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Une brève introduction au populisme

Suite au compte rendu de la  conférence-débat « L’Europe au défi des populismes » du 22 mai 2019 dispensé par Jean-Yves Camus et Cas Mudde, #LaRéplique a décidé de s’intéresser à l’ouvrage dont cette conférence faisait la promotion : Brève introduction au populisme par Cas Mudde et Cristòbal Rovira Kaltwasser. Cet ouvrage, dont nous présentons une synthèse, nous livre un cadrage concis et pertinent sur la notion de populisme. Un livre indispensable afin de mieux comprendre la vague populiste que notre société connaît aujourd’hui.

Brève introduction au populisme a le mérite d’établir une définition précise du populisme alors que son usage abusif -notamment par la sphère médiatique- tend à le vider de son sens. Cas Mudde et Cristòbal Rovira Kaltwasser explorent également la relation ambiguë et complexe qu’entretient le populisme avec la démocratie. Après avoir expliqué le phénomène, les deux experts achèvent leur ouvrage en évoquant différentes pistes à explorer afin d’y apporter une réponse. Une lecture d’été qu’EU-Logos vous propose avant de se retrouver en septembre, pour une nouvelle année.

La version française de Brève introduction au populisme bénéficie d’une préface de Jean-Yves Camus, expert français des mouvements d’extrême droite. Camus, en tant que spécialiste du sujet, saisit parfaitement la portée de l’ouvrage que nous proposent Cas Mudde et Cristòbal Rovira Kaltwasser.

Cas Mudde, enseignant à l’université de Georgie, spécialiste des droites radicales populistes et Cristòbal Rovira Kaltwasser, Professeur associé en sciences politiques à l’Université Diego Portales de Santiago du Chili, nous livrent ici un ouvrage établissant une synthèse claire et méthodique sur le thème du populisme, un terme si souvent utilisé qu’il tend à se vider de son sens.

Qu’est-ce que le populisme ?

Pour Cas Mudde et Cristòbal Rovira Kaltwasser, le populisme ne peut être réduit à son usage journalistique et polémique. En effet, l’étiquette de ‘populiste’ est rarement revendiquée et constitue plutôt une attaque sur la scène politique. Il est donc plus que jamais nécessaire de le définir avec méthode.

L’approche idéationnelle utilisée par les deux auteurs a le mérite d’être compatible avec de nombreuses conceptions du populisme (approches laclauienne, socio-économique, style folklorique, stratégie politique…). En effet, le populisme est considéré comme : “une idéologie peu substantielle (le populisme concerne plus la forme du discours que son contenu, et peut ainsi être de droite ou de gauche) qui considère que la société se divise en deux camps homogènes et antagonistes, “le peuple pur” et “l’élite corrompue” et qui affirme que la politique devrait être l’expression de la volonté générale du peuple.”[1]

Si le populisme comme idéologie peu substantielle s’accorde facilement avec d’autres idées (que l’on nommera ‘idéologies hôtes’), il s’oppose fondamentalement à l’élitisme et au pluralisme. En effet, le populisme n’admet la société que dans une forme duale, partagée entre un peuple -compris à la fois comme la plèbe, l’ensemble des citoyens et une population ethnique- qui est source de légitimité, et une élite perçue comme usurpatrice de la souveraineté nationale. Ainsi, le populisme entretient des rapports ambivalents avec la démocratie. S’accommodant mal avec une forme de démocratie représentative et libérale, les populistes ne sont pour autant pas anti-démocratiques puisqu’ils réclament souvent une forme plus directe de participation politique, un “retour au peuple”.

La présence d’idéologies hôtes venant s’associer à l’idéologie peu substantielle du populisme donne en apparence un caractère très hétérogène à ce phénomène. Cette hétérogénéité de façade n’empêche pourtant pas Cas Mudde d’étudier le populisme en tant que tel. L’idéologie hôte vient souvent remplir le pochoir du populisme en apportant des définitions plus précises aux termes de ‘peuple’ et ‘d’élite’. Ainsi, les populismes d’Amérique du Nord séparent souvent ‘peuple’ et ‘élite’ sur des critères géographiques et moraux. Le ‘peuple’ désigne les habitants de l’intérieur des terres, ‘autochtones’ dont les droits seraient bafoués par une élite urbaine et progressiste, favorisant les minorités ethniques et le particularisme.

En Amérique latine, où la tradition populiste est particulièrement répandue, l’idéologie hôte, soit socialiste soit néo-libérale, considère toujours le ‘peuple’ comme une masse de travailleurs dont la souveraineté est usurpée par une élite formant une ‘oligarchie’.

Enfin, en Europe, après une période d’après-guerre pendant laquelle le populisme ne s’était pas manifesté, les années 1990 marquent l’émergence d’une nouvelle forme de populisme de droite, mêlant autoritarisme et nativisme. Ces derniers condamnent la domination d’une élite financière et politique, transnationale, encourageant le développement du cosmopolitisme, sapant le pouvoir des institutions nationales et agissant au détriment d’un peuple, grand perdant de la mondialisation et souvent implicitement borné par les critères ethniques et culturels de la majorité autochtone.

Depuis la crise économique et financière de 2008, des populismes de gauche ont également émergé en Europe. Pour ces derniers, la définition de l’élite est la même, mais leur notion  de peuple est plus inclusive.

Populisme et démocratie : une relation complexe.

Outre la distinction ‘peuple’ versus ‘élite’, une autre constante se distingue : les populismes se développent plus aisément dans un cadre démocratique. Le populisme entretient avec la démocratie une relation ambiguë. ll n’est pas fondamentalement un danger pour la démocratie mais condamne surtout une de ses formes : la démocratie ‘libérale’, forme dominante aujourd’hui dans nos sociétés. Le populisme s’accommode mal du pluralisme et de la diversité lorsqu’elle prend la forme de particularisme. Au nom de la souveraineté populaire, les populistes sont souvent amenés à prôner la loi de la majorité.

Ainsi, afin d’illustrer l’ambiguïté qu’entretiennent populisme et démocratie, nous citerons Albert Camus dans ses carnets :  “La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité. » Cette phrase tire son intérêt du fait qu’elle pourrait obtenir le soutien d’un défenseur de la démocratie libérale tout comme celui d’un populiste.

Le premier comprendrait ici que la démocratie libérale protège les minorités de la dictature de la majorité, là où le second clamerait qu’Albert Camus dénonçait déjà, en 1959, la domination d’une minorité d’élite sur la majorité silencieuse.

Si le populisme peut en effet mobiliser et donner la parole à des populations exclues du système démocratique, ou encore soulever des problématiques jusqu’alors absentes du débat d’idées, des risques existent néanmoins. L’émergence de partis populistes est souvent accompagnée d’une déstabilisation du jeu politique et il y a un réel danger dans  la notion de ‘règle de la majorité’ qui peut être utilisée afin de contourner les institutions spécialisées dans la protections des droits fondamentaux et de saper les droits des minorités.

Ainsi, le populisme représente à la fois un danger ou une chance pour la démocratie, cette dernière restant essentielle à son émergence. Cas Mudde et Cristòbal Rovira Kaltwasser recensent trois types de mobilisation utilisés par les populistes dans un cadre démocratique : le leadership personnaliste, le mouvement social et le parti politique.

Le leader populiste est l’objet d’un chapitre entier dans le livre de Cas Mudde et Cristòbal Rovira Kaltwasser. Pris dans sa conception weberienne, le leader charismatique établit un lien entre lui et ses partisans. Ce leadership n’est pas vraiment le résultat de qualités exceptionnelles du leader charismatique mais repose plutôt sur les attentes et illusions que ses partisans nourrissent à son sujet. Le leader populiste se donne souvent l’image de la Vox Populi (la voix du peuple) et aime à se décrire comme un outsider sur la scène politique afin de mieux marquer son détachement des partis politiques traditionnels. Pourtant, les vrais outsiders sont rares parmi les leaders politiques et les populistes ne font pas exception. Nombre d’entre-eux sont en effet présents dans le paysage politique depuis des années mais n’ont tout simplement jamais fait l’expérience du pouvoir. Ce “véhicule électoral personnaliste” permet aux populistes de condamner l’institution des partis politiques souvent qualifiés de corrompus et injustes.

Cette rhétorique les pousse souvent à s’émanciper des institutions traditionnelles au profit de mouvements sociaux qui peuvent les porter au devant de la scène médiatique. Pourtant, si les mouvements populistes aspirent à survivre au delà des premiers revers électoraux, le parti politique demeure l’institution privilégiée dans l’obtention de cette ‘endurance politique’.

Causes et ripostes :

Si EU-Logos a choisi de mettre Brève introduction au populisme sous les projecteurs, c’est avant tout car cet ouvrage nous rappelle que le succès des partis populistes ne dépend pas seulement de l’offre mais surtout de la demande à laquelle répondent les discours populistes.

A travers ses succès, un parti populiste réussira à façonner les politiques publiques mais aussi à ajouter des éléments au débat (l’exemple de l’immigration comme sujet central de la politique aujourd’hui fonctionne parfaitement en Europe).

Si le populisme fonctionne particulièrement dans l’Union Européenne, cela n’est sans doute pas étranger au sentiment croissant de ‘déficit démocratique’ rapporté au sein de l’Union. De même, personne n’a attendu l’émergence des populismes pour s’offusquer des nombreux scandales de corruption concernant l’élite dirigeante.

Dans une société où les citoyens sont de mieux en mieux informés, où les média sont indépendants des gouvernements, mais choisissent trop souvent le sensationnalisme plutôt que l’actualité politique sérieuse, et où des scandales concernant les pratiques douteuses de nos dirigeants éclatent encore, il semble difficile de blâmer uniquement les leaders populistes qui certes entretiennent cette dynamique, mais répondent avant tout à une demande.

“Lorsque les aspirations démocratiques et les critiques de l’establishment s’unissent, surtout au sein des grands groupes sociaux discriminés, les attitudes (proto-) populistes s’éveillent”[2]

Quelle riposte ? 

Afin de répondre efficacement aux vagues populistes, il convient de bien comprendre que le populisme ne s’attaque pas à la démocratie en elle même mais plutôt à sa forme libérale. Lutter contre la corruption et les pratiques illégales au sein des institutions politiques semble être une bonne base afin de formuler une réponse recevable. Le renforcement des enseignements dits “d’éducation civique” est également essentiel pour apprendre aux citoyens à discerner les éléments extrémistes contenus dans les discours populistes.

Un réengagement de l’Etat dans la société serait le bienvenu. Cas Mudde et Cristòbal Rovira Kaltwasser soutiennent ainsi que “plus l’Etat est capable de modifier la répartition des ressources, des activités et des liens interpersonnels, plus la demande en populisme est susceptible de rester en sommeil.[3]

Pour le moment, les réponses au populisme se sont concentrées sur l’offre sans traiter la demande et ont souvent, par la même occasion, simplement renforcé l’attention portée à ces discours. La Réplique que l’on peut apporter au populisme serait sans doute d’accepter que, malgré leurs réponses souvent douteuses, les questions qu’il pose dérangent car elles sont souvent les bonnes.

Baptiste RICHARD

Pour aller plus loin : https://www.eu-logos.org/2019/05/24/compte-rendu-conference-debat-leurope-au-defi-des-populismes-du-22-mai-2019/

Références : Mudde.C, Rovira Kaltwasser.C : “Brève introduction au populisme” , Fondation Jean Jaurès, 2019.


[1] Mudde.C, Rovira Kaltwasser.C : “Brève introduction au populisme” , Fondation jean Jaurès, 2019.

[2] Mudde.C, Rovira Kaltwasser.C : “Brève introduction au populisme” , Fondation jean Jaurès, 2019.

[3] Mudde.C, Rovira Kaltwasser.C : “Brève introduction au populisme” , Fondation jean Jaurès, 2019.

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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