Lors de ces dernières années, l’Union européenne (UE) a été mise à l’épreuve par divers événements tels que les attaques terroristes sur son territoire ou la vague importante de migration et de demandeurs d’asile qui ont pu compromettre la sécurité de son territoire. Forcé par les événements, le nouveau président de la Commission européenne (CE) de l’époque en 2014, Jean-Claude Juncker fait de la sécurité l’une de ses dix priorités pour son mandat de cinq ans. Son objectif est de réaliser une réelle et effective union de la sécurité et de permettre d’assurer une protection à l’ensemble des citoyens. Dans le présent article, nous allons dans un premier temps analyser le discours d’introduction de Juncker ainsi que ses différentes priorités dans le domaine de la sécurité et de la justice. Ensuite, nous allons faire le bilan de ce qui a pu être fait durant la période 2014-2019 ainsi que détailler les nombreuses nouvelles législations dans ces domaines. Pour finir, nous allons nous intéresser à l’agenda stratégique 2019-2024 et ce qui est prévu pour le futur de l’Union.
1. Le discours d’introduction de Jean-Claude Juncker et le programme stratégique 2014-2019
Lors de son discours d’introduction en tant que président de la CE, Jean-Claude Junker présente ses dix priorités pour son mandat de 2014 à 2019. Deux des principales priorités sont liées aux questions de sécurité à savoir le focus sur la justice, les droits fondamentaux ainsi qu’une nouvelle politique migratoire. Dès son entrée en fonctions, le nouveau président de la CE fit de l’union de la sécurité une de ses priorités. Ces priorités définiront le plan d’action de la CE pour la durée de ce mandat.
Parmi ces priorités, la coopération judiciaire entre États membres est vue comme cruciale dans la construction européenne de par l’intensification des déplacements des individus et des biens au sein de l’UE. Cette coopération passe à la fois par le renforcement d’outils communs comme Eurojust, mais aussi par la création d’outils supranationaux tels que le Parquet européen. Une reconnaissance mutuelle des décisions de justice des différents pays de l’UE doit être mise en place dans le but de faciliter le respect des droits de tous les citoyens. Dans ce sens, la lutte contre la criminalité et le terrorisme demande une coopération plus grande entre les pays face à des pratiques de plus en plus transfrontalières.[1]
La migration est un autre élément central pour les questions de sécurité. L’immigration clandestine demande une meilleure collaboration entre pays et relève d’un problème touchant l’UE dans son ensemble et non les pays frontaliers uniquement. Continuant dans ce sens, la question de la sécurisation des frontières de l’Europe doit également être la préoccupation de l’ensemble des membres. Frontex, l’agence européenne pour la gestion des frontières, va voir son budget augmenter afin de répondre à la tâche grandissante de protection des frontières.[2]
Juncker appelle également l’Europe à se renforcer en matière de sécurité et de défense. Il cherche à encourager la collaboration militaire entre pays européens sous la forme de missions conjointes et d’une coopération structurée permanente. L’Europe ne peut pas se limiter à être un soft power et doit se doter d’une présence militaire. Le président de la CE met également en avant l’intérêt économique de partager les efforts de défense européenne et de missions afin d’éviter les duplications des programmes entre pays.[3]
Le discours de Junker en 2014 fait notamment état d’un désir d’améliorer la coopération d’un point de vue judiciaire, militaire et de la défense européenne. Une attention particulière est placée sur les questions de protection des données, de lutte contre la criminalité transfrontalière, le terrorisme, la coopération judiciaire, la lutte contre l’immigration clandestine et la sécurisation des frontières européennes.[4] De plus, le Conseil européen a également adopté un agenda stratégique définissant les priorités pour le nouveau cycle législatif de la période 2014 – 2019. L’une de ces cinq priorités, rejoignant le discours du président de la CE, se porte sur les questions de liberté, de sécurité et de justice.[5]
2. Les mesures prises entre 2014 et 2019
Au-delà des discours, la Commission Juncker a proposé 22 initiatives législatives depuis 2014 sur le thème de la sécurité de l’UE. Parmi celles-ci, 16 ont été approuvées par le Parlement européen ainsi que par le Conseil de l’Union européenne tandis que les six initiatives restantes sont actuellement sur la table des négociations. Ces actes législatifs ont notamment été définis et proposés en réponse à l’actualité européenne et mondiale.[6]
a. Terrorisme, migration et frontières
La menace terroriste a bouleversé l’agenda sécuritaire de l’UE depuis l’entrée en fonction de la Commission Juncker. Les attaques terroristes à répétition perpétrées sur le sol européen ont mis en lumière une faiblesse européenne. Le manque de coopération entre pays européens ainsi que les différences de réglementations ont laissé aux terroristes une plus grande liberté d’action. Les grandes villes telles que Bruxelles, Paris, Madrid, Londres et Copenhague ont été les unes après les autres touchées par des atrocités. Il appartient à l’UE d’assurer la sécurité de l’ensemble des citoyens de l’UE ainsi que d’établir une zone de sécurité. Les États membres ne peuvent pas à eux seuls prétendre combattre chacun un terrorisme transnational, c’est pour cela que l’UE doit pouvoir construire les outils, les infrastructures et l’environnement nécessaires afin que l’ensemble des États puissent posséder les moyens de combattre le terrorisme.[7]
La lutte contre le terrorisme prend plusieurs formes de par la nature complexe et variée de ses organisations. Dès lors, la Commission a proposé un certain nombre de réglementations dans le but de combattre ce phénomène sur le sol européen. Tout acte terroriste est maintenant plus sévèrement punissable par la loi, cela inclut les déplacements hors de l’UE afin de commettre des actes terroristes, mais également ceux commis au sein de l’UE elle-même. Participer à des camps d’entraînement militaires dans des pays étrangers à des fins terroristes est criminalisé, tout comme contribuer à leur financement. Le contrôle des armes à feu légales a été renforcé notamment pour les armes automatiques ainsi que les substances chimiques pouvant servir à fabriquer des explosifs. L’utilisation de fausses identités étant régulièrement pratiquée par les terroristes pour éviter la surveillance européenne, la Commission a mis en vigueurs une législation plus strictes sur la falsification des documents et sur la sécurité des cartes d’identité.[8]
La sécurité au niveau des frontières est vue comme un autre sujet d’importance stratégique mis en avant notamment par l’arrivée en masse de réfugiés politiques. Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, a vu ses prérogatives augmentées en plus de son budget afin de ne pas laisser les pays aux frontières de l’Europe gérer la situation individuellement. La Commission a ainsi mis en place des hot spots afin de pouvoir repérer les combattants terroristes étrangers essayant d’entrer dans l’UE par ces moyens en se mêlant aux réfugiés politiques. Cela prend la forme de vérifications systématiques du niveau de menace de l’individu ainsi que de l’enregistrement de tous les arrivants et de leurs empreintes digitales. Cette vérification doit notamment suivre un certain nombre de lignes directrices appelées Common Risk Indicators qui permettent de régulariser le travail des autorités aux frontières de l’UE, mais aussi de faciliter la détection d’individus posant un risque éventuel. Depuis octobre 2016, l’European Border and Coast Guard Agency (Frontex) a vu son personnel renforcé afin de pouvoir apporter son soutien aux États membres aux frontières faisant face à un problème de grande ampleur. De manière plus générale, toutes les personnes souhaitant rentrer sur le territoire européen devront être systématiquement contrôlées dans l’ensemble des bases de données européennes.[9][10]
Les actes terroristes ont mis en lumière le danger que la radicalisation de résidents européens peut représenter et la force idéologique que cela constitue. Dans certains de ces actes, notamment les attentats de Paris et Bruxelles, il s’agissait d’individus originaires de pays européens et ayant vécu dans nos sociétés, qui ont été radicalisés et poussés vers une idéologie violente rejetant les valeurs européennes. L’utilisation des réseaux sociaux a notamment permis la propagation de propagande et de discours haineux et de toucher un plus grand nombre de personnes. Une des missions de l’UE est d’une part de déradicaliser ces personnes grâce à un ensemble de programmes et d’autre part d’empêcher ces individus d’être radicalisés en premier lieu. Dans ce but, la Commission a mis en place le Radicalisation Awareness Network Centre of Excellence dont l’objectif est de proposer les meilleures pratiques et expertises aux associations européennes pour lutter le plus efficacement contre la radicalisation et l’extrémisme violent.[11]
Le radicalisme trouve également sa place dans les prisons, où l’on dénombre de nombreux cas de radicalisation. L’impact de ce contact avec des criminels de longue durée sur des jeunes ayant commis un premier délit ou un crime mineur est très élevé. Ces jeunes sont bien plus à risque de tomber dans un cycle de radicalisation de par leur nature vulnérable. La problématique des prisons est donc une priorité pour la Commission qui finance des programmes de déradicalisation et de réhabilitation à la fois au sein des prisons et à la sortie des prisonniers. Les États membres, accroissant eux-mêmes l’utilisation et la répartition de ces fonds, sont poussés à cibler les groupes les plus vulnérables à la propagande terroriste. De plus, et allant dans ce sens, la Commission dénote la nécessité d’intégrer de manière plus importante la jeunesse européenne. L’éducation est vue comme l’un des outils principaux dans ce combat. Dès lors, le programme Erasmus+ se veut être le plus inclusif possible et promouvoir au mieux les valeurs européennes. L’échange culturel entre pays a toujours été à la base du programme Erasmus et va être renforcé par un budget supplémentaire de 400 millions d’euros.[12]
b. Échange d’informations
Une autre évidence que la Commission Juncker a cherché à rectifier est le manque de coopération et de partage de données entre les pays européens et les agences européennes, notamment constaté lors des actes terroristes. Dans ce but, le Schengen Information System a été implémenté et représente la plus large base de données de sécurité disponible au niveau européen. Cette base de données est notamment utilisée pour vérifier les identités aux frontières de l’espace Schengen afin d’améliorer par exemple la lutte antiterroriste.[13]
De plus, l’agence européenne Europol a vu ses prérogatives multipliées afin qu’elles puissent efficacement servir de base pour l’échange d’informations entre les différentes autorités policières de l’UE. De plus, pour les questions de terrorisme, l’European Counter Terrorism Centre a été lancé en 2016 au sein d’Europol afin de lutter contre le terrorisme et la radicalisation en permettant la coordination et la coopération entre les différentes autorités. Le centre sert également à regrouper les informations pertinentes pour analyser la menace terroriste ainsi que développer des plans contre celle-ci. L’utilité de ce centre réside principalement dans la coopération entre les différentes autorités européennes ainsi dans l’analyse globale de la menace terroriste.[14]
L’échange de données a été étendu à d’autres domaines telles que notamment le partage de données biométriques comme les empreintes digitales et les profils ADN, mais aussi les données d’immatriculation des véhicules grâce à l’implémentation de la Prüm framework qui renforce la coopération transfrontalière. La coopération judiciaire est encore un autre domaine où l’échange de données s’est vu intensifier. Les casiers judiciaires de criminels sont ainsi plus facilement échangeables grâce à l’extension de l’European Criminal Records Information System. La digitalisation des preuves judiciaires permet aussi un échange plus facile et rapide entre autorités.[15]
c. Cybersécurité
Un autre sujet ayant gagné de l’importance au cours des dernières années et ayant attiré l’intérêt de la Commission Juncker est la question de la cybersécurité. La croissance exponentielle d’internet a engendré un nombre croissant de ce type de criminalité et appelle donc à un renforcement des règles en vigueur. Les groupes terroristes ont pu, en toute impunité, se servir d’internet et de ces réseaux sociaux notamment pour propager en masse leur message violent et toucher ainsi un grand nombre de personnes. La Commission a dès lors voulu combattre cette radicalisation en ligne et hors ligne en créant le Radicalisation Awareness Network afin de partager les meilleures pratiques et de développer les outils nécessaires dans cette lutte. Depuis 2015, la Commission a également lancé l’EU Internet Forum qui rassemble les gouvernements, les agences européennes comme Europol et les grandes compagnies de technologie et des réseaux sociaux afin de combattre le mieux possible les contenus illégaux comme la propagande terroriste. L’objectif étant de pouvoir retirer le plus rapidement possible tout contenu jugé dangereux. Récemment, la Commission a décrété que tout contenu terroriste devra être retiré dans la première heure de sa diffusion.[16]
Qui plus est, Horizon 2020, un programme de recherche et d’innovation de l’UE, possède un programme axé sur la sécurité avec un budget à hauteur de 1,7€ milliard pour la période 2014-2020. Le focus de ce programme porte sur les technologies futures et la lutte contre le terrorisme. La première ligne de défense reste une cybersécurité forte. Cependant, il est important que les crimes commis à l’aide des nouvelles technologies soient poursuivis et punis. C’est pour cela que la Commission a proposé un cadre de loi commun en Europe afin d’uniformiser les réglementations face à ces nouveaux criminels.[17]
3. Conclusion de la période 2014-2019
La menace terroriste apparue lors de ces dernières années ainsi que l’utilisation récente des nouvelles technologies par les terroristes ont forcé l’agenda sécuritaire sur la table des négociations. La Commission Juncker s’est donc donnée comme l’une de ses missions et de ses priorités, la sécurité de l’ensemble des Européens. La CE a ainsi proposé 22 initiatives législatives dont 16 ont été adoptées et mises en application. Ces nouvelles lois tentent de combler une lacune dans la législation européenne, mais cherchent également à combattre un problème international à un niveau supranational. La coopération européenne dans le domaine est vue comme primordiale afin de combattre efficacement le problème. La CE a ainsi pu proposer des réglementations sur des sujets aussi variés que la protection des frontières, les réseaux sociaux, la régulation des armes à feu légales et la radicalisation en prison. De nombreuses améliorations et innovations ont pu être mises en place pour faire face aux problèmes de sécurité, mais cette période de 2014 à 2019 ne représente que le début de ces avancements. En effet, la CE va à nouveau approfondir l’Union de la sécurité lors de la période 2019 à 2024 lorsque la nouvelle Commission prendra ses fonctions.[18]
4. État de l’Union en 2018
Chaque année, le président de la CE décrit l’état de l’Union et les progrès qui ont pu être fait durant cette période. Le discours prononcé en 2018 nous permet d’analyser les progrès de la politique européenne dans le domaine qui nous intéresse à savoir la sécurité. Pour ce faire, Juncker reprend points par points les dix priorités qu’il a fixées au début de son mandat et apprécie leur état d’avancement. Pour ce qui est de la justice et de la sécurité, il note le besoin de confiance et de respect mutuel des juridictions européennes afin de respecter de la même façon les juridictions des pays européens. Il met également en avant le fait que la sécurité a été une des priorités de son mandant afin d’entamer la création d’une union de la sécurité réelle et effective. Ainsi plusieurs mesures se sont attaquées aux terroristes comme notamment la cinquième directive anti blanchiment, la législation sur la fabrication d’explosif artisanal, l’amélioration des dispositifs de sécurité des cartes d’identité et la protection des espaces publics. D’autres mesures ont pu être prises pour lutter contre la propagande terroriste en ligne ou contre le déficit du partage d’information entre pays européens. De plus, le budget alloué à la sécurité pour la période 2021-2027 se verra largement augmenté d’une somme de 3,5 à 4 milliards d’euros, ce qui démontre la continuité du focus sur la sécurité de la CE.[19]
L’un des plus grands défis de la Commission Juncker fut la gestion de la migration en Europe et la création d’une nouvelle politique migratoire pouvant faire face aux défis actuels, mais également à ceux de demain. L’un des principaux accomplissements du mandat de Juncker fut la diminution des arrivées irrégulières en Europe, une diminution de 97% en Méditerranée orientale et de 80% en Méditerranée centrale. Cette diminution a pu être réalisée à travers un grand éventail de mesures comme la lutte contre le trafic des migrants et la criminalité transfrontalière qui a permis de sauver plus de 690.000 vies. De nombreuses actions conjointes ont pu être menées avec les pays d’Europe comme l’Espagne et l’Italie, mais principalement avec les pays d’origine ou de passage des migrants comme la Libye, le Maroc, la Turquie, le Niger et d’autres pays subsahariens. Ainsi l’UE s’est attaquée aux causes profondes de la migration irrégulière à travers de nombreux partenariats avec ces pays afin de développer leur économie, leur gouvernance, leurs soins de santé et leur sécurité alimentaire.[20]
5. Les axes stratégiques pour la période 2019-2024
La transition entre la Commission Juncker et la nouvelle Commission Von der Leyen permet à la fois de raisonner sur ce qui a pu être fait, mais également d’analyser le plan d’action pour la période 2019 à 2024. Ce dernier se veut dans la continuité de la Commission précédente et en lien avec les mêmes thématiques sécuritaires au centre de l’actualité à savoir l’immigration, le terrorisme, la justice et les frontières. Ce plan d’action a été adopté durant le sommet des chefs d’États ou de gouvernements qui s’est déroulé à Sibiu en Roumanie le 9 mai 2019. Ainsi les chefs d’État ont décidé de fixer cinq grandes priorités pour l’avenir de l’UE à savoir :
– L’emploi, la croissance et la compétitivité,
-Les moyens d’action à donner aux citoyens et la protection de ces derniers,
-Les politiques en matière d’énergie et de climat,
-La liberté, la sécurité et la justice,
-L’UE en tant qu’acteur mondial de premier plan [21].
La question de la sécurité et de la justice est à nouveau l’une des priorités des chefs d’État et marque une continuation des travaux de la précédente CE. Nous allons maintenant analyser les différents thèmes et sujets sur lesquels la CE portera son attention. Les questions de frontières, de migration, de cybercriminalité et de coopération judiciaire seront au centre des propositions législatives de la future Commission.
a. Terrorisme, migration et frontières
L’union de la sécurité est à nouveau une priorité pour la Commission. Cette politique se veut dans la continuité afin de finaliser et d’améliorer les thématiques toujours au centre de l’actualité. La question des frontières et de l’immigration reste une des priorités majeures. L’enjeu pour l’UE est de pouvoir assurer l’intégrité des frontières européennes afin de pouvoir garantir au mieux la sécurité au sein même de ces frontières, mais également de pouvoir contrôler les entrées et les sorties du territoire européen. L’espace Schengen, c’est-à-dire la libre circulation des individus au sein de l’UE, ne peut être efficace et réalisable uniquement si les frontières extérieures sont contrôlées efficacement. Car dès lors qu’un individu rentre illégalement au sein de l’UE, il peut se déplacer sans contrôle dans l’ensemble des pays de l’UE. Certains pays de l’Union ont commencé à remettre en question l’espace Schengen notamment en contrôlant intérieurement leurs frontières, toutefois la Commission prévoit de relancer le dispositif à travers une feuille de route intitulée ‘Back to Schengen’ afin de reconstruire la confiance mutuelle entre les pays et l’ouverture des frontières intérieures.[22]
Cependant, la protection des frontières n’incombe pas uniquement aux pays transfrontaliers comme cela a pu être le cas durant de nombreuses années. L’ensemble des États membres devront être mobilisés pour résoudre ce problème. Ainsi le budget pour la gestion des frontières doit être utilisé de manière intelligente grâce notamment à l’Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle nommée LISA. Un système d’entrée et de sortie a été mis en place afin de contrôler le flux des déplacements ainsi qu’un système européen d’information et d’autorisation des voyageurs appelé ETIAS qui permet notamment de contrôler le niveau de sécurité des voyageurs rentrant dans l’espace Schengen sans visa.[23]
Un sondage réalisé par l’UE auprès des citoyens en 2018 montre que l’immigration (40%) et le terrorisme (20%) représentent les plus grands défis auxquels l’UE doit faire face. Les questions de paix et de sécurité sont dès lors au centre de l’agenda pour les années à venir. Un des objectifs de l’agenda 2019-2024 en matière de sécurité sera de continuer le travail de la Commission Juncker vers une union de la sécurité réelle et effective. Au vu de la menace commune et transfrontalière, l’UE doit pouvoir améliorer la sécurité interne et rassembler les ressources européennes afin de lutter plus efficacement contre le terrorisme, le crime organisé et la cybercriminalité. L’enjeu est de créer une réelle coopération entre les différents pays et agences et d’utiliser les ressources de manière stratégiques. Le rôle du Coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme se voit renforcé dans le but d’assurer au mieux la communication et la coordination des actions contre le terrorisme. Il devra aussi s’assurer de la bonne mise en place des politiques adoptées dans chacun des pays membres.[24] La coopération militaire prendra également une plus grande importance afin d’atteindre une Union européenne de la défense, l’objectif étant de faire de la coopération européenne une norme plutôt qu’une exception. Cela avait déjà été mis en avant comme une faiblesse de par la redondance des budgets militaires et leur inefficacité. Le focus sera d’améliorer la coopération dans notamment l’industrie et la recherche, la cyberdéfense et l’organisation de missions à l’étranger. La sécurité de l’UE étant vue comme dépendante de l’OTAN et donc des États-Unis, il est important que l’UE se charge de sa propre sécurité afin d’améliorer son indépendance, mais aussi de renforcer son rôle international.[25]
Pour ce qui est de l’immigration, la coopération est une nouvelle fois mise en avant pour faire face à un problème concernant l’ensemble des États membres. Le partage des responsabilités et une approche construite sur leur solidarité sont primordiaux. L’UE doit pouvoir reconnaître ses obligations face à la question des demandeurs d’asile, mais doit aussi prendre en compte leurs besoins. L’accent est également mis sur la différenciation entre les personnes ayant besoin de protection et ceux qui n’ont aucun droit de rester sur le territoire. Frontex, l’agence de protection des frontières, qui a déjà été renforcée durant la période 2014-2019, verra son effectif atteindre les 10,000 gardes-frontières d’ici 2027 au plus tôt. L’agence sera alors chargée de venir en aide aux pays européens faisant face à des flux de populations, ainsi ces pays ne seront plus seuls face à ces mouvements. Le système EUROSUR, système de surveillance des frontières européennes, servira de lien entre les États membres et Frontex afin de contribuer à améliorer la connaissance des flux migratoires et la réactivité face à ceux-ci.[26]
L’UE veut également promouvoir une politique d’intégration plus poussée afin de construire une société plus inclusive. L’amélioration des voies légales d’immigration est primordiale dans la lutte contre l’immigration illégale qui se fait avec l’aide de passeurs qui mettent en danger les personnes immigrées. La coopération au développement, l’assistance humanitaire et la coordination de ces aides permettraient d’aider les populations locales et ainsi réduire la motivation de départ. En résumé, la gestion de l’immigration se déroule en plusieurs éléments distincts, il s’agit à la fois de contrôler et réguler l’entrée des migrants au sein de l’UE et de s’assurer qu’ils ne représentent pas une menace. Il s’agit également de mettre en place des politiques communes pour faire face à ces défis notamment dans la gestion des frontières ou de la prise en charge des demandeurs d’asile. Cependant, l’accent est mis sur la lutte contre la traite des êtres humains et sur l’aide apportée aux pays d’origine des migrants. L’immigration restera une question clé pour le futur de l’UE et de sa sécurité. L’instabilité mondiale, les changements climatiques et la croissance démographique rendront nécessaire une politique de migration et d’asile primordiale. L’ensemble des pays de l’Union seront sollicités et il sera nécessaire d’établir une approche globale à la fois sécuritaire, et humanitaire.[27]
b. Cybercriminalité
La question de la cybersécurité et de la cybercriminalité reste une question centrale dans le plan d’action 2019-2024. Des mesures ont déjà été prises comme l’implémentation du GDPR c’est-à-dire le Règlement général sur la protection des données, afin de protéger la vie privée des utilisateurs européens. De plus, l’Acte Cybersécurité, mis en place en 2018, a fondé une agence européenne chargée de la cybersécurité, l’ENISA. Cette agence a vu son mandat et son action augmentés afin de répondre à la demande face à la cybercriminalité. Elle a notamment mis en place un cadre de certification de cybersécurité européen afin d’uniformiser les différentes législations européennes. Ce certificat permet la sécurisation des produits et services sur internet. Cet acte européen permet également la fin de la fragmentation de la législation qui rend les utilisateurs européens plus vulnérables.[28] [29]
L’objectif futur de l’UE est de créer une approche globale de la cybersécurité et dans la lutte contre la cybercriminalité. Pour ce faire, il est primordial d’organiser la coopération entre pays européens, mais également avec d’autres partenaires stratégiques mondiaux. Allant dans le sens d’une amélioration de la coopération, les 28 ministres de l’Intérieur ont récemment approuvé la création d’une nouvelle plateforme qui servira de partage des connaissances, mais également de lien entre les experts de la cybercriminalité et les services numériques. Cette plateforme, dénommée nouvelles informations exploitables ou NAI, sera gérée par Europol et aidera notamment les États membres et les agences européennes à avoir accès aux différentes connaissances dans le domaine et de partager les meilleures pratiques. La plateforme servira de centre de partage des informations et des pratiques concernant la cybercriminalité, mais également de centre de formation.[30]
c. Justice
La coopération judiciaire sera une des priorités de l’UE pour la période 2019-2024 au même titre que la question de la migration, du terrorisme et de la cybercriminalité. La difficulté de la question judiciaire réside dans la grande diversité des systèmes judiciaires et de leurs traditions juridiques. L’une des clés est alors de renforcer la reconnaissance mutuelle des décisions juridiques. Un meilleur échange d’information entre les différentes autorités des États membres, mais aussi avec les agences européennes est également important et s’inscrit dans la continuation des travaux de la Commission Juncker. De nouvelles mesures seront également prises afin de faciliter et simplifier l’accès et la compréhension de la justice européenne notamment grâce à l’utilisation de la justice en ligne. La coopération opérationnelle en matière de justice ainsi que les actions transfrontalières devront également être améliorées tout comme l’utilisation des compétences des agences européennes telles qu’Eurojust et l’Agence des droits fondamentaux.[31]
Conclusion
D’énormes progrès ont pu être réalisés depuis 2014 et ce afin de faire face aux défis menaçant l’UE. Ainsi, plus de 16 nouvelles législations ont pu être adoptées au niveau européen dans le domaine de la sécurité et de la justice. La Commission Juncker avait fait la création d’une union de la sécurité l’une de ses priorités et cet objectif restera pertinent pour la nouvelle Commission durant la période 2019 à 2024. De nombreuses améliorations restent possibles notamment dans le domaine de la cybersécurité et de la coopération européenne.
Il est à noter que l’intérêt pour les questions de sécurité au niveau européen résulte des circonstances et des évènements successifs durant cette période. Les attentats terroristes récurrents ainsi que la vague d’immigration liée aux conflits dans différentes parties du monde ont mis en avant les lacunes en matière de sécurité, de coopération européenne, de gestion des migrations et de protection des frontières. Les grands progrès accomplis sous la Commission Juncker ont été accomplis en réaction aux évènements plutôt qu’en prévision de ceux-ci. L’urgence de la situation a forcé les décideurs politiques à prendre des décisions rapides afin d’améliorer celle-ci et de combler les lacunes dans la législation européenne. Nous pouvons dès lors déplorer l’absence de politiques proactives qui auraient pu prévoir avec plus de justesse la situation géopolitique mondiale et son impact sur l’UE. Cependant, le programme stratégique pour la période 2019-2024 prévoit la mise en place d’experts et d’agences dans le but de pouvoir prévoir plus précisément les flux migratoires par exemple.[32] L’urgence circonstancielle a permis un rapprochement européen conséquent dans les matières de sécurité, de justice, frontière et migration. Dès lors, une coopération et un partage de l’information plus important ont dû être mis en place afin de faire face à ces nouveaux défis qui menacent l’UE. Un pas important a été fait vers une union de la sécurité réelle et effective comme l’avait souhaité Juncker au début de son mandat et cette union restera l’une des priorités de la nouvelle Commission.
Jérémy Biedermann
[1] European Commission, Priority : Justice and fundamental rights, https://ec.europa.eu/commission/priorities/justice-and-fundamental-rights_en
[2] European Commission, Priority : Migration, https://ec.europa.eu/commission/priorities/migration_en
[3] European Commission, Priority : Justice and fundamental rights, https://ec.europa.eu/commission/priorities/justice-and-fundamental-rights_en
[4] Juncker, Jean-Claude, Un nouvel élan pour l’Europe: Mon programme pour l’Emploi, la Croissance, l’Équité et le Changement démocratique, European Commission, 2014, https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/juncker-political-guidelines-speech_fr.pdf
[5] European Council, Conclusions du Conseil Européen des 26 et 27 juin 2014, 2014, https://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/143492.pdf
[6] Juncker, Jean-Claude, Factsheet : Security Union: A Europe that protects, European Commission, Juillet 2019.
[7] Juncker, Jean-Claude, L’État de l’Union en 2018, European Commission, 12 Septembre 2018, https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/soteu2018-brochure_fr.pdf
[9] Mortera-Martinez, Camino, The EU’s Security Union: A Bill of Health, June 2019, Centre For European Reform,
[10] European Commission, delivering on the European Agenda on Security to fight against terrorism and pave the way towards an effective and genuine Security Union, Avril 2016, https://ec.europa.eu/home-affairs/sites/homeaffairs/files/what-we-do/policies/european-agenda-security/legislative-documents/docs/20160420/communication_eas_progress_since_april_2015_en.pdf
[11] European Commission, Nineteenth Progress Report towards an effective and genuine Security Union, Juillet 2019, https://ec.europa.eu/home-affairs/sites/homeaffairs/files/what-we-do/policies/european-agenda-security/20190726_com-2019-353-security-union-update-19_en.pdf
[12] European Commission, The European Agenda on Security, Avril 2015, https://ec.europa.eu/home-affairs/sites/homeaffairs/files/e-library/documents/basic-documents/docs/eu_agenda_on_security_en.pdf
[14] European Commission, Nineteenth Progress Report towards an effective and genuine Security Union, op. cit.
[16] Juncker, Jean-Claude, Factsheet : Security Union: A Europe that protects, op. cit.
[17] Juncker, Jean-Claude, L’État de l’Union en 2018, op. cit.
[18] Juncker, Jean-Claude, Factsheet : Security Union: A Europe that protects, op. cit.
[19] Juncker, Jean-Claude, L’État de l’Union en 2018, op. cit.
[20] Ibid
[21] Conseil Européen, Réunion informelle des chefs d’État ou de gouvernement à Sibiu, 9 mai 2019, https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/european-council/2019/05/09/
[22] European Commission, Europe in May 2019: Preparing for a more united, stronger and more democratic Union in an increasingly uncertain world, Avril 2019
[23] Etias : Système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages, Schengen Visa Info,Février 2019, https://www.schengenvisainfo.com/fr/etias/
[24] Conseil Européen, Le coordinateur pour la lutte contre le terrorisme, Octobre 2019, https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/fight-against-terrorism/counter-terrorism-coordinator/
[25] European Commission, Europe in May 2019: Preparing for a more united, stronger and more democratic Union in an increasingly uncertain world, Avril 2019
[27] Ibid
[28] European Commission, The EU Cybersecurty Act, Juin 2019, https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/eu-cybersecurity-act
[29] European Union Agency for Cybersecurity, ENISA, https://www.enisa.europa.eu/about-enisa
[30] Conseil de l’Union Européenne, Conclusions du Conseil relatives aux nouvelles informations exploitables-Conclusions du Conseil, Juin 2019, https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-9720-2019-INIT/fr/pdf
[31] European Commission, Nineteenth Progress Report towards an effective and genuine Security Union, op. cit.
[32] European Council, Conclusions du Conseil Européen des 26 et 27 juin 2014, 2014, https://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/143492.pdf