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Les mesures et pratiques migratoires des États européens à l’aune du COVID-19.

Alors que limiter la propagation du COVID-19 et trouver des solutions pérennes pour l’après confinement sont au cœur des préoccupations des gouvernements européens, la question du sort des migrants n’en demeure pas moins essentielle. Qu’ils soient dans des camps de réfugiés, dans des centres de rétention, ou qu’ils tentent de rejoindre l’Europe, les migrants font face à des risques de contaminations significatifs, peuvent difficilement avoir accès aux soins et sont délaissés par certains gouvernements. Cet article abordera les mesures migratoires nationales mises en place par les États membres et les confrontera avec les droits de l’homme conférés par la Charte des droits fondamentaux et la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). 

L’état d’urgence a été déclaré par les États européens. La Lettonie, la Roumanie et l’Estonie ont eu recours à l’article 15 de la CEDH leur permettant une dérogation aux obligations consacrées par la Convention. Cette dérogation n’exempte pas les États de respecter le droit à la vie (article 2), la prohibition de traitements inhumains et dégradants (article 3), l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé (article 4) et le principe “pas de peine sans loi” (article 7). De même, les états d’exception déclarés, sans dérogation à la CEDH, n’exemptent pas les États de respecter les droits fondamentaux. Toutefois, on observe une “priorisation” de certains droits, voire des droits de certaines personnes. Les droits des migrants et réfugiés ont été fragilisés, même oubliés, dans certains États européens ; dans d’autres, des  mesures comme la régularisation des migrants au Portugal ont assuré la garantie de leurs droits. 

Le droit à la vie et la prohibition de traitements inhumains et dégradants (article 2 et 3 CEDH et article 2 et 4 de la Charte des droits fondamentaux).

La fermeture des frontières.

Lors d’un colloque organisé par le Migration Policy Institute (MPI), Natalia Banulescu-Bogdan, la directrice adjointe du programme international de MPI, a déclaré que les failles de la gestion de cette crise sanitaire mettent en lumière les failles du système migratoire. Tandis que le premier réflexe des États pour endiguer le coronavirus a été de fermer les frontières, Natalia Banulescu-Bogdan révèle les risques d’une telle politique. D’abord, la fermeture des frontières ne doit pas être considérée comme la seule et unique solution à cette crise sanitaire. Ensuite, l’utilisation de la nationalité comme donnée déterminante dans la résolution de cette crise donne l’impression qu’un ressortissant national a moins de risque d’être contaminé – même s’il a voyagé récemment dans un pays contaminé -, qu’un migrant qui serait resté dans un camp. Enfin, ces restrictions se fondent sur un postulat simpliste selon lequel la menace vient de l’extérieur. Certes, la mondialisation a joué un rôle dans la propagation de la pandémie ; néanmoins, en se concentrant sur la menace extérieure sans agir à l’intérieur d’un pays, les États ont pris d’énormes risques. (1) Non seulement ils ont ralenti la potentielle résolution de cette crise sanitaire, mais ils ont également justifié une méfiance à l’égard des migrants, qui pourra mettre en péril leur situation dans le monde d’après. 

Par ailleurs, la fermeture des frontières n’abolit pas l’arrivée des migrants. Elle ne fait que les priver de voies légales d’accès au territoire. Ainsi, les États mettent en danger, d’une part, les migrants qui continuent de prendre la mer, et, d’autre part, leur population, puisqu’il n’est pas possible de tester les personnes qui arrivent sur leur territoire.  En effet, l’Organisation Mondiale de la Santé a notamment recommandé de mettre en place un dépistage aux frontières des pays afin d’endiguer la propagation du virus (2).  Néanmoins, les États privilégient les mesures sécuritaires – plus précisément les mesures qui empêchent les migrants de parvenir sur leur territoire – au détriment de mesures plus réalistes, qui prendraient en compte l’arrivée des migrants et limiteraient la propagation potentielle du virus. Le Premier ministre maltais a exprimé les difficultés de prise en charge de migrants eu égard aux places limitées dans le centre Hal Far, qui a été établi pour faciliter la quarantaine des migrants. (4)

Aussi, il a été révélé que, pour empêcher l’arrivée de plus de migrants, Malte aurait mandaté des navires privés pour secourir les bateaux de migrants avant qu’ils ne parviennent dans les eaux territoriales maltaises, permettant ainsi de débarquer les personnes sauvées en Libye.(5) La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a condamné une telle pratique et a exhorté le gouvernement de secourir les migrants en mer et de les accueillir à Malte. Le 8 mai, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations unies a également condamné les pratiques mises en place par Malte et a exigé le rétablissement des missions de recherche et de sauvetage en Méditerranée(6). Quant à la Commission européenne, elle estime qu’elle n’est pas compétente pour considérer la question de sauvetage en mer. Par conséquent, elle se borne à préciser dans une communication du 17 avril 2020 (7) que les restrictions dans le domaine de l’asile doivent respecter les principes de proportionnalité, de non-discrimination et le droit international, notamment le principe de non-refoulement (article 33 Convention de Genève sur les réfugiés de 1951) et l’obligation de prêter assistance (article 98 Convention de Montego Bay). Pour l’instant, les pratiques de Malte restent inchangées et contraires au droit international ainsi qu’au droit européen(8). Ces pratiques s’inscrivent dans la lignée de l’externalisation de la frontière opérée par les pays européens avec des pays dont le caractère sûr semble douteux (exemple de l’Italie et de la Libye ou de la Turquie et de la Grèce).  

De surcroît, malgré la fermeture des frontières, certains pays comme la France ont continué d’exécuter les décisions de retour de migrants dans leur pays d’origine.(9) De même, la Hongrie expulse les étrangers qui auraient violé les règles sanitaires.(10) Outre le caractère arbitraire d’une telle décision, les mesures d’expulsion semblent aller à l’encontre de l’objectif poursuivi par la fermeture des frontières : limiter la propagation du virus.

L’accès aux soins

Un autre point essentiel à prendre en compte dans les mesures de résolution de la crise sanitaire : l’accès aux soins pour tous. Ainsi que le relève Joel Millman, porte-parole de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) : “societies are healthier if everybody’s healthier” (les sociétés sont en bonne santé si tout le monde est en bonne santé). L’accès aux soins des migrants est fondamental. 

Pour ce faire, le Portugal a décidé de régulariser les migrants. Cela a non seulement permis l’accès aux soins – et par conséquent de freiner la propagation du virus – mais également de réduire les risques de contaminations causés par le maintien des rendez-vous aux services d’immigration pour les agents comme pour les migrants et demandeurs d’asile. La régularisation favorise l’accès à d’autres services tels que l’assistance financière, qui peut également accélérer le processus de rémission. (11)

Par ailleurs, la ville de Lublin (Pologne) a été la première municipalité dans le pays à établir une procédure permettant aux ressortissants d’États tiers d’obtenir un numéro de sécurité sociale.(12) Barcelone a également mis en place une procédure rapide de régularisation des migrants qui avaient soumis une demande de permis de résidence ou de permis de travail. 

Toutefois, la méfiance, que peuvent éprouver les migrants à l’égard des autorités du fait de leur irrégularité ou des traumatismes qu’ils ont vécus, peut mettre en péril leur aspiration à être pris en charge et à déclarer l’apparition de symptômes. Le Gouvernement irlandais a pris cela en compte en déclarant que tous les individus, avec ou sans papiers, devraient avoir accès aux soins essentiels sans craintes. Le gouvernement a ajouté que les services qui les prendraient en charge ne partageraient aucune de leurs informations avec le département de la justice et de l’égalité .(13)

La contamination dans les centres de rétention et de réception, les camps et les zones d’attente. 

Les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asiles font également partie de la population la plus vulnérable face au COVID-19 du fait de leur situation. En effet, la plupart habite dans des camps, dont les conditions sanitaires sont déplorables ou dans des centres de rétention, souvent surpeuplés. Aussi, une des mesures prioritaires de gestion de cette crise serait d’évacuer ces camps et centres de rétention et de trouver un logement viable aux personnes y vivant. En effet, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Madame Mijatovic, a exigé la libération des migrants en rétention comme mesure d’endiguement du virus, considérant que les centres de rétention rendaient difficile – voire impossible – la distanciation sociale et autres mesures essentielles pour limiter l’infection des migrants et du personnel. A Bologne (Italie) par exemple, des personnes vivant dans des centres d’accueil ont écrit une lettre ouverte aux autorités, déplorant les conditions de vie et d’hygiène dans ces camps.(14)  Madame Mijatovic a par ailleurs félicité la Belgique, les Pays-Bas et le Royaume Uni pour avoir déjà vidé leurs centres de rétention. (15)

L’Espagne, également, a procédé à l’évacuation de sept centres de rétention et une annexe en l’espace d’une cinquantaine de jours dès lors qu’il a été rendu évident que l’expulsion de migrants à destination de leur pays d’origine n’était pas envisageable. En effet, sans possibilité d’expulsion, la rétention perd de son effet utile (16) , ce qu’a confirmé la Commissaire aux droits de l’homme, en rappelant que la mise en rétention des migrants n’était conforme aux traités des droits de l’homme que dans l’optique d’exécuter une décision de retour (17). La libération des centres de rétention, n’étant pas prévue par le décret relatif à l’état d’urgence, a d’abord été initiée par un juge qui ordonna, le 31 mars, l’évacuation du centre de rétention Las Palmas de Gran Canaria, où l’on avait détecté une progression de contagion du virus. D’autres juges lui ont emboîté le pas, prenant des décisions individuelles de libération de personnes dans ces centres. Finalement, le ministre de l’Intérieur et le Secrétaire d’État à la migration ont œuvré de concert afin de vider les centres de rétention. Le journal El Pais rapporte qu’il s’agit d’une situation sans précédent. En effet, trois avocats espagnols spécialisés en droit des étrangers confirment qu’ils n’ont pas vu une situation pareille depuis 1985, date à laquelle ces centres furent créés. En décembre, les centres de rétention comptabilisaient 85 % d’occupation.(18)

En France, les centres de rétention n’ont pas été désengorgés. Les démantèlements des camps sont rarement accompagnés d’alternative de logement. Sur 500 personnes qui étaient dans le camp d’Aubervilliers à la lisière de Paris, 200 ont été installées dans des gymnases. A Calais, l’absence de logement est dénoncée par les associations.  Des « centres de desserrement » ont été mis en place en Île-de-France, qui permettront d’abriter plus de 300 migrants potentiellement contaminés. Par ailleurs, le Gouvernement français continue de maintenir des migrants dans des zones d’attente qui ne respectent pas les règles sanitaires. Le manque de gel hydroalcoolique, de désinfection des lieux et l’absence de possibilité de changer de masque toutes les 4 heures comme recommandé, laissent les migrants dans des conditions indignes et insalubres. Le 7 mai, 78 ressortissants européens étaient à Roissy, parmi lesquels 73 bulgares, furent renvoyés dans leur pays (19), rendant encore une fois inutile la fermeture des frontières. 

 Source : Info Migrants . Photo prise à Calais en septembre 2016. Copyrights : Charles Platiau (REUTERS)

Par ailleurs, la Cour de justice de l’UE a considéré que le placement de ressortissants d’États tiers, dans la zone d’attente Röszke , à la frontière Serbo-Hongroise, devrait être qualifié de détention. Elle a également considéré cette détention comme non-conforme au droit européen, notamment à l’article 15 de la directive « retour » (20) encadrant la rétention d’individus qui font l’objet d’une décision de retour (21) et à l’article 18 de la Charte des droits fondamentaux consacrant le droit d’asile. Finalement, la Hongrie a cédé à la Cour de Justice de l’Union européenne et a fermé la zone de transit. Néanmoins, cette victoire de la Cour de Justice a un goût amer dans la mesure où cette décision a été accompagné d’une déclaration du gouvernement prévoyant que dorénavant, les demandes d’asiles devraient être effectuées uniquement dans les ambassades et consulats des États voisins. Ainsi, l’asile ne peut plus être demandé en Hongrie, contrairement aux obligations découlant de la Convention de Genève et du droit européen. (22)

Un jeune migrant sur la route après avoir été gazé par la police hongroise.Source : flickr. Photo de Freedom House, prise près de la zone de transit Roszke .,

Afin de venir en aide aux États européens submergés, la Commission a proposé de transférer certaines personnes dans des États moins touchés. Une initiative avait été lancée le 6 mars, suite à l’ouverture de la frontière gréco-turque, prévoyant le transfert de près de 1 600 mineurs non accompagnés  dans divers pays européens. Alors que la situation des mineurs non accompagnés en Grèce étant déjà déplorable, elle s’est nettement aggravée avec le COVID 19. L’organisation Human Rights Watch a notamment exhorté le Gouvernement grec à libérer 276 mineurs isolés en détention et à leur trouver des accommodations viables.(23) L’Allemagne et le Luxembourg, entre autres, avaient accepté de recueillir des mineurs isolés vivant sur les îles grecques. (24) Néanmoins, l’Allemagne n’est pas non plus exemplaire dans sa gestion des migrants. Récemment, une centaine de personnes vivant dans le centre Schweinfurt Anker ont contracté le virus, puisque comme dans les autres États européens, la mise en place de mesures barrières était impossible. Pour l’instant, l’Allemagne a accueilli 47 mineurs isolés, un nombre qui semble minime au vu de la situation grecque. Reste à savoir quand (et si) l’Allemagne tiendra sa promesse. Le 26 mai, la France a également accepté d’accueillir 350 mineurs non accompagnés, venant de Grèce, en plus des 400 demandeurs d’asiles, qui étaient prévu originellement.(25)

 Une fillette syrienne. Source : flickr. Photo de Freedom House, prise à Kos (Grèce). 

L’interdiction de discrimination. 

Les mesures migratoires ou l’absence de mesures peuvent conduire à une forme de discrimination des migrants, réfugiés ou demandeurs d’asile. 

L’exacerbation des inégalités et la marginalisation des migrants.

L’assistance financière est essentielle dans la protection des migrants contre le COVID-19 pour deux cas de figure. Certains migrants sont contraints de travailler, tandis que d’autres ont vu leur situation financière se précariser du fait de l’arrêt de leur travail. 

Premier cas de figure. 

  • A Forli (Italie), la société civile a réclamé la régularisation des migrants qui n’avaient pas de permis de séjour valide, l’optimisation des conditions sanitaires générales, la surveillance consciencieuse de leur santé afin de limiter la propagation du virus, et la réduction d’emplois irréguliers afin de faire avancer la contribution des travailleurs migrants dans les domaines économiques essentiels. Il est important de noter qu’améliorer les conditions de travail des migrants n’est pas seulement nécessaire pour les migrants mais l’est également pour l’économie de l’État en question (il y a environ 370 000 travailleurs étrangers employés dans le secteur agricole en Italie)(26). En outre, avec la fermeture des frontières, le nombre de travailleurs saisonniers est considérablement réduit ; les États ont donc intérêt à faciliter le travail des migrants. En France, le préfet de Seine et Marne a notamment fait appel aux réfugiés pour récolter les fruits et légumes en terre afin de “combler le manque de main d’œuvre que connaît le secteur en cette période et qui habituellement fait appel à des saisonniers communautaires et extra-communautaires” selon le communiqué de presse. Au Portugal, la municipalité de Odemira a mis en place des infrastructures de quarantaine pouvant accueillir jusqu’à 500 migrants travaillant dans le secteur agricole.(27) 

Par ailleurs, médecins et infirmiers ressortissants d’État-tiers ont été mobilisés dans certains pays comme en Allemagne.(28) Selon le journal Libération, ils seraient 14 000 sans autorisation d’exercer.(29) Non seulement cette mobilisation a permis d’alléger la tâche des médecins allemands, mais elle a permis de faciliter le soin d’étrangers ne parlant pas allemand. Selon Statistics Sweden, 34% des médecins pratiquants et 12% des infirmiers en Suède sont  issus de l’immigration. Barcelone a également mis en place des procédures facilitant le recrutement de personnel soignant étranger. 

Il y a aussi le cas des livreurs, travailleurs non-moins-essentiels en temps de confinement. En effet, le nombre de livraisons à domicile a augmenté lors du confinement grâce au développement des livraisons sans contact. Le Gouvernement français n’a préconisé dans son “Guide des précautions sanitaires à respecter dans le cadre de la livraison de repas à domicile” ni l’octroi de masques ni de gel hydro-alcoolique.(30) Par ailleurs, les livreurs sans-papiers se sont exposés à d’autres risques : celui du contrôle policier qui comprend également le contrôle de l’identité.(31) 

Deuxième cas de figure. 

  • Les migrants, déjà dans des situations financières précaires, ont vu celles-ci empirer du fait de l’arrêt temporaire ou permanent de leur travail. Afin de leur venir en aide, les municipalités italiennes ont mobilisé 3.8 millions d’euros pour soutenir la construction de logements temporaires pour les migrants, l’achat de services de transport et toute mesure permettant d’endiguer le risque de contagion.(32) En Irlande, le gouvernement a mis en place une allocation chômage à disposition pour toute personne, ressortissant national ou d’État tiers, qui a perdu de manière temporaire ou permanente son travail en raison de la pandémie. (33) Cette allocation est de 350 euros par semaine, somme légèrement supérieure au salaire minimum irlandais. 

Instrumentalisation politique et retour à la xénophobie ? 

Le grand risque précédemment évoqué serait un retour à la xénophobie, à la crainte de l’autre et à l’instrumentalisation par les partis populistes. Thierry Chopin, professeur de Science politique et conseiller spécial de l’Institut Jacques Delors, a d’ailleurs remarqué que les thèmes politiques au cœur de la crise sanitaire sont des thèmes récurrents des discours populistes : frontière, démocratie libérale et nationalisme. (34)

En effet, en Hongrie, Viktor Orbán n’a pas mis longtemps à faire le lien entre migration et COVID-19 en déclarant que “les deux peuvent se répandre en bougeant”.(35) Pour le Premier ministre hongrois, le seul et unique vecteur de propagation du COVID-19 est l’étranger. D’ailleurs, le Gouvernement hongrois a expulsé 14 étudiants iraniens pour avoir violé les règles sanitaires.(36) La loi du 30 mars, hautement décriée et adoptée dans le cadre de l’état d’urgence, autorise en effet l’expulsion des étrangers qui ne respecteraient pas les règles sanitaires. La prolongation de validité des documents d’identité n’est octroyée qu’aux ressortissants nationaux et aux ressortissants d’un pays appartenant à l’espace économique européen.(37)

Conclusion : 

Les États européens n’ont pas une gestion unique et identique de la migration : les mesures migratoires mises en place lors du COVID-19, oscillent entre bonnes et mauvaises pratiques. Certes, les États membres sont encadrés et leur action est limitée par les mêmes textes européens et de droits fondamentaux. Mais ils n’ont pas tous adopté des pratiques migratoires similaires face à cette crise dans la mesure où ils ne sont touchés ni par l’immigration, ni par la crise sanitaire de la même manière. En outre, même au sein des États, les municipalités ont adopté des politiques migratoires différentes.

Si la gestion de la crise sanitaire met en évidence les failles de la gestion migratoire, elle met également en avant les aspects positifs de celle-ci. Les mesures et pratiques relatives à la migration établies à l’aune du COVID-19 ont confirmé l’urgence de corriger et la nécessité de valoriser certaines pratiques. Ainsi, plusieurs leçons tirées du passé sont à rappeler :

  1. Les conditions des centres de rétention, de réception, des camps, et des zones d’attente sont insalubres, inhumaines et indignes. Même si les ONG ont averti de nombreuses fois sur ce fait, il n’y a pas eu d’amélioration notable des accommodations des migrants. La pandémie met en évidence la nécessité d’y remédier au plus vite : non seulement les conditions de vie violent les droits de l’Homme, mais en plus elles mettent en péril la santé des populations.
  2. La politique d’externalisation des frontières est illégale et contradictoire. Elle est illégale car contraire à l’obligation de prêter assistance et au principe de non-refoulement consacré en droit international et en droit européen. Elle est contradictoire car la sécurisation des frontières consiste surtout à priver les migrants de voies d’accès légales à l’espace européen et par conséquent à les mettre plus en danger. 
  3. L’instrumentalisation politique de la question migratoire met en danger les migrants. Durant cette crise, les migrants ont été, encore une fois, présentés comme une menace dans certains pays accentuant la méfiance des ressortissants nationaux à l’égard des migrants et engendrant de facto l’ostracisation des ressortissants d’État tiers. 
  4. La mise en place de pratiques locales devrait être privilégiée afin de permettre aux migrants de bénéficier de la protection la plus pertinente et donc la plus efficace. Du fait du caractère urgent de la crise sanitaire, il a été révélé qu’il s’agissait de l’échelle la plus efficace pour venir en aide aux migrants et aux demandeurs d’asiles. En effet, un certain nombre de bonnes pratiques ont été mis en place par des municipalités. 
  5. Les migrants peuvent représenter un intérêt économique pour les États. Pendant la crise, les gouvernements ont été contraints d’apporter un soutien aux migrants qui alimentent l’économie de plus d’un pays. Ainsi, les législateurs devraient davantage prendre cela en compte lorsqu’ils établissent des politiques migratoires. Dans ce sens, une lueur d’espoir apparaît en Italie avec le décret de relance établi par le gouvernement italien. Ce décret autorise notamment la régularisation temporaire des migrants (pour une période de 6 mois), qui permettra de faire obstacle aux conditions de travail précaires et contraires aux droits fondamentaux. A la fin du délai imparti, si l’employeur souhaite embaucher le migrant, celui-ci se verra octroyer un permis de résidence de longue durée. 

Les besoins économiques des États européens et la nouvelle conception de la société qui peut émerger de la fin de cette crise pourraient-ils conduire à des politiques migratoires plus viables et plus respectueuses des droits fondamentaux ? 

Adèle Monod


1Le webinar “Migration & Coronavirus : A Complicated Nexus Between Migration Management and Public Health” de Migration Policy Institute (MPI) : https://www.migrationpolicy.org/multimedia/migration-coronavirus-complicated-nexus-between-migration-management-and-public-health

2World Health Organisation, Preparedness, prevention and control of coronavirus disease (COVID-19) for refugees and migrants in non-camp settings

3Times of Malta “Don’t deny stranded migrants human rights CoE commissioner tells Abela” https://timesofmalta.com/articles/view/dont-deny-stranded-migrants-human-rights-coe-commissioner-tells-abela.791303.amp?__twitter_impression=true

4P. Kingsley et H. Wilis,”Latest Tactic to Push Migrants From Europe ? A Private, Clandestine Fleet  https://www.nytimes.com/2020/04/30/world/europe/migrants-malta.html

5Op cit. 3

6Rupert Colville, Press briefing note on Migrant rescues in the Mediterranean’, https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=25875&LangID=E

7Commission, ‘COVID-19 : orientations relatives à la mise en oeuvre des dispositions pertinentes de l’UE régissant les procédures d’asile et de retour et à la réinstallation’, (COM), C-126/12.

8L’article 18 de la Charte des droits fondamentaux prévoit notamment la garantie du droit d’asile « dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 »

9L. Carretero, ‘La France a expulsé des migrants malgré les mesures de lutte contre le coronavirus’, https://www.infomigrants.net/fr/post/23591/la-france-a-expulse-des-migrants-malgre-les-mesures-de-lutte-contre-le-coronavirus 

10Info Migrants, La Hongrie expulse des étudiants iraniens pour non-respect des règles sanitaires, https://www.infomigrants.net/fr/post/24155/la-hongrie-expulse-des-etudiants-iraniens-pour-non-respect-des-regles-sanitaires

11A.Schmitt et E. Massimino, ‘A Migrant Model To Follow : Portugal’s Response to the Coronavirus’, https://www.americanprogress.org/issues/security/news/2020/04/10/482998/migrant-model-follow-portugals-response-coronavirus/ 

12Council of Europe, ‘Intercultural Cities : COVID-19 Special page’, https://www.coe.int/en/web/interculturalcities/covid-19-special-page#{%2262433518%22:[6]}

13Voir le tweet du Migrant Rights Centre Ireland, https://twitter.com/MigrantRightsIr/status/1241070050796281859?s=20

14European Commission, ‘Overcrowded reception centres and informal settlements make migrants vulnerable to COVID-19’, https://ec.europa.eu/migrant-integration/news/overcrowded-reception-centres-and-informal-settlements-make-migrants-vulnerable-to-covid-19

15Keep Talking Greece, ‘ “Migrants must be released from detention” says CoE Human Rights Comissionner’ https://www.keeptalkinggreece.com/2020/04/06/coe-human-rights-migrants-release-detention/ 

16(a loi espagnole prévoyant une admission dans un centre de rétention pour 60 jours maximum afin de mettre en place l’expulsion

17“Selon le droit relatif aux droits de l’homme, la détention de migrants aux fins de tels renvois n’est légale que si les renvois peuvent effectivement avoir lieu. À l’évidence, cette perspective n’est pas envisageable dans la plupart des cas pour le moment.” Déclaration de la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe,https://www.coe.int/fr/web/commissioner/thematic-work/covid-19/-/asset_publisher/5cdZW0AJBMLl/content/

18M. Martin , ‘Los centros de internamiento de los extranjeros se vacian por primera vez en tres decadas’, https://elpais.com/espana/2020-05-06/se-vacian-los-centros-de-internamiento-de-extranjeros-por-primera-vez-en-tres-decadas.html

19Communiqué de l’Observatoire de l’enfermement des étrangers,‘78 Européens enfermés dans la zone d’attente de Roissy en pleine épidémie du Covid-19 : L’acharnement du gouvernement doit cesser !’, http://www.anafe.org/spip.php?article564 

20Directive 2008/115/CE, 16 décembre 2008, OJ L 348

21Voir notamment le paragraphe 1 qui dispose : “À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque: a)il existe un risque de fuite, ou b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.”

22Voir notamment les articles : J. Le Pavous, ‘Hongrie.Migrants : Viktor Orbán cède face à l’UE’ (le courrier international),  https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/hongrie-migrants-viktor-orban-cede-face-lue et  J.B. Chastand, ‘La Hongrie libère des migrants détenus illégalement depuis des années à la frontière’,  https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/21/la-hongrie-libere-des-migrants-detenus-illegalement-depuis-des-annees_6040366_3210.html

23ANSA, ‘HRW urges Greek government to move migrant minors to safety’, https://www.infomigrants.net/en/post/24927/hrw-urges-greek-government-to-move-migrant-minors-to-safety 

24M. Udrescu, ‘Gestion de la migration dans une Union européenne confinée : la Commission publie un guide et évite les sujets qui fâchent’, https://www.lalibre.be/international/europe/gestion-de-la-migration-dans-une-union-europeenne-confinee-la-commission-publie-un-guide-et-evite-les-sujets-qui-fachent-5e989ca09978e2183364c2dd

25Info migrants, ‘La France va accueillir 750 migrants de Grèce’, https://www.infomigrants.net/fr/post/24976/la-france-va-accueillir-750-migrants-de-grece 

26European Commission, ‘Impact and Outreach Covid-19 and migrant communities, https://ec.europa.eu/migrant-integration/news/covid-19s-impact-on-migrant-communities

27European Commission, ‘Portuguese municipality prepares 500 quarantine places for foreign agricultural workers’, https://ec.europa.eu/migrant-integration/news/portuguese-municipality-prepares-500-quarantine-places-for-foreign-agricultural-workers 

28C. Goßner, ‘Comment les immigrés ont permis de renforcer le système de santé allemand’, 

29J. Luyssen, ‘En Allemagne, des médecins étrangers volontaires dans la lutte contre le coronavirus’, https://www.liberation.fr/planete/2020/05/11/en-allemagne-des-medecins-etrangers-volontaires-dans-la-lutte-contre-le-coronavirus_1784727

30Site du Gouvernement français, ‘Coronavirus COVID-19 : Guide des précautions sanitaires à respecter dans le cadre de la livraison de repas à domicile’, https://www.economie.gouv.fr/coronavirus-guide-des-precautions-sanitaires-livraison-repas

31R. Yang, ‘Les livreurs sans-papiers redoutent les contrôles de police’, https://www.streetpress.com/sujet/1587546077-livreurs-sans-papiers-redoutent-controles-police-coronavirus-confinement

32Op. Cit. 11

33Site du Gouvernement irlandais, ‘COVID-19 Pandemic Unemployment Payment’, https://www.gov.ie/en/service/be74d3-covid-19-pandemic-unemployment-payment/

34A. Cantener, ‘Le retour des frontières en Europe’, RFI https://savoirs.rfi.fr/fr/comprendre-enrichir/sante/le-retour-des-frontieres-en-europe

35ibid. 

36Op. cit. 9

37European Commission, ‘Impact of government measures related to the coronavirus on third-country nationals in Hungary’, https://ec.europa.eu/migrant-integration/news/impact-of-government-measures-related-to-the-coronavirus-on-third-country-nationals-in-hungary


Pour plus d’informations. 

Le live blog du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés,  ‘Refugees in the COVID-19 crisis’, disponible sur : https://www.unhcr.org/en-us/news/stories/2020/4/5e79e2410/live-blog-refugees-covid-19-crisis.html

Le commentaire de Natalia Banulescu-Bogdan, Meghan Benton, et Susan Fratzke sur le site de MPI, “Coronavirus Is Spreading across Borders, But It Is Not a Migration Problem”, disponible sur : https://www.migrationpolicy.org/news/coronavirus-not-a-migration-problem

Le numéro d’avril-juin 2020 du journal Migration Policy Practice “COVID-19 : a new challenge for migration policy”, disponible sur : https://publications.iom.int/books/migration-policy-practice-vol-x-number-2-april-june-2020

L’article “Le respect de la Convention européenne des droits de l’homme en temps de crise sanitaire mondiale” de Carole Nivard dans la Revue des droits de l’homme disponible sur : https://journals.openedition.org/revdh/8989

L’article ‘Treat migrants with dignity and respect during pandemic : UN migration agency’, disponible sur : https://news.un.org/en/story/2020/03/1059682

Le Site Migration Data Portal : https://migrationdataportal.org/themes/migration-and-health

La rubrique ‘COVID-19’s impact on migrant communities’ du site de la Commission : https://ec.europa.eu/migrant-integration/news/covid-19s-impact-on-migrant-communities

La Communication de la Commission du 17 avril 2020,  ‘COVID-19: orientations relatives à la mise en œuvre des dispositions pertinentes de l’UE régissant les procédures d’asile et de retour et à la réinstallation’, C-126/12, disponible sur : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020XC0417%2807%29 

Le portail du Conseil de l’Europe, ‘Cités interculturelles : page spéciale COVID-19’ : https://www.coe.int/fr/web/interculturalcities/covid-19-special-page

Les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé : ‘Coronavirus disease (COVID-19) technical guidance: humanitarian operations, camps, and other fragile settings as well as refugees and migrants in non-humanitarian and non-camp settings’, disponible sur : https://www.who.int/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/technical-guidance/humanitarian-operations-camps-and-other-fragile-settings

La tribune du journal Le Monde : ‘Coronavirus : “Sauvegardons les droits fondamentaux pendant la crise sanitaire”’, disponible sur : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/20/coronavirus-sauvegardons-les-droits-fondamentaux-pendant-la-crise-sanitaire_6033892_3232.html

L’article de Association for Juridical Studies on Immigration : ‘COVID-19 emergency : it is essential to regularize foreign citizens’, disponible sur : https://en.asgi.it/covid-19-emergency-it-is-essential-to-regularize-foreign-citizens/ 

L’article de The New Humanitarian : ‘Italy’s coronavirus amnesty : Migrant rights or economic self interest?’ : https://www.thenewhumanitarian.org/feature/2020/05/25/Italy-coronavirus-migrant-labour?utm_source=The+New+Humanitarian&utm_campaign=f4225a25c6-EMAIL_CAMPAIGN_2020_05_29_Weekly&utm_medium=email&utm_term=0_d842d98289-f4225a25c6-75548377 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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