« Le mandat d’arrêt européen apparaît comme un formidable espoir pour l’Europe[1]»
Marie-Elisabeth Cartier
Cette citation issue d’un colloque mené par Marie-Elisabeth Cartier montre l’importance de ce mécanisme au sein de la coopération judiciaire européenne. Le mandat d’arrêt européen (ci-après MAE) a été instauré par la décision cadre de 2002[2] et vient remplacer le mécanisme traditionnel qu’est l’extradition. Cette procédure intervient en réponse au contexte mouvementé des années 2000 et notamment fait suite aux attentats du 11 septembre 2001 appelés ‘’ World Trade Center ‘’. Le MAE se déroule de la manière suivante : un État d’émission va engager un mandat à destination d’un autre État dit État d’exécution. Ceci, dans le but de se voir transférer un individu accusé d’infractions sur son territoire.
Cette procédure est désormais automatique et va donc se baser sur le principe de la confiance mutuelle : l’État qui remet l’individu ne va pas vérifier si l’État qui reçoit ce dernier respecte le droit et les valeurs de l’Union. En effet, le respect des valeurs de l’Union est une condition préalable à l’adhésion à l’Union européenne[3]. Malgré tout, en raison du contexte actuel au sein de l’Union européenne (UE) et des défaillances systémiques dans certains États membres, notamment via les violations des valeurs de l’Union par la Pologne et la Hongrie, des limites persistent. La Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après CJUE) va donc contrôler la pertinence et l’exécution de cette procédure dans ce cas là.
Enfin, on peut voir que même si il est efficace, le MAE nécessite encore des améliorations et des évolutions suite au Brexit.
Ainsi, il s’agira de voir dans un premier temps en quoi le mandat d’arrêt européen est-il une étape déterminante basée sur la confiance mutuelle au sein de l’émergence d’un véritable espace pénal européen (I). Deuxièmement, les limites qui persistent quant à son exécution, et notamment en termes de droits fondamentaux, seront examinées (II). En conclusion, les aspects qui sont encore à améliorer seront expliqués (III).
I – Le mandat d’arrêt européen : une avancée au sein de l’espace pénal européen basée sur la confiance mutuelle
A) De l’extradition à une véritable procédure de coopération judiciaire européenne
Avant la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen, une autre procédure était en vigueur, il s’agissait de l’extradition. Ce mécanisme était considéré comme long et complexe[5]. En effet, il pouvait durer plusieurs années et; il fallait appliquer le mécanisme de la double incrimination c’est-à-dire vérifier que l’infraction dans l’État d’exécution soit considérée comme telle aussi dans l’État d’émission. Par ailleurs, l’extradition comportait un caractère essentiellement politique.
A l’inverse, le MAE ne revêt maintenant qu’un caractère purement juridique. Les délais sont strictement encadrés et ainsi cette procédure est plus simple et rapide. Par ailleurs, le mécanisme de la double incrimination ne compte plus pour 32 catégories d’infractions.
Par exemple, alors qu’une extradition pouvait durer en moyenne de 1 an et demi à deux ans, le MAE quant à lui ne devrait durer maximum que 60 jours voir moins.
Le mandat d’arrêt européen par conséquent, apporte une plus grande efficacité et apporte plus de confiance, de lien et de proximité entre les États membres de l’Union. Dès lors, il permet la création d’un véritable espace pénal européen.
Ci-dessous nous pouvons trouver un tableau récapitulatif montrant à quelle fréquence le mandat d’arrêt européen a été utilisé, mais aussi et surtout à quelle fréquence il a abouti :
2005 | 2006 | 2007 | 2008 | 2009 | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2015 | |
MAE émis | 6894 | 6889 | 10883 | 14910 | 15827 | 13891 | 9784 | 10665 | 13142 | 14948 | 16144 |
MAE exécutés | 836 | 1223 | 2221 | 3078 | 4431 | 4293 | 3153 | 3652 | 3467 | 5535 | 5304 |
Tableau représentant la fréquence d’utilisation du mandat d’arrêt européen sur une période de 10 ans ainsi que le nombre de mandats ayant aboutis[6]
B) La confiance mutuelle : pierre angulaire de la procédure du mandat d’arrêt européen
La création d’un véritable espace pénal européen est basée sur la notion de confiance mutuelle[7] qui est, depuis le Conseil de Tampere de 1999, considérée comme » la pierre angulaire ». Ainsi, ce principe entraîne une présomption de légalité et de respect du droit exclusivement entre les États membres.
Cela implique que l’État d’exécution qui reçoit la demande de MAE devra l’effectuer sans vérifier au préalable si l’État qui reçoit l’individu respecte le droit et notamment les valeurs de l’Union. Tout ceci garantit une plus grande efficacité et plus de réussite de ce mécanisme, le caractère de cette procédure devenant donc désormais automatique. Si un Etat à l’inverse décide de ne pas donner suite alors l’essence même de la procédure perd de son utilité.
II – Des limites évidentes : les droits fondamentaux
Etant donné le contexte actuel au sein de l’UE, en raison de la dérive de certains États membres[9], il est certain que des limites sont perceptibles. En effet, depuis la mise en œuvre de l’article 7 du Traité sur l’Union Européenne (c’est-à-dire la mise en demeure par l’Union Européenne d’un État membre de respecter l’État de droit sous peine de sanctions) envers la Hongrie et la Pologne[10] , le MAE voit son efficacité diminuée car l’exécution de cette procédure dans ces États est délicate.
La Cour de justice a été saisie de plusieurs affaires dans lesquelles il était question de ces problématiques. Dans les arrêts Căldăraru et Aranyosi[11], il était question d’individus arrêtés en Allemagne, qui faisaient l’objet d’un MAE et étaient menacés de purger leur peine en Hongrie ou en Roumanie. La Cour de justice de l’UE a alors été saisie d’une question préjudicielle afin de savoir si en raison des défaillances systémiques dans ces États et en particulier en raison des conditions de vie dans ces prisons, l’État d’exécution pouvait remettre l’individu.
C’est alors que la Cour de justice a consacré une exception au principe de confiance mutuelle : le cas des défaillances systémiques[12]. En effet, selon cette dernière, le mandat d’arrêt ne peut être effectué en cas de défaillances systémiques qui entraînent un risque de traitement inhumain et dégradant, ce qui constitue un droit fondamental au sein de l’UE et qui est présent au sein de la Charte des droits fondamentaux de l’Union[13].
Dès lors, il s’agira de vérifier si l’État membre en question regroupe les garanties et droits nécessaires pour assurer le plein respect des droits des suspects et individus dans le cadre d’un MAE. Sinon, le MAE ne pourra pas être exécuté, étant contraire aux valeurs de l’Union. Le caractère automatique de cette procédure basée sur la confiance mutuelle se voit ici être inopérant, en raison d’exceptions justifiées par les droits fondamentaux qui doivent primer sur tous au sein de l’Union européenne.
La Cour de justice de l’UE joue donc un rôle important dans la construction de ces limites. Cependant, elle effectue une interprétation stricte dans la mesure où le MAE reste le principe et les droits fondamentaux les exceptions, sinon cette procédure perdrait de son utilité. En effet, elle crée un test à double étape qui vise à prouver que les violations sont réelles et qu’elles touchent la personne directement pour éviter les non exécutions répétitives. Ainsi, le principe reste le caractère systématique du MAE et la non exécution l’exception.
III – Des progrès à faire : les évolutions
Le mandat d’arrêt européen, bien qu’efficace, se heurte donc à des limites. Ainsi, des efforts sont encore à faire et la question de l’évolution de cette procédure est présente, notamment, suite au Brexit. En effet, les individus sous le coup de cette procédure, lors du Brexit, vont-ils être ramenés au sein de l’UE et ainsi bénéficier de ce MAE ou bien relèveront-ils de la procédure d’extradition, applicable aux États tiers ?
Cette affaire a également été portée devant la Cour de Justice de l’UE en 2018 dans l’affaire LM[14]. En l’espèce, un individu est arrêté en Irlande et le Royaume-Uni a émi un mandat pour ramener cet individu dans son pays où il doit purger sa peine. La juridiction irlandaise va ensuite porter une question préjudicielle devant la Cour afin de savoir si en raison du Brexit cette procédure continue ou non à s’appliquer.
La Cour a alors répondu par la positive en disant que, jusqu’à la date butoir du Brexit, le MAE continuerait de s’appliquer. De même, l’individu objet du MAE a fait valoir le fait qu’en raison de cet événement, ses droits ne seraient plus protégés car la Charte des droits fondamentaux de l’UE ne s’appliquerait plus. Or, la CJUE confirme le fait que malgré tout, le Royaume-Uni est toujours partie à la Convention européenne des droits de l’homme et donc cette dernière continue s’appliquer ; les droits de l’individu ne sont, par conséquent, pas menacés. Dès lors, en raison du Brexit et jusqu’à son aboutissement, le MAE continue à s’appliquer. L’issue de cette procédure au sein du Royaume-Uni dépendra donc des accords de coopération trouvés avec l’UE.
Toujours en termes d’évolution, des efforts sont encore à fournir notamment pour accroître la portée du MAE. En effet, des lacunes persistent encore. Par exemple, l’actuelle affaire de Puigdemont[15]. Carles Puigdemont, ancien président de la région de la Catalogne en Espagne, est accusé d’avoir mené une rébellion contre le pouvoir en place dans ce pays en voulant déclarer l’indépendance de la région.
Ce dernier, en 2017, poursuivi, s’est alors enfui et s’est réfugié en Belgique avant de se faire arrêter en franchissant la frontière par les autorités allemandes. Un mandat d’arrêt européen a été émis à son encontre par l’Espagne à l’encontre de ce dernier.
Cependant, les juridictions allemandes tout comme les juridictions belges refusent de mener à bien cette procédure en raison du principe de la double incrimination. En effet, l’acte de rébellion ne trouverait pas réciprocité dans leur pays ; or, une infraction similaire pourrait le qualifier comme tel : la malversation. Au final, l’Espagne a retiré en juillet 2018 cette demande de MAE[16].
Mais, l’affaire regroupant des États membres de l’Union européenne, à savoir la Belgique, l’Allemagne et l’Espagne, ce choix paraît discutable[17]. En effet, en raison de son caractère automatique, ce dernier aurait pu être renvoyé directement auprès des tribunaux espagnols et alors le MAE se serait vu efficace. La confiance mutuelle n’est ici pas prise en compte et le MAE se voit quelque peu inefficace en l’espèce. C’est pourquoi cette décision a fait l’objet de beaucoup de critiques car il paraît dérangeant, dans un contexte où l’objectif premier de l’Union européenne est d’éviter l’augmentation et la poursuite de la criminalité transfrontière, de ne pas mener à bien cette procédure. Actuellement, Carles Puigdemont est en exil en Belgique et a même pu se présenter aux élections européennes (mais il s’est vu refusé l’entrée au Parlement). D’ailleurs, aucun MAE n’est perceptible alors qu’il a commis une infraction dans un autre État de là où il se trouve.
Enfin, ce cas est perceptible avec l’affaire Julian Assange[19]. Ce dernier, ayant divulgué des documents confidentiels américains et étant sous le coup d’une demande d’extradition vers ce pays, s’est réfugié à l’ambassade d’Equateur à Londres. Par ailleurs, il est accusé d’un viol en Suède commis en 2010. Alors qu’il était confiné dans cette ambassade depuis 2012, il a finalement été arrêté par la police il y a quelques mois. En effet, il a été transmis devant les juridictions britanniques pour violation des conditions de sa liberté conditionnelle. De même, il est sous le coup d’une demande d’extradition par les États Unis mais aussi (et c’est ce qui est intéressant dans ce cas), la Suède a effectué une demande de mandat d’arrêt européen pour agression sexuelle, toutefois, il y a quelques jours[20] la justice suédoise a finalement décidé de ne pas donner suite à cette demande d’accusation. C’est une fois de plus une entorse au principe du MAE car le caractère automatique n’est ici pas mis en évidence, un refus s’oppose de nouveau à l’exécution de cette procédure. Ici, des évolutions sont encore à prévoir.
On peut donc voir que le mandat d’arrêt européen est une étape importante au sein de la coopération judiciaire européenne. En effet, remplaçant l’extradition traditionnelle, il permet de créer des liens entre des États et d’éviter une lenteur et une complication de la procédure. L’efficacité s’en trouve décuplée grâce à ce MAE, ceci permet d’accroître la confiance mutuelle entre Etats et d’avancer pas à pas vers un véritable espace pénal européen.
Cependant, la Cour de justice de l’UE s’inscrit en une sorte de » gendarme » et va créer un régime d’exception à l’automaticité du MAE basé sur le respect des droits fondamentaux et de l’État de droit.
C’est pourquoi, des efforts sont encore à fournir et des évolutions sont perceptibles. En effet, l’actualité ne manque pas à cet égard. Notamment, dans le cadre du Brexit, l’avenir du MAE semble plus que flou et des futures changements sont prévisibles.
Agathe Cabaret
[1] Colloque de Madame Marie-Elisabeth Cartier
[2] Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres – Déclarations de certains États membres sur l’adoption de la décision-cadre, publiée au JOUE le 18 juillet 2002, L.190/1
[3] Article 49 du Traité sur l’Union européenne, Critères de Copenhague, publié au JOUE le 26.10.2012, C.326/13
[4] Site officiel de l’actualité européenne : https://www.touteleurope.eu/actualite/qu-est-ce-que-le-mandat-d-arret-europeen.html
[5] Site officiel de l’Union européenne : https://e-justice.europa.eu/content_european_arrest_warrant-90-fr.do
[6] Site officiel du Réseau judiciaire européen : https://e-justice.europa.eu/content_european_arrest_warrant-90-fr.do
[7] Site officiel du Parlement européen : http://www.europarl.europa.eu/ftu/pdf/fr/FTU_4.2.6.pdf
[8]Site officiel du Parlement britannique : https://www.parliament.uk/business/committees/committees-a-z/lords-select/eu-home-affairs-subcommittee/news-parliament-2015/eurojust-presidents-european-arrest-warrant/
[9]BERNARD.E, » Circonstances exceptionnelles » et confiance mutuelle entre États membres de l’UE, in L’exception en droit de l’UE, Presses Universitaires de Rennes, 2018
[10]Résolution du Parlement européen du 12 septembre 2018, relatif à une proposition invitant le Conseil à constater, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne, l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée, 2017/2131 INL
[11] Affaires jointes des 5 avril 2016, Aranyosi et Robert Căldăraru, C-404/15 et C-659/15 PPU
[12] Communiqué de presse de la CJUE du 5 avril 2016, dans les affaires jointes Aranyosi et Robert Căldăraru, n° 36/16, Luxembourg
[13] Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, publiée au JOUE le 18 décembre 2000, C.364/1
[14] Arrêt de la Cour du 25 juillet 2018, LM, C-216/218 PPU
[15] Retrait du mandat d’arrêt européen à l’encontre de Carles Puigdemont et des personnalités politiques catalanes en exil, 19 juillet 2018, Bulletin Quotidien Europe n°12066, Agence Europe
[16] BRAUM.S, L’affaire Carles Puigdemont : le droit pénal européen en crise de confiance, 15 juin 2018, Actualités du GDR, Coopération judiciaire pénale, Droits fondamentaux, Confiance mutuelle, Justice Pénale, Mandat d’arrêt européen
[17] La justice espagnole retire les mandats d’arrêt visant Puigdemont et cinq dirigeants catalans, 19 juillet 2018, Le Monde, Rubrique Europe