« Malgré quatre années de viols subis, dix-huit années de violences et d’autodestruction, je suis la preuve qu’on peut s’en sortir. Mais pour ça, il faut parler ! La honte doit changer de camp. On n’est pas coupables, on est victimes. » Les mots de Sébastien Boueilh, ancien rugbyman victime d’abus sexuels par un proche lors de son enfance – qui m’a accordé un entretien, résonnent à l’autre bout du fil. Quoi de plus vrai pour quelqu’un qui a créé son association Colosse aux pieds d’argile en juin 2013, à la sortie d’un procès long de quatre ans où son agresseur a écopé de dix ans de prison. Le but de son initiative est simple : agir par l’intermédiaire de la « prévention aux risques de violences sexuelles, de bizutage et de harcèlement en milieu sportif, la formation des professionnels ainsi que l’accompagnement et l’aide aux victimes ». Depuis 2018 et le mouvement #MeToo, une vague de témoignages de personnes agressées sexuellement comme Sébastien Boueilh ont inondé les réseaux sociaux, les médias et, plus largement, l’espace public en Occident et ailleurs dans le monde. Ce mouvement de libération de la parole rend compte d’un phénomène caché depuis des années dans l’énorme majorité des domaines professionnels et des milieux sociaux. Récemment, on peut penser au nageur Yannick Agnel, qui a admis avoir couché avec une mineure de treize ans. Les agressions sexuelles touchent notamment les femmes, en grande majorité. L’encre a coulé sur le sujet depuis lors. Certaines accusations fallacieuses comme la toute première du mouvement français #BalanceTonPorc ont alimenté une critique vive de ce mouvement. Pourtant, une omerta, autrement dit un silence généralisé et systématique autour de ce sujet, existe bel et bien. En Europe, un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles d’après le Conseil de l’Europe, tandis que 81% des personnes victimes de violences sexuelles le sont avant leur majorité.
Le cas spécifique du milieu sportif
Cette omerta existe encore aujourd’hui dans le sport, bien que la parole se libère progressivement quant aux abus et aux violences sexuelles, plus spécifiquement sur les mineurs. Comme le rapporte le média belge RTBF, les trois quarts des enfants ayant pratiqué un sport en Europe auraient subi des abus psychologiques ou physiques. Ces derniers sont très souvent commis par l’entraîneur, un encadrant ou bien un proche de l’enfant ; la figure d’autorité assied sa position dominante.
Dans le football, le problème est de taille. Patrice Evra, ancien joueur de l’Equipe De France de football aux 81 sélections, a récemment fait une déclaration retentissante. En effet, il reconnaît dans un livre paru récemment avoir été abusé sexuellement par un professeur chez qui il dormait à l’âge de treize ans. Ce n’est évidemment pas le seul. On peut penser à Sarah Abitbol, patineuse artistique qui fut en quelque sorte le point de départ de la libération de la parole dans le sport. Le journaliste, écrivain et vidéaste Romain Molina a également révélé plusieurs affaires d’abus sexuels dans des fédérations aux quatre coins du monde, via différents médias comme le Guardian ou le New York Times et surtout via sa chaîne Youtube. Du Mali jusqu’en Haïti en passant par la France, des fédérations sportives du monde entier connaissent ce genre de drames. Et dans le monde entier, les fédérations couvrent souvent l’agresseur, en étouffant la parole des personnes agressées.
Romain Molina a donc contribué à révéler, avec son collègue anglais Tariq Panja, les affaires d’une entraîneuse au CNFE (l’ancien nom du centre de formation de football féminin en France) et celle David San José, un ancien entraîneur ayant harcelé un joueur de football de treize ans. Le coupable est d’ailleurs resté en poste pendant huit années durant, alors que la FFF l’avait renvoyé pour ses agissements sans en avertir ses futurs employeurs. Ça ne serait pas un cas isolé, d’après Molina. D’ailleurs, la Fédération française de football (FFF) a récemment été condamnée par le conseil des prud’hommes de Paris à une amende suite à une affaire de harcèlement sexuel de la part de son directeur financier envers une salariée en 2018. « Depuis plusieurs mois maintenant, je suis alerté sur des dysfonctionnements et des relations de travail tendues au sein de l’équipe de direction […] », expliquait Noël Le Graët, président de la FFF, dans un e-mail auquel a eu accès le New York Times. Ce message montre un président qui s’est laissé dépasser par les événements. Le journal étatsunien explique également avoir interrogé « plus d’une demi-douzaine d’employés passés et actuels de la FFF [qui] ont décrit un environnement de travail où le langage grossier, les abus psychologiques et le stress étaient monnaie courante, et où la consommation d’alcool générait des attitudes déplacées comme par exemple l’irruption d’employés masculins dans la chambre d’une collègue sans sa permission ». En effet, le problème est inhérent à la fédération depuis des années : des maladies anales de plusieurs joueurs professionnels évoluant encore aujourd’hui en Ligue 1 seraient directement liés à des viols répétés dans leur enfance et adolescence à Clairefontaine… Et cela arrive dans toutes les sphères de la fédération. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres : les actions de Romain Molina ainsi que d’autres journalistes du Guardian ont mené à ce que des présidents de fédérations soient mis à pied pour abus sexuels. Ce fut le cas en Haïti avec Jean-Yves Bart ou encore en Afghanistan avec Keramuddin Karim, qui ont agressé plusieurs jeunes filles.
Alors, une fois que l’on a pris conscience du problème, on peut légitimement se demander comment le repérer en amont. Y a-t-il un profil type d’agresseur ? Comment prévenir ces agressions répétées et systémiques dans le sport ?
Quel est le profil-type d’un agresseur ?
Il n’y a pas qu’un seul profil, comme nous l’ont montré certains scandales tels que celui d’une entraîneuse de jeunes équipes féminines à l’INF Clairefontaine – institution réputée dans la formation de joueuses professionnelles de football en France. Elle aurait eu des relations sexuelles avec plusieurs mineures de moins de quinze ans. « Il existe un déni généralisé de l’agression féminine induit par l’idéalisation de la maternité. Lorsque les femmes commettent des actes de violence, elles le font généralement dans la sphère privée, au sein du foyer, contre elles-mêmes ou contre les enfants », rappelle l’association Colosse aux pieds d’argiles.
Cependant, une tendance se dégage. Le profil-type correspond, selon l’association, à un homme dans 90 à 95% des cas, connu de la victime. Il possède généralement des traits de caractère tels qu’un manque d’amour-propre, un passé lié à l’abandon qui rend difficile à vivre le phénomène de perte, une difficulté à s’exprimer, l’utilisation du « clivage et du déni » comme manière de se défendre et une « perturbation de la relation à l’autre ». L’agresseur choisit généralement une victime isolée, avec peu de présence familiale. La famille joue un rôle clé : si l’agresseur est proche de la famille, comme ce fut le cas pour Sébastien Boueilh, il n’est pas soupçonné. Pire, lorsque la victime parle, on ne la croit pas, ou on lui prête des intentions de nuire. A cela s’ajoutent les stratégies développées par l’agresseur : il choisit souvent la persuasion, la menace, voire la corruption.
Dans le sport, une relation plus spécifique au milieu s’instaure. Non seulement l’entraîneur aiguille l’enfant et lui apprend une certaine rigueur, mais il endosse également parfois le rôle de parent quand l’enfant manque de repère parental. C’est le cas pour un certain nombre d’enfants qui se consacrent énormément à leur discipline sportive : les parents sont parfois loin et n’ont aucun mal à laisser l’entraîneur passer beaucoup de temps avec leur enfant. Pour le cas de Sarah Abitbol, son entraîneur avait profité de la confiance de ses parents pour passer plus de temps à l’entraînement avec elle, justifiant cela par son besoin de travail pour progresser. Hubert Ripoll, professeur universitaire, psychologue du sport et coach sportif, explique dans un entretien pour La Croix : « Un bon entraîneur emmène l’enfant là où celui-ci a envie d’aller. C’est quelqu’un qui lui apporte de l’attention et avec qui il peut avoir une relation privilégiée. En somme, c’est quelqu’un qui fait confiance, en qui on a confiance et qui accompagne le projet du sportif ».
De plus, l’enfant a bien souvent du mal à mettre des mots sur sa relation avec l’entraîneur, ce qui implique une délimitation floue quant à ce que peut faire ou non un entraîneur. Selon l’âge, la perception de ce qu’il lui est arrivé peut aussi être différente. « Les plus jeunes ne sont pas en mesure de voir la gravité d’un événement, les enjeux et les conséquences. Leur immaturité ne leur permet pas de différencier le bien du mal, ni de s’opposer aux adultes. A la recherche d’amour, d’affection, d’attention et animés par la curiosité : ils peuvent accepter l’activité sexuelle avec l’adulte abuseur. Il est également possible que l’enfant ne dise rien par absence de langage ou manque de vocabulaire. », explique Colosse aux pieds d’argile. « Le milieu sportif peut être propice aux agressions car les contacts physiques sont souvent nécessaires et il existe une grande tolérance pour les violences physiques. Il y a un déséquilibre dans le rapport de force entre les entraîneurs et les athlètes dans lequel un système de récompense s’immisce. » Les sentiments de honte et de culpabilité reviennent chez beaucoup de victimes, à tout âge. La peur de ne pas être cru et de créer une instabilité familiale ou parmi ses proches est aussi accrue, notamment chez les plus âgés.
Alors, comment mettre fin à l’impunité des auteurs de ces agressions sexuelles qui poussent une victime sur deux agressée dans son enfance à tenter de se suicider ?
On pourrait penser dans un premier temps à la justice.
Le bagage juridique en France
Mais en France, les outils juridiques sont là. Le cadre juridique existe. Par exemple, pour une atteinte sexuelle sur mineur, la peine encourue peut aller de trois à sept ans de prison et être assortie d’une amende allant de 45 000 à 100 000 euros .Pour rappel, une atteinte sexuelle correspond au fait « pour un majeur d’avoir une relation sexuelle consentie (pas de violence, menace, contrainte) avec un mineur de 15 ans ou par une personne ayant autorité de droit ou de fait sur un mineur entre 15 et 18 ans» ce qui est « puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende » (ici, mineur de 15 ans correspond aux mineurs de moins de 15 ans, âge de la majorité sexuelle en France). De plus, une agression sexuelle est passible de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende sans circonstance aggravante (le fait d’agresser un mineur étant aggravant). Le viol peut entraîner une peine de quinze à trente ans de prison ferme selon les circonstances. L’exhibition sexuelle, le harcèlement sexuel, la corruption de mineur sont aussi punis, ainsi que les propositions sexuelles à un mineur par un moyen de communication électronique. A l’ère d’Internet, ces dernières en particulier se doivent d’être reconnues : selon Sébastien Boueilh, les trois quarts des élèves de classes dans lesquelles il intervient ont déjà reçu une image à caractère sexuel sur leurs téléphones. Quand bien même certaines fédérations pourraient avancer l’argument de la complexité de ces procédures judiciaires, L’Equipe rappelle que le règlement de la fédération française de football permet, entre autres, via son article 85 à la section 5, de refuser « la délivrance d’une licence, ou son retrait, [qui] peut aussi être prononcé pour les mêmes fautes (contre la morale, l’honnêteté ou l’honneur), même si elles ne font pas l’objet d’une sanction pénale. » Ce refus peut aussi concerner « toute personne frappée d’une interdiction pénale » (Art. 85 – 1). Rappelons également que le fait de savoir ce qu’il s’est passé et de le cacher est puni par la loi. L’article 434-3 du Code pénal dispose que ce comportement est passible de trois à cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 à 75 000 euros d’amende selon l’infraction couverte.
Si le dispositif judiciaire est assez complet en France à ce niveau-là, rappelons que les peines énoncées précédemment sont les peines potentielles et maximales que peut prononcer le juge selon les circonstances. Les solutions juridiques existent donc en réalité, comme l’a souligné Monsieur Boueilh lors de notre entretien. Le véritable problème n’est pas structurellement lié à la justice. L’omerta présente dans le sport est en réalité intrinsèquement liée à l’inefficacité des structures sportives.
Lors de notre entretien, j’ai demandé à Monsieur Boueilh ce qu’il pensait de la prescription. Ma réflexion était la suivante : le délai de prescription ne constitue-t-il pas un frein pour rendre justice aux victimes, qui parlent en moyenne douze ans après de ce qui leur est arrivé ? L’ex-rugbyman m’a répondu que non, au contraire, la prescription était une bonne chose. Elle permet de pousser la victime à s’exprimer un jour, ce qui ne serait pas forcément le cas s’il n’y avait aucune prescription. En France, le délai de prescription peut aller de dix à trente ans selon l’acte commis, le délai le plus important étant pour le viol sur mineur. Il faut bien comprendre que si les lois françaises existent et évoluent avec le temps (par exemple, la loi Schiappa en avril 2021, qui n’a cependant pas pu fixer un seuil d’âge en dessous duquel la victime ne serait jamais consentante suite à un avis négatif du Conseil d’Etat), l’impulsion donnée par les instances européennes a amené une réponse juridique multinationale.
La réponse européenne depuis les années 1980
Au niveau européen, on retrouve plusieurs législations notables, qui sont le fruit d’une longue réflexion globale autour de la place du sport au sein de la communauté européenne. Si l’article 165 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 est le premier à encadrer spécifiquement le sport à l’échelle européenne, la réflexion avait débuté dans les années 1980.
Le premier texte en date concernant l’encadrement du sport est celui de la Charte européenne du sport pour tous, publiée en 1975. Révisée en 1992 puis en 2001, c’est le premier texte à fixer des normes pour le sport au niveau européen, y compris du point de vue de l’éthique. On retrouve par exemple l’article 9 (devenu article 16 avec la modification du texte en octobre 2021), intitulé « Ressources humaines », dans lequel on peut lire que : « toute personne engagée dans la direction ou la supervision des activités sportives devrait posséder les qualifications nécessaires, une attention particulière étant accordée à la garantie de la sécurité et à la protection de la santé des personnes à leur charge ». Le Conseil de l’Europe encourage également, avec l’article 13 de la Charte (devenu article 19), à réaliser ses objectifs via une coopération européenne et internationale.
Plusieurs déclarations au cours des années 1980 sur la violence dans le sport et la place de la femme dans celui-ci font progressivement avancer le débat. La Commission agit à son tour, avec l’instauration du Forum européen du sport en 1991, afin d’ouvrir le dialogue autour du sport au sein de la communauté européenne. Mais c’est notamment le Parlement européen qui pousse en faveur d’une politique plus globale et incluant d’autres logiques que celle purement économique, encore prépondérante jusqu’à la fin des années 1990. Le rôle social et culturel du sport dans l’Union européenne n’est pas pris à la légère, les instances étant bien conscientes du potentiel fédérateur autour de celui-ci. Mais c’est la notion d’ « exception sportive » qui pose problème. Pendant longtemps, les présidents de fédérations sportives et d’organisations internationales comme la FIFA ou l’UEFA avançaient le fait que le sport était à part et ne pouvait donc pas tenir compte des exigences des règles communautaires. Marie-Georges Buffet, ministre française de la Jeunesse et des sports en mars 1999, était d’accord avec cette idée, déclarant que « l’application au sport des règles communautaires de concurrence s’avère incompatible avec la préservation de l’éthique sportive ». La Commission a rejeté cette idée, admettant cependant que les règles de libre circulation et de concurrence puissent être adaptées. L’arrêt Meca-Medina (juillet 2006) verra d’ailleurs la Cour de justice de l’UE rejeter la notion de « règle purement sportive ».
Afin d’analyser les textes suivants, nous nous appuierons sur des citations du rapport de Sport&Europe intitulé L’émergence d’une politique européenne en faveur du sport (2018).
On observe un progressif changement des mentalités avec les déclarations sur le sport annexées au traité d’Amsterdam en octobre 1997 puis au Traité de Nice en décembre 2000. Ainsi, la première a pour ambition « d’élargir l’approche communautaire du sport », tandis que la seconde tente de réfléchir à un modèle européen du sport, en reconnaissant les « caractéristiques spécifiques du sport » ainsi que sa fonction sociale. Si ces déclarations ont surtout une portée symbolique du fait du manque de pouvoir au niveau du droit communautaire, elles apparaissent comme une avancée nette.
Finalement, toutes ces actions débouchent sur des textes destinés à sensibiliser la société à ces sujets et à pénaliser concrètement les agresseurs. D’un côté, nous avons des initiatives comme le Livre Blanc, et, de l’autre, la Charte des Droits Fondamentaux, la Convention de Lanzarote, la directive du Parlement et du Conseil de 2011 et l’inscription dans le Traité de Lisbonne d’un article concernant spécifiquement le sport.
Le Livre Blanc sur le sport publié par la Commission européenne en 2007 a pour but de reconnaître notamment la fonction sociétale du sport. Il y est également évoqué la protection des mineurs, la Commission proposant « de veiller à l’application de la législation communautaire relative à la protection des jeunes au travail (points 42 et 43) ». Afin d’y parvenir, la Commission promeut la coopération entre fédérations et autres acteurs intergouvernementaux, ainsi qu’une « coopération entre Etats membres et avec la Commission ». Critiqué notamment par le CIO et la FIFA, ce Livre Blanc a surtout une portée symbolique et peu contraignante.
Par la suite, des outils plus efficaces ont été mis en place. La criminalisation des abus sexuels sur mineurs va prendre une forme plus concrète à travers la Convention de Lanzarote, la directive de 2011 et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
La Convention de Lanzarote, signée le 25 octobre 2007, est une tentative de criminalisation des violences sexuelles sur mineurs à l’échelle multinationale des pays du Conseil de l’Europe, en obligeant les Etats « à ériger en infraction pénale diverses formes d’abus sexuels et d’exploitation sexuelle contre des enfants ». Cette convention inclut aussi un volet de prévention, passant par la formation de spécialistes, l’information des plus jeunes et la prise en charge de « personnes risquant de passer à l’acte ». L’auteur rappelle également que les articles 3 et 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droit de l’Homme (CEDH) permettaient déjà d’assurer une certaine protection des mineurs. Le véritable changement juridique contraignant a lieu avec la directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil, venue remplacer une précédente législation, à savoir la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil du 22 décembre 2003. Cette directive établit des peines minimales pour les abus sexuels sur mineurs et garantir réellement la protection des victimes. Par exemple, l’article 3 – paragraphe 2 impose au moins un an de prison ferme si l’agresseur force l’enfant n’ayant pas atteint la majorité sexuelle à assister à des activités sexuelles. Ou encore l’article 3 – paragraphe 6 impose que « le fait de contraindre ou de forcer un enfant à se livrer à des activités sexuelles avec un tiers, ou de le menacer à de telles fins » entraine cinq ans de prison ferme minimum si la victime est un enfant ayant atteint la majorité sexuelle, et dix ans ferme si ce n’est pas le cas. Bien que cette directive doive respecter les principes de subsidiarité et d’attribution limitant de fait son impact sur le droit national des Etats membres, celle-ci impose un socle minimal de protection pour les victimes. Mais ce n’est pas l’unique instrument législatif contraignant, bien que ce soit sûrement le plus complet.
Il existe aussi la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union européenne, un instrument juridiquement contraignant datant de 2000, qui a pris la même valeur juridique que les traités de l’UE avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne sept ans plus tard. Cette charte « oblige l’Union européenne et ses États membres à protéger les droits qui y sont consacrés lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union », d’après Jean-Christophe Lapouble, professeur de droit à l’université de Poitiers. Enfin, pour ce qui est du sport, le traité de Lisbonne spécifie son domaine de compétence. En effet, comme précisé dans le deuxième paragraphe de l’article 165 du TFUE, « l’action de l’Union vise […]à développer la dimension européenne du sport, en promouvant l’équité et l’ouverture dans les compétitions sportives et la coopération entre les organismes responsables du sport ainsi qu’en protégeant l’intégrité physique et morale des sportifs, notamment les plus jeunes d’entre eux ». Mais elle ne sert en aucun cas à « [harmoniser] des dispositions législatives et réglementaires des États membres. » (Paragraphe 4.a). Pourtant, cette politique d’harmonisation était prévue à l’origine avec le projet de Constitution pour l’UE élaboré en juin 2003 par la Convention européenne, en charge de la rédiger. En effet, l’article 149 devait y être consacré, avec des moyens d’action potentiellement plus puissants. Seulement, le rejet de cette constitution par référendum en France comme aux Pays-Bas en 2005 a conduit à l’abandon de ce projet. A l’échelle internationale, il existe notamment la Convention internationale des droits de l’enfant datant du 20 novembre 1989. De son côté, la Charte olympique du CIO condamne entre autres de son côté toute forme d’abus et de harcèlement au point 18 de l’article 2.
Plus récemment, c’est à la suite des révélations du Guardian évoquées précédemment que la FIFA et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime ont prévu de mettre en place « un réseau d’enquête mondial destiné à lutter contre les abus sexuels dans tous les sports ». Ce réseau serait installé en collaboration avec les forces de l’ordre locales et l’organe international Interpol. En complément, des contrôles d’intégrité sont envisagés afin d’éviter de mettre en relation des anciens agresseurs avec des mineurs. Le soutien aux victimes devrait être renforcé. Cependant, comme l’explique la directrice de l’ONG Human Rights Watch, Minky Worden, la FIFA n’est pas forcément l’organe le mieux placé pour encadrer les victimes et livrer les agresseurs à la justice au vu de sa passivité antérieure dans des cas comme en Haïti ou en Afghanistan.
Entre autres, l’enjeu de l’éloignement des agresseurs et des victimes est primordial dans le sport, où l’encadrant joue un rôle prépondérant. C’est ce qu’échouent perpétuellement à faire les institutions sportives en place comme la FIFA, l’UEFA ou maintes autres organisations et fédérations dans le monde. De l’autre côté de l’Atlantique, le problème existe également, aucun pays n’étant exempté de cette omerta. Nous venons d’ailleurs d’apprendre récemment que les centaines de victimes du médecin Larry Nassar, dont fait partie la gymnaste américaine Simone Biles, vont être indemnisées à hauteur de 380 millions de dollars.
« Ainsi aux Etats-Unis, un amendement sénatorial à la loi sur le sport envisage de mettre en place un dispositif spécifique pour s’assurer que les fédérations sportives mettent tout en œuvre pour s’assurer de la santé des sportifs et de leurs possibilités de pouvoir s’exprimer sur la question », explique Jean – Christophe Lapouble. Le pays de l’oncle Sam n’est évidemment pas un modèle parfait. Si les indemnisations sont à la hauteur, ce n’est pas la seule problématique liée à ce sujet. L’accompagnement et la reconnaissance des victimes sont tout aussi, voire plus, importants.
Peut-être devrions-nous nous en inspirer ? Ou le problème n’est-il pas autre part ? Ce genre de dispositif existe d’ores et déjà dans la théorie. A noter aussi qu’en France, la nouvelle ministre des sports Roxana Maracineanu semble faire bouger les choses, au moins en partie. Pour preuve l’entretien musclé qu’elle avait eu avec Didier Gailhaguet, le président de la fédération de patinage artistique lors des affaires d’agressions sexuelles concernant Gilles Beyer, l’entraîneur et agresseur de Sarah Abitbol. Cet entretien avait conduit ce dernier à quitter son poste.
Faire évoluer les dispositifs juridiques déjà en place vers une forme différente en apparence n’est pas la solution. Le problème vient du système d’omerta inhérent aux institutions puissantes, très accentué dans le monde sportif. La principale solution est de faire appliquer les peines prévues, ce qui passe par la volonté des dirigeants de réellement faire avancer la cause. Et si l’omerta tombe petit à petit, elle laissera derrière elle d’innombrables sentiments d’injustice et de drames humains.
Sources
- Association « Colosse aux pieds d’argile », Qui sommes-nous ?
2. RTBF.be, 75% des enfants européens ayant pratiqué un sport auraient subi des abus et c’est en Belgique (80%) qu’ils sont les plus nombreux, 27 novembre 2021.
3. Franceinfo, Pédocriminalité : le footballeur Patrice Evra révèle avoir été victime d’agressions sexuelles à l’âge de 13 ans, 23 Octobre 2021.
https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement-sexuel/pedocriminalite-le-footballeur-patrice-evra-revele-avoir-ete-victime-d-agressions-sexuellesa-l-age-de-13-ans_4818969.html
4. Chaîne Youtube de Romain Molina.
https://www.youtube.com/channel/UCxfusAsd_n5AMFheiipyaCw
5. L’Equipe, Les relations trop intimes d’une ancienne entraîneure de Clairefontaine, Antoine Bourlon, Guillaume Dufy, Nicolas Jambou et Stéphane Sellami, 21 décembre 2020.
https://www.lequipe.fr/Football/Article/Les-relations-trop-intimes-d-une-ancienne-entraineure-de-clairefontaine/1208173
6. The New York Times, Un coach, des joueurs mineurs et des limites floues, Tariq Panja et Romain Molina, 2 décembre 2020 (version originale en anglais).
https://www.nytimes.com/fr/2020/12/02/sports/soccer/abus-football-hardouin-Clairefontaine.html#click=https://t.co/cdqwJwuNMK
7. The New York Times, Le football français ébranlé par une culture toxique au sein de sa fédération, Tariq Panja et Romain Molina, 15 octobre 2020 (version originale en anglais).
https://www.nytimes.com/fr/2020/10/15/sports/soccer/france-football-federation-culture-toxique.html
8. The Guardian, Fifa and UN agency plan global network to tackle sexual abuse in sport, Ed Aarons and Romain Molina, 6 décembre 2021.
https://www.theguardian.com/sport/2021/dec/06/global-network-to-tackle-sexual-abuse-in-sport-planned-by-fifa-and-un-agency?fbclid=IwAR1eWrkLie_kdXJJQ18l5GKvYJbaND0Rpk40PviBbiRKFnB5n4fM5x74SSg
- Association « Colosse aux pieds d’argile », Agressions – Les agresseurs.
10. La Croix, Sport : « Entre l’enfant et son entraîneur, une relation très forte », Laureline Dubuy, 9 novembre 2021.
https://www.la-croix.com/Famille/Sport-Entre-lenfant-entraineur-relation-tres-forte-2021-11-09-1201184419
11. Association « Colosse aux pieds d’argile », Victimes – Le silence des victimes.
https://colosse.fr/victimes/#le-silence-des-victimes
12. Association « Colosse aux pieds d’argile », Agressions – Définir les agressions.
https://colosse.fr/agressions/#d-finir-les-agressions
13. Ministère de l’Intérieur, Infractions sexuelles sur mineur, vérifié le 27 avril 2021 – Direction de l’information légale et administrative (Premier ministre), Ministère chargé de la justice.
https://www.demarches.interieur.gouv.fr/particuliers/infraction-sexuelle-mineur-corruption-agression-atteinte-sexuelle-viol
14. Ministère de l’Intérieur, Agression sexuelle commise sur une personne majeure, vérifié le 27 avril 2021 – Direction de l’information légale et administrative (Premier ministre), Ministère chargé de la justice
https://www.demarches.interieur.gouv.fr/particuliers/agression-sexuelle-personne-majeure
- FFF, Règlements Généraux, Saison 2020-2021. https://media.fff.fr/uploads/document/3b82ec28bd72f34b0d577250887c68bd.pdf
- Le gouvernement, Article 434-3 du Code pénal, version en vigueur depuis le 6 août 2018.
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037289453/
- Association Colosse aux pieds d’argile, Agressions – Dénoncer des agressions.
18. Le gouvernement, LOI n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037284450
Explication de la loi : https://www.gouvernement.fr/action/loi-renforcant-l-action-contre-les-violences-sexuelles-et-sexistes
19. Sport&Europe, L’émergence d’une politique européenne en faveur du sport – Repères historiques, mis à jour en décembre 2018.
https://www.sports.gouv.fr/IMG/pdf/sporteteurope.pdf
20. Article 165 du Traité de Lisbonne, 9 mai 2008.
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:12008E165&from=EN
21. Comité des Ministres – Conseil de l’Europe, Charte européenne du sport, révisée le 13 octobre 2021.
https://rm.coe.int/recommendation-cm-rec-2021-5-on-the-revision-of-the-european-sport-cha/1680a43915
22. Comité des ministres – Conseil de l’Europe , Charte européenne du sport révisée en 1992
https://rm.coe.int/16804ca89a
23. Troisième chambre de la CJUE, Arrêt Meca-Medina, 18 juillet 2006.
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A62004CJ0519
24. Déclaration sur le sport du Traité d’Amsterdam, 2 octobre 1997.
http://www.anlsp.fr/medias/downloads/declaration-sport-traite-d-amsterdam-2-octobre-1997_179.pdf
25. Déclaration du Conseil européen relative aux caractéristiques spécifiques du sport et à ses fonctions sociales en Europe devant être prises en compte dans la mise en œuvre des politiques communes, « L’intégration des caractéristiques spécifiques du sport et de ses fonctions sociales dans la mise en œuvre des politiques communes », 7-8-9 décembre 2000.
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=URISERV:l35007&from=FR
26. Commission européenne, Livre blanc sur le sport, 7 mars 2008. https://centre.franceolympique.com/centre/fichiers/File/Livre_blanc_europeen_sport/livreblanc.pdf
27. Parlement européen, Conseil de l’UE et Commission européenne, publié au Journal officiel des Communautés européennes, Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 18 décembre 2000.
https://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf
28. Convention de Lanzarote du Conseil de l’Europe, La protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, 25 octobre 2007.
https://rm.coe.int/la-protection-des-enfants-contre-l-exploitation-et-les-abus-sexuels-co/1680794e98
29. Directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil, 13 décembre 2011.
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex:32011L0093
30. Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé à Lisbonne le 13 décembre 2007.
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:12007L/TXT
31. HAL open science, Agressions sexuelles des mineurs dans le sport et ordre juridique international, Jean-Christophe Lapouble, 31 Mars 2021.
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03186743/document
32. Conseil de l’Europe, Convention européenne des droits de l’homme, 4 novembre 1950.
https://www.echr.coe.int/documents/convention_fra.pdf
33. Décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil du 22 décembre 2003 relative à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie.
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32004F0068
34. Assemblée générale des Nations unies – unicef, Convention internationale des droits de l’enfant, 20 novembre 1989.
https://www.unicef.fr/sites/default/files/convention-des-droits-de-lenfant.pdf
35. Comité International Olympique (CIO), Charte olympique, état en vigueur au 8 août 2021.
https://stillmed.olympics.com/media/Document%20Library/OlympicOrg/General/FR-Olympic-Charter.pdf?_ga=2.112264647.2107175182.1639677490-1046807163.1639677488
Ressources supplémentaires :
Podcast Le Parisien, Violences sexuelles dans le sport : pourquoi Sarah Abitbol brise le silence, 11 février 2020.