Article initialement publié par notre partenaire Eyes on Europe le 03/06/2019.
En cette période pré-électorale, la majorité de l’opinion publique s’accorde sur la nécessité d’en faire plus en matière climatique. Mais lorsque vient le moment d’agir, certains responsables politiques se retranchent derrière l’argument du coût de la transition écologique. Pourtant, de nombreuses solutions existent pour la financer. Parmi d’autres, le Pacte européen Finance-Climat, un plan Marshall pour le climat qui entend mobiliser la création monétaire.
Le 29 janvier dernier, Charles Michel, alors toujours Premier Ministre belge, rencontrait les représentants de la Coalition pour le Climat, à l’initiative des marches pour le climat en Belgique. Au terme de deux heures de discussions jugées constructives, il déclarait : « J’ai senti cette préoccupation mais je ne vois pas de formule magique dans les propositions qui sont sur la table… parce qu’il n’y en a pas. Il ne suffit pas de claquer des doigts pour que pleuvent les milliards qui nous permettront de financer les mesures ». Partant de cet argument, l’économiste Pierre Larrouturou et le climatologue Jean Jouzel proposent un Pacte Finance-Climat, basé sur le slogan tant provocateur qu’évocateur: “ si le climat était une banque, on l’aurait déjà sauvé”.
La création monétaire au service de la finance
En effet, lors de la crise financière de 2008, les états ont dû assumer les pertes de certaines banques dites ‘too big to fail’ – les banques systémiques, dont la banqueroute eut entraîné la faillite du système financier – en injectant massivement de l’argent public. Ainsi, en octobre 2011, l’Etat belge rachetait Dexia Banque Belgique, devenue Belfius, pour un montant de 4 milliards d’euros. Un exemple parmi tant d’autres…
De plus, au plus fort de la crise, la Banque Centrale Européenne (BCE) s’est assurée que les banques commerciales, en proie à une crise de confiance sans précédent, disposaient des liquidités nécessaires pour assurer leurs obligations.
Par ailleurs, en mars 2015, la même BCE lançait son « assouplissement quantitatif ». Ce programme de rachat de titres financiers – principalement des obligations d’entreprises et des bons du Trésor – a créé ex nihilo 60 milliards d’euros puis 80 milliards d’euros par mois. Le but ? Que ces sommes astronomiques se retrouvent dans l’économie réelle et créent de l’activité économique par le biais du crédit. Ces prêts massifs ont pris fin en décembre dernier mais n’ont pas les effets escomptés en matière de relance de crédit ni de croissance économique, qui reste atone. Au contraire, ces sommes ont alimenté la spéculation boursière, au détriment de l’économie réelle.
Le Pacte européen Finance-Climat
C’est précisément ce que Pierre Larrouturou dénonce. Selon lui, 90% des sommes créées par la BCE ont alimenté la spéculation boursière. A contrario, il préconise d’utiliser et de réorienter ces montants pour financer la transition écologique. Après tout, la BCE a injecté un total de 2.600 milliards d’euros avec son « assouplissement quantitatif » entre 2015 et 2018.
C’est ainsi que plus de 150 personnalités, d’horizons divers et variés, ont signé un “appel européen” pour un “Pacte Finance-Climat” à l’échelle européenne, avec l’argument choc suivant: “Pour éviter la double peine (une nouvelle crise financière et le chaos climatique), il est urgent de dégonfler la spéculation et de donner de nouveaux moyens à la lutte contre le réchauffement climatique“.
Dans le contexte politique actuel, un accord dans le cadre des traités européens – sur la base de l’article 192 TFUE – semble peu probable, parce qu’il suppose une décision à l’unanimité au Conseil de l’Union Européenne. Ce faisant, le Pacte Finance-Climat préconise la signature d’un accord intergouvernemental, hors du cadre formel du droit européen, sur une base volontaire des Etats membres. Une avant-garde d’Etats membres serait dès lors en mesure de ratifier un tel accord, comme ce fut le cas avec le traité instituant l’espace Schengen.
Concrètement, les initiateurs de ce Pacte Finance-Climat plaident pour la création d’une Banque européenne du climat et la biodiversité (BECB), qui financerait la transition écologique à travers la Banque Européenne d’Investissement, profitant de la notation triple A de cette dernière. Chaque année, la BECB allouerait aux Etats membres signataires des prêts à taux zéro visant à financer la transition écologique pour un montant équivalent à 2% de leur PIB. De la sorte, la Belgique bénéficierait chaque année d’une enveloppe de 8,5 milliards d’euros.
Par ailleurs, ils entendent créer un Fonds européen du climat et la biodiversité (FECB). Ce fonds, dont le budget s’élèverait à 100 milliards d’euros par an, serait alimenté par les entreprises opérant dans l’UE – hors artisans et PME – à concurrence de 1% à 5%, suivant leurs performances environnementales. Ce montant serait destiné à financer la transition écologique en Europe à travers, par exemple, l’isolation massive des bâtiments. Ce fonds viserait également à soutenir le continent africain, en première ligne face au dérèglement climatique.
L’argument du coût disproportionné de la transition écologique est trompeur, voire fallacieux. Le Pacte européen Finance-Climat fournit une solution tant indispensable que simple, réaliste et transparente. Pour financer la transition écologique, les solutions existent. Ce ne sont d’ailleurs pas les solutions qui manquent. En matière d’écologie comme dans certains autres domaines, ce qu’il manque, c’est une véritable volonté politique.
Lionel Legrand.