.
L’abstention et le vote d’opposition sont les principales grilles de lecture de ce scrutin, les élections européennes mobilisant bien moins que d’autres. Le taux de participation aux élections européennes a diminué, passant de 61,99% en 1979 à 42,61% en 2014. Cette absence de mobilisation a donc fait de l’abstention l’une des données clés de ce scrutin.
Le référendum de juin 2016 sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE marque une rupture dans la construction européenne.
Peut-on alors parler d’une « déconstruction européenne » avec le Brexit comme accélérateur ?
Ce contexte nous pousse donc à nous demander quel impact le processus du Brexit exerce sur les institutions européennes dans le cadre des élections européennes ? Nous allons plus particulièrement nous pencher sur les cas du Parlement européen, de la Commission européenne et du Conseil pour comprendre les conséquences du Brexit sur l’équilibre institutionnel et interinstitutionnel.
2. L’impact du Brexit sur le Parlement européen
La question du Brexit a fait évoluer le débat public sur la vision de l’Europe, permettant ainsi une montée du populisme. Nous allons donc assister à la perturbation des élections européennes par cet événement ayant un impact important sur le Parlement européen.
Tout d’abord, la prochaine législature du Parlement européen démarrera avec une certaine instabilité du fait de la présence de députés britanniques sans savoir pour combien de temps. Cela aura notamment un impact dans le calcul des majorités.
Le nombre total de sièges est de 705 (751 avant le Brexit). Sur les 73 sièges devant être laissés vacants par le départ britannique, l’UE a prévu d’en redistribuer 27 à 14 pays (dont la France, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas et l’Irlande); les 46 autres seront vraisemblablement « gardés en réserve » pour de futurs élargissements.
En cas de report long avec une date de nouveau repoussée, le Parlement garderait sa composition actuelle jusqu’au retrait du Royaume-Uni. A ce moment là, les effets juridiques du Brexit devraient se mettre en place et faire entrer en vigueur la législature décidée dans le deal conclu entre l’UE et le Royaume-Uni.
Il y aurait donc des changements entre le début et la fin de cette nouvelle législature, la première session plénière des eurodéputés étant le 2 juillet.
Les projections du prochain Parlement montrent qu’il risque d’être plus fragmenté avec une diminution en taille des grands groupes présents et une plus grande importance des petits groupes politiques. Il deviendra donc plus difficile de créer des coalitions ainsi que des majorités.
Le Parti populaire européen (PPE) – majoritaire avec 221 sièges – pourrait subir une perte de 41 sièges. De même pour le second groupe le plus important, l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D) qui pourrait passer de 191 à 161 sièges. L’axe PPE-S&D perdrait donc sa majorité absolue.
Le leadership des chrétiens-démocrates au Parlement européen se verrait donc fragilisé bien que demeurant le plus représenté. Le Brexit et la montée du nationalisme et des eurosceptiques comptent parmi les origines de cet effritement présent dans plusieurs pays européens (exemple: France, Allemagne, Pays-Bas).
La participation des britanniques aux élections va tout d’abord profiter aux conservateurs et aux souverainistes, et serait ainsi défavorable au PPE qui verrait alors sa coalition réellement menacée.
Au niveau institutionnel, le départ du Royaume-Uni de l’Union a deux conséquences majeures sur le Parlement européen :
- une baisse du nombre de citoyens à représenter.
- une baisse du nombre de circonscriptions des États membres.
Le Brexit a des conséquences à la fois sur les dynamiques politiques au sein du Parlement et sur sa composition même.Le processus du Brexit exige qu’une représentation au Parlement européen en sièges soit mise en place pour à la fois une situation « post-Brexit » et aussi dans l’éventualité du retard de l’accord sur la prochaine législature[2], bien que cela puisse poser problème d’un point de vue de légitimité démocratique du nouveau Parlement européen.
3. Les élections européennes au Royaume-Uni
Le report du Brexit fait peser une incertitude sur la campagne. Ce jeudi 23 mai, les britanniques ont élu leurs eurodéputés, la dernière tentative de la Première Ministre Theresa May proposant le vote d’un second référendum ayant échoué.
Elle a donc proposé que si les membres du Parlement britannique soutenaient le nouvel accord à sa seconde lecture début Juin, elle leur offrirait le vote d’un référendum, la législation passant par le Parlement.
Theresa May fait face aux critiques car cette opération est vue comme une version reconditionnée du même accord. Les projections montrent également la tendance d’une défaite de son parti face à celui du chef de parti Pro-Brexit Nigel Farage aux élections européennes.
En se fiant aux élections locales au Royaume-Uni qui ont eu lieu le 2 mai au Royaume-Uni, les principaux partis politiques britanniques subiront une véritable débâcle aux élections européennes[3]. C’est essentiellement dû à leur échec pour conclure un accord sur le Brexit.
La situation pourra même empirer car les nouveaux partis Brexit Party et Change UK n’étant pas candidats aux élections locales.
Bien que les élections aient eu lieu ce jeudi 23 au Royaume-Uni, les résultats ne seront accessibles que dimanche 26 au soir, la majorité des Etats membres votant ce jour-là.
4. L’impact du Brexit sur la Commission européenne
Le Brexit pourrait également avoir un impact indirect sur la nouvelle Commission européenne. En effet, le groupe politique ayant le plus de députés à la suite des élections européennes aura une plus forte chance d’avoir la tête de la Commission. Sa prise de fonction aura lieu en novembre, d’où la volonté du Royaume-Uni de quitter l’UE avant fin octobre.
Le choix du Président de la Commission européenne se fait via le Conseil qui propose une candidature basée sur les élections et qui est ensuite soumise au vote des nouveaux députés. Après Jean-Claude Juncker, le prochain Président sera élu via le système de Spitzenkandidaten (« tête de liste » en allemand) institué par le Traité de Lisbonne et opérationnel pour la première fois en 2014.
Les candidats à la présidence ne sont pas nécessairement des chefs de parti et sont nommés avant les élections européennes. C’est une manière pour les partis de laisser entrevoir aux votants qui ils préconisent à la tête du gouvernement européen.
Le candidat choisi par le Conseil suite aux élections ne sera pas automatiquement celui dont le parti aura gagné le plus de sièges. Cette candidature est le résultat de coalitions et d’alliances au sein du nouveau Parlement.
Par exemple, M. Weber, candidat du Parti populaire européen (PPE), actuellement le parti majoritaire au Parlement, préférerait faire équipe avec les sociaux-démocrates et libéraux pro-européens plutôt qu’avec les eurosceptiques et souverainistes.
Ce jeu d’alliances se verra remis en question et déséquilibré avec la perte de pouvoir du PPE qui voit sa cohésion menacée notamment avec le cas « Orban » qui déchire le PPE. En effet, le premier ministre hongrois Viktor Orban (parti Fidesz) ne soutiendra pas la candidature de Manfred Weber comme Spitzenkandidat.
5. L’impact du Brexit sur le Conseil
L’équilibre de vote au Conseil pourrait se voir compliqué avec le départ du Royaume-Uni notamment à cause de la règle de la majorité qualifiée (Article 16(4) TUE). Bien que le Royaume-Uni ait soutenu une grande majorité des mesures adoptées par le Conseil ces dernières décennies, il a été le plus actif « veto player »[4].
La sortie du Royaume-Uni aurait des conséquences sur les relations de pouvoir au sein du Conseil. Il y aura plus de risques de blocage du processus décisionnel.
Aussi, le Brexit engendrerait une hausse de pouvoir des États membres proportionnellement aux différences de taille de population. Les plus grands pays gagneraient plus d’influence que les plus petits.
Dans le cadre des élections européennes, l’équilibre institutionnel et interinstitutionnel européen connaîtra un impact important du Brexit. Plusieurs interrogations demeurent en suspens :
Quel sort pour les fonctionnaires britanniques dans les institutions européennes ? Cela reste encore à déterminer alors que le Royaume-Uni participe aux élections européennes dans la perspective de sortir de l’Europe par la suite.
Y aura-t-il plus de participation aux élections cette fois-ci ? Bien que l’Europe se soit vue remise à l’ordre du jour dans l’agenda des pays membres entre les eurosceptiques et les pro-européens, le taux d’abstention aux élections européennes reste habituellement élevé et ne mobilise pas les citoyens à aller voter.
Laurie Crayssac.
[1]VERLUISE, Pierre, L’Union Européenne post-Brexit : quelles perspectives géopolitiques, 2017, consulté le 22 Mai 2019 https://www.diploweb.com/P-Verluise-L-UE-post-Brexit.html
[2]Policy Department for Citizens’ Rights and Constitutional Affairs, « The impact of the UK’s withdrawal on the institutional set-up and political dynamics within the EU », 2019, 68p.
[3]Bulletin Quotidien Europe N°12247 https://agenceurope.eu/fr/bulletin/article/12247/31
[4]Policy Department for Citizens’ Rights and Constitutional Affairs, op. cit.