Après la présidence portugaise puis slovène en 2021, la France exercera sa 13ème présidence du Conseil de l’Union européenne durant le premier semestre 2022[1]. Pour la France, membre fondateur de l’Union européenne, il s’agira d’une première depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2009[2]. Comme pour tout Etat membre, la présidence du Conseil de l’UE est une responsabilité importante, d’autant plus dans le contexte de crises sanitaire et économique que l’Union traverse actuellement. Cette présidence ne saurait toutefois être confondue avec celle du « Conseil européen », qui se réunit périodiquement au niveau des chefs d’Etat ou de gouvernement – donc à un degré supérieur au rang des ministres – et dispose d’une présidence « stable » dont le titulaire est élu pour une durée de deux ans et demi. Avant de voir plus en détail les lignes directrices du futur programme établi par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, revenons d’abord sur la dimension institutionnelle que recouvre le Conseil de l’Union européenne afin de mieux comprendre la portée des enjeux et des attentes liés à la présidence française.
Le Conseil de l’Union européenne et sa présidence
Tout d’abord, le Conseil de l’Union européenne constitue l’un des principaux organes décisionnels de l’Union européenne. En effet, le Conseil – dont les compétences, la composition et le fonctionnement sont détaillés à l’article 16 du Traité sur l’Union européenne (TUE) – représente et garantit la voix des Etats membres au sein des différents processus décisionnels de l’Union européenne en rassemblant les ministres de chaque Etats membres par domaine d’activité (Environnement, finance, …). A ce titre, le Conseil exerce avec le Parlement européen la fonction législative. Le Conseil négocie et adopte les actes législatifs avec le Parlement européen sur proposition de la Commission européenne dans le cadre de la procédure législative ordinaire, appelée « codécision ». Celle-ci « est utilisée dans les domaines d’actions dans lesquels l’UE a une compétence exclusive ou partagée avec les Etats Membres »[3], comme par exemple la politique monétaire des pays membres de la zone euro ou encore l’union douanière. Toujours en partenariat avec le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne adopte le budget annuel de l’Union. De plus, le Conseil définit et met en œuvre la politique étrangère et de sécurité de l’UE en s’appuyant sur les grandes orientations définies par le Conseil européen. Le Conseil coordonne les politiques des Etats membres en fournissant des orientations et des recommandations, comme par exemple dans le domaine de la politique de l’emploi. Enfin, le Conseil donne mandat à la Commission afin qu’elle puisse négocier les traités internationaux entre l’UE et un ou un groupe de pays tiers. A la fin des négociations, le Conseil participe à l’adoption du texte avec le Parlement européen.
Si, depuis le Traité de Lisbonne, la codécision représente la procédure législative de droit commun, le Conseil n’en dispose pas moins par ailleurs d’une compétence réglementaire autonome qu’il est appelé à mettre occasionnellement en œuvre – à commencer par son propre règlement intérieur, objet, dans son dernier état, de la décision 2009/937/UE du 1er décembre 2009 (JOUE L 325 du 11.12.2009). Les pouvoirs que le Conseil exerce en matière de législation civile et commerciale se traduisent également par une série de règlements adoptés sous sa seule autorité, le Parlement européen étant appelé à donner simplement un avis.
Le Conseil se réunit, selon le cas, en dix formations différentes. On y retrouve par exemple la formation « Agriculture et pêche », « Justice et affaires intérieures », ou encore « Environnement »[4].
Chaque réunion du Conseil est préparée au sein du « Comité des représentants permanents des gouvernements des États membres de l’Union européenne » (COREPER). Celui-ci rassemble les représentants permanents de chaque Etat membre, qui ont rang d’ambassadeurs auprès de l’Union, afin de coordonner et préparer les travaux des différentes formations du Conseil[5]. En réalité, la majorité des décisions adoptées par le Conseil de l’Union européenne sont prises en amont au sein du COREPER.
Le Conseil a un rôle central dans le processus décisionnel de l’Union et, par conséquent, sa présidence par un Etat membre n’en est que plus importante. En effet, lorsqu’un Etat membre assure la présidence du Conseil, celui-ci organise et préside l’ensemble des formations et des instances préparatoires du Conseil[6] tel que le COREPER. Par exemple, il s’agira pour le ministre de l’Agriculture de l’Etat membre assurant la présidence du Conseil de présider la formation « Agriculture et pêche ». De plus, ce même Etat élabore les compromis susceptibles de désamorcer des dissensions politiques au sein du Conseil et entre le Conseil et le Parlement européen[7]. Dès lors, une responsabilité institutionnelle et politique s’impose à l’Etat membre en charge de la présidence du Conseil. Une responsabilité institutionnelle, car celui-ci doit porter et défendre les positions et les intérêts du Conseil face au Parlement et à la Commission européenne[8]. Une responsabilité politique, puisqu’il s’agit pour l’Etat en charge de la présidence du Conseil de faire avancer les dossiers en cours et de faire progresser l’agenda stratégique européen[9] définit par le Conseil européen[10].
La présidence du Conseil de l’Union européenne est une présidence dite « tournante » puisque chacun des Etats membres assure à tour de rôle la présidence pour une période de six mois. Ce principe de rotation connaît toutefois une exception majeure : la présidence du Conseil des affaires étrangères. Celle-ci est en effet exercée par le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui est en même temps l’un des vice-présidents de la Commission et a pour mission de veiller à la cohérence de l’action extérieure de l’Union (article 18 TUE). Cette exception mise à part, outre l’agenda stratégique européen, la présidence du Conseil fonctionne en trio afin de fixer des objectifs à long terme. Par exemple, le trio actuel de présidences, l’Allemagne (juillet-décembre 2020), le Portugal (Janvier-juin 2021) et la Slovénie (juillet-décembre 2021), a élaboré un programme commun qui définit les grandes thématiques qui seront abordées par le Conseil au cours de la période allant de juillet 2020 à décembre 2021[11]. Puis, sur la base de ce programme, chaque Etat membre du trio élabore son propre programme détaillé. Prenons l’exemple de la présidence portugaise qui se déroule en ce moment. Les grandes lignes du programme portugais reposent sur 5 domaines, qui sont conformes aux objectifs de l’agenda stratégique européen :
-renforcer la résilience de l’Europe
-promouvoir la confiance dans le modèle social européen
-promouvoir une relance durable
-accélérer une transition numérique équitable et inclusive
-réaffirmer le rôle de l’UE dans le monde, en veillant à ce qu’il soit fondé sur l’ouverture et le multilatéralisme [12].
Ces grandes lignes se retrouvent toutes dans le programme commun élaboré par l’Allemagne, le Portugal et la Slovénie, comme dans cet extrait où l’on retrouve les objectifs portugais de relance durable, de transition numérique et de résilience du modèle européen: « Les trois présidences mettront tout en œuvre pour rétablir et approfondir encore le marché unique, conduire la transition écologique et la transformation numérique, s’efforcer d’instaurer la souveraineté numérique, garantir l’autonomie stratégique de l’UE au moyen d’une politique industrielle dynamique, soutenir les petites et moyennes entreprises (PME) et les jeunes entreprises, filtrer les investissements directs étrangers, mettre en place des infrastructures plus résilientes en particulier dans le secteur de la santé, et encourager la production de biens critiques en Europe pour réduire la dépendance excessive à l’égard des pays tiers‒ conformément aux principales recommandations de la feuille de route pour la relance »[13].
Les lignes directrices de la présidence française du Conseil de l’Union européenne
Au premier semestre 2022, la France inaugurera un nouveau trio composé de la République tchèque (juillet-décembre 2022) et de la Suède (janvier-juin 2023). A l’heure actuelle, il faut rappeler que l’on ne sait que peu de choses du futur programme de la présidence française toujours en préparation. Il est fort à parier que la présidence française devra faire face aux conséquences sociales et économiques de la pandémie de Covid-19, conséquences auxquelles fait déjà face la présidence portugaise.
Comme pour le Portugal, la présidence française reposera sur l’agenda stratégique européen 2019-2024. Ce programme, qui oriente les travaux des institutions européennes pendant cinq ans, repose sur quatre grandes orientations :
-protéger les citoyens et les libertés
-mettre en place une base économique solide et dynamique
-construire une Europe neutre pour le climat, verte, équitable et sociale
-promouvoir les intérêts et les valeurs de l’Europe sur la scène mondiale[14]
Ces quatre grandes orientations se retrouveront obligatoirement, en format plus détaillé, dans le programme que définira la France pour janvier 2022. En effet, les responsables chargés de préparer le programme de la future présidence française, c’est-à-dire le Secrétariat général des affaires européennes en coordination avec les autres ministères, ont déjà affiché leur intention de faire aboutir le travail législatif notamment en matière de régulation numérique ainsi que d’ambition climatique et sociale. Les mots clefs sur lesquels se construira le programme français ont été dévoilés par le Ministère de l’Europe et des affaires étrangères le 4 novembre dernier : « relance, puissance, appartenance »[15]. Dans ce communiqué, le Ministère y expose la vision de la future présidence française, « une Europe plus solidaire et plus souveraine » construite « comme un espace citoyen de cultures partagées » dans lequel « se développe une identité riche des diversités mais assise sur des principes et des valeurs communes […] une Europe qui exploite toutes les potentialités de la relance économique et de la transition écologique et numérique [16]».
Cette idée européenne de la France fait écho aux négociations du plan de relance de l’UE durant l’été dernier, appelé « NextGenerationEU » qui mettra à disposition 750 milliards d’euros sous forme de prêts et de subventions pour faire face aux conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid-19, mais aussi afin de rendre les économies européennes plus résilientes et durables face aux différentes crises déjà en cours ou encore à venir[17]. Cet accord soutenu à la fois par la France et l’Allemagne fut historique car les 27 consentirent pour la première fois à réaliser un emprunt commun par le biais de la Commission européenne. Le plan de relance étant composé pour moitié de subventions, les Etats membres n’auront pas à rembourser ce montant à la Commission européenne.
Outre les grandes lignes du travail législatif, la future présidence française sera marquée par la conduite et le rendu des travaux de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Cette Conférence, initiée par la France et l’Allemagne, aura pour objectif de définir l’avenir de la démocratie européenne et du modèle européen[18]. Grand dialogue entre les citoyens européens et les représentants des institutions, la Conférence sur l’avenir de l’Europe devrait aboutir à de profondes réformes institutionnelles.
Enfin, le gouvernement français souhaite profiter de cette occasion pour faire vivre l’esprit européen sur l’ensemble du territoire français. A ce titre, un Secrétariat général de la présidence française du Conseil de l’Union européenne a été mis en place sous l’autorité du Premier ministre afin de coordonner et de soutenir les événements organisés en France par la société civile dans le cadre de la présidence[19]. Strasbourg, Capitale européenne, sera au centre de cette nouvelle présidence, en accueillant notamment les événements les plus importants de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe[20]. Enfin, un comité culturel sous l’autorité du Ministre de la Culture sera mis en place afin d’inciter à la création artistique sur les grands thèmes européens[21].
La présidence française se veut marquante et souhaite incarner un tournant au sein de l’Union européenne. Par son statut de pays fondateur de l’Union européenne et, avant cela, de la CECA[22], de la CEE et de l’Euratom[23], la présidence française aura la lourde tâche de participer, avec la Commission Von der Leyen, à la relance du projet européen, fragilisé par les différentes crises comme le Brexit ou la pandémie mondiale de Covid-19. Première présidence depuis plus de 10 ans, la France souhaite que celle-ci s’inscrive à la fois dans la continuité par le travail législatif et dans le renouveau par la Conférence sur l’Avenir de l’Europe. N’oublions pas que cette présidence sera aussi teintée de politique interne avec l’enjeu des élections présidentielles françaises qui auront lieu à la fin du premier semestre 2022.
[1] « Conseil de l’UE : les enjeux de la présidence française pour 2022 », vie-publique.fr, 17 novembre 2020.
[2] Ibid.
[3] « Le Conseil de l’Union européenne », consilium.europa.eu.
[4] « Le Conseil de l’Union européenne », touteleurope.eu, 21 novembre 2018.
[5] « Coreper », consilium.europa.eu.
[6] « La présidence tournante du Conseil de l’Union européenne », touteleurope.eu, 4 janvier 2021.
[7] Ibid.
[8] « Présidence française du Conseil de l’Union européenne de 2022 », ambafrance.org, 4 novembre 2020.
[9] L’agenda stratégique européen est un programme politique qui oriente les travaux des institutions européennes pendant 5 ans.
[10] « Présidence française du Conseil de l’Union européenne de 2022 », op. cit.
[11] « Le Conseil de l’Union européenne », op. cit.
[12] Ibid.
[13] Extrait du Programme de 18 mois du Conseil, du 1er juillet au 31 décembre 2021.
[14] « Un nouveau programme stratégique 2019-2024 », consilium.europa.eu, 20 juin 2019.
[15] « Conseil de l’UE : les enjeux de la présidence française pour 2022 », op.cit.
[16] « Présidence française du Conseil de l’Union européenne de 2022 », op.cit.
[17] Commission européenne, « Facilité pour la reprise et la résilience », ec.europa.eu.
[18] « Conseil de l’UE : les enjeux de la présidence française pour 2022 », op.cit.
[19] « Présidence française du Conseil de l’Union européenne de 2022 », op.cit.
[20] Ibid.
[21] Ibid.
[22] Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA)
[23] Communauté économique européenne (CEE), Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA ou Euratom)